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A propos de la compétence

24 mars 2001

(cf. "les institutions contre l'intelligence")

Dans la nouvelle économie, l'essentiel du capital de l'entreprise réside dans la compétence de ses salariés, nous dit-on. Voilà une bonne nouvelle, si elle conduit vers une conception de l'entreprise sinon démocratique, du moins respectueuse des personnes qui la composent. Mais il convient d'approfondir un peu la question.

Supposons que vous soyez quelqu'un de compétent dans une spécialité dont le marché est avide - par exemple, que vous maîtrisiez parfaitement le langage C++. A quoi peut servir cette compétence ? si vous êtes seul face à votre ordinateur, privé du contexte d'une entreprise, vous pourrez faire de petits programmes mais ils risquent de ne pas servir à grand-chose : si personne ne vous indique les besoins à satisfaire, si vous êtes isolé, il vous sera pratiquement impossible d'écrire un programme utile. 

Par contre, si vous appartenez à une entreprise, vous serez inséré dans une équipe qui apportera les informations nécessaires à un travail utile ; vous partagerez le travail avec d'autres spécialistes dont le savoir complètera le vôtre. Il en sera de même si, tout en étant solitaire, vous contribuez à un travail "en réseau" (par exemple en participant au développement d'un logiciel ouvert), car ce réseau constitue une entreprise de fait.  

Bien sûr l'entreprise ne contribue à votre efficacité que si elle est convenablement organisée. Si les personnes s'y épuisent en disputes, conflits de territoires et recherche du bouc émissaire, si l'actionnaire fait pression pour liquider les actifs en vue d'un profit rapide, si le conformisme et la flagornerie règnent, la compétence individuelle est stérilisée. 

On arrive vite à la conclusion suivante : l'efficacité est le produit de la compétence individuelle par la qualité de l'organisation de l'entreprise. Cela peut s'écrire selon une équation simple :

E = Cind * Qorg

Si l'on représente chaque entreprise par un point dans l'espace à deux dimensions correspondant l'une à la compétence des individus, l'autre à la qualité de l'organisation, les entreprises de même efficacité sont situées sur un même arc d'hyperbole :

Considérons deux pays que nous désignerons par les lettres F et D, toute ressemblance avec des pays existants ne pouvant être que fortuite. Supposons que ces deux pays utilisent des méthodes différentes pour assurer l'efficacité de leurs entreprises. 

Dans F, pays de culture individualiste, on insiste sur la compétence des personnes et on accorde beaucoup de soin à la formation initiale des ingénieurs dans des écoles spécialisées. Par contre l'organisation des entreprises est négligée. Ces ingénieurs si bien formés sont invités à se débrouiller, sans faire de vagues, dans un environnement où leurs compétences seront pour une bonne part stérilisées. 

Dans D, pays très organisé, on ne cherche pas à former des personnalités remarquables ; les ingénieurs de D, passés par un long apprentissage, semblent individuellement moins "brillants" que leurs collègues de F. Par contre, l'entreprise est bien gérée, la communication est transparente, tout le monde y parle le même langage. Au total, les deux systèmes ont des efficacités comparables. On peut se demander lequel est le plus "humain" et le plus "intelligent" des deux. 

Les entreprises de EU sont organisées à peu près comme celles de D. EU, pays d'immigration qui néglige la formation de ses propres habitants, est avide des compétences formées en F ; EU est plus accueillant que D, où les ingénieurs venant de F sont pour des raisons historiques considérés avec méfiance. 

Un ingénieur de F sera souvent tenté d'aller travailler dans une entreprise de EU. Il y trouvera en effet une organisation d'une qualité supérieure à celle qu'il connaissait en F ; il pourra donc dégager, en tirant parti à la fois de sa compétence individuelle et de cette organisation, une meilleure efficacité. C'est pourquoi des ingénieurs de F trouvent intéressant, non tant pour des raisons d'argent que par dignité professionnelle, d'aller travailler dans des entreprises de EU.

La qualité de l'organisation est pour F un enjeu prioritaire et, pour une bonne part, elle est corrélée à la qualité du système d'information. Plutôt que de s'efforcer à produire des ingénieurs sans cesse plus "brillants" mais dont les compétences seront ensuite gâchées par l'entreprise, F ferait bien de faire progresser la qualité de ses systèmes d'information et, par ce biais, l'organisation de ses entreprises. Si F ne le fait pas, il jouera le rôle d'une université qui formerait à grand frais les ingénieurs destinés à EU. 

Voir la réponse de Raoul Depoutot