Informatiser le système éducatif
7 juillet 2007
Le « système éducatif » comprend tout ce qui contribue à la maturation d’une personne : la famille, l’école, les médias, la lecture, les relations professionnelles et amicales. Ces diverses influences forment en effet un système, qu’elles entrent en synergie ou se contredisent dans la confusion.
Les médias dépendent de la publicité au point que celle-ci détermine leur programmation[1] : leur contribution au système éducatif est aujourd’hui réduite, voire négative, car les fortes audiences vont au divertissement. Les émissions instructives sont rares et cantonnées dans les heures normalement consacrées au sommeil[2], les documentaires sacrifient au goût pour le sensationnel. Les jeunes adolescents passent beaucoup de temps à regarder des dessins animés et des films qui proposent une image déformée du monde, souvent violente[3].
Ils utilisent surtout l’ordinateur pour participer à des jeux (football etc.) ou à des chats au contenu parfois douteux. Les livres qu’ils lisent, même ceux qui sont bien construits comme Harry Potter, les invitent à vivre par l’imagination dans un monde affranchi des contraintes que l’univers physique impose à l’action.
On peut s’interroger sur le type de maturité qu’un tel système éducatif prépare.
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L’automatisation a transformé le système productif, l’ordinateur a modifié les conditions de travail. Il arrive progressivement dans toutes les familles.
Les transformations qu’il provoque ne sont pas sans précédents. L’espace logique auquel il donne accès s’est bâti d’abord par la parole voici quelques centaines de milliers d’années ; il s’est conforté par l’écriture alphabétique voici 3 000 ans, puis par le livre manuscrit, enfin par l’imprimé.
Cette évolution a rencontré des résistances à chacune de ses étapes : l’introduction de l’écriture a mis à bas l’enseignement oral des druides et dévalorisé leur virtuosité dans l’art de la mémoire. Mais l’écriture, puis le livre, sont entrés dans nos mœurs depuis des siècles et on ne saurait imaginer un enseignement qui n’en tirerait pas parti.
Avec l’hypertexte, les moteurs de recherche, les blogs, l’ordinateur a apporté à l’espace logique une extension jusqu’alors inconnue. Sa fusion avec le téléphone mobile rend absolue l’ubiquité de l’accès. L’informatisation du travail bouleverse les organisations et déconcerte les plans de carrière. Il en sera de même pour le système éducatif (Neville Holmes, « Digital Technology and the Skills Shortage », Computer, mars 2007).
Les corporations vont donc se mobiliser pour ajourner son évolution. On produira des théories pour démontrer le caractère nocif de l’informatisation, opportunément diabolisée en « numérisation ». Des pétitions seront signées, des grèves et manifestations organisées en toute bonne foi. Il est inévitable en effet que la première génération des pédagogues soit, dans sa masse, réticente : ils connaissent mal l’ordinateur et ils sont moins habiles pour l’utiliser que ne le sont leurs élèves.
Si pourtant la concurrence entre nations se réduit, comme certains le prétendent, à une compétition entre systèmes éducatifs, celles qui sauront les premières tirer intelligemment parti de l’informatique bénéficieront d’un avantage décisif.
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Imaginons donc, en nous affranchissant de toute contrainte sociologique, ce que pourrait être un enseignement informatisé. Une telle esquisse doit être modeste car on ne peut pas tout prévoir dans le détail, mais l’expérience autorise à indiquer quelques pistes.
Des recherches sont en cours : l'université de Nottingham a expérimenté l'utilisation d'images 3D dans l'enseignement et les résultats sont prometteurs.
Certes l’ordinateur ne pourra pas remplacer le contact personnel avec le maître, l’attention que celui-ci porte à chaque élève ni ce qui se communique par la parole, le geste et le regard. Mais il pourra assister le maître et l’élève dans les démarches répétitives, dans l’entraînement qui est nécessaire à l’acquisition des compétences comme à la formation de la mémoire.
Il soulagera ainsi le maître d’une corvée pénible et, en utilisant des techniques inspirées des jeux vidéos, il pourra rendre l’entraînement attractif pour l’élève (les jeux vidéos sont extrêmement répétitifs mais on s’amuse à marquer des points). L’enseignement pourra d’ailleurs mobiliser aussi bien les consoles de jeu et l’iPod (et leurs successeurs futurs) que l’ordinateur proprement dit.
Pour tenir compte de la diversité des élèves il faudra segmenter leur population et définir des programmes adaptés à chaque segment : la synthèse et la reconnaissance de la parole seront par exemple cruciales pour les jeunes enfants.
Le maître sera responsable du choix des programmes qu’utilise chaque élève, il donnera à chaque élève les conseils utiles pour leur bonne utilisation. Il pourra coopérer avec les parents pour les aider à traiter des problèmes comme l’autisme ou la dyslexie, pour gérer la complémentarité entre la formation à la maison et la formation à l’école.
Les ordinateurs des élèves, du maître (et sans doute aussi des parents) fonctionnant en réseau, les données d’autocontrôle recueillies lors des exercices pourront aider le maître à identifier les difficultés qu’un élève rencontre.
L’ordinateur pourra aider l’élève à apprendre les noms et les propriétés des objets dans leur diversité (espèces animales, végétales ; instruments de musique, machines, etc.) ; à identifier les relations de causalité et raisonner sur elles ; à améliorer l’acuité du regard, la sensibilité de l’ouie, la qualité de la prononciation, du dessin et de l’écriture (un élève peut utiliser un stylet pour dessiner et écrire).
Il l’aidera aussi à produire des rythmes et des mélodies, à composer des poèmes et des chansons ; il l’entraînera à comprendre et énoncer des phrases, lire des textes écrits et écrire ses propres textes. Il facilitera l’apprentissage des langues. Des simulateurs pourront accompagner les leçons de choses, reproduire des expériences de physique ou de chimie, illustrer des exercices de mathématiques.
L’ordinateur pourra aider l’élève à acquérir le vocabulaire psychologique et physiologique qui lui permettra de mieux se connaître et lui donner des conseils relatifs à son hygiène personnelle. Il peut aussi l’aider à tenir sa place dans une action collective (chant choral, théâtre).
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Tout comme les chiffres arabes permettent à des enfants de réaliser des opérations qui jusqu’au XIIIe siècle[4] ont nécessité l’expérience d’un professionnel, l’ordinateur permettra aux élèves d’acquérir plus de compétences, et plus vite, que dans les générations précédentes.
Mais tout comme elle l’a fait dans les entreprises l’informatisation entraînera une transformation de l’organisation des écoles et du métier des maîtres. Ceux-ci auront besoin de recevoir une formation différente, les préparant à de nouvelles responsabilités. La division du temps d’étude entre la classe et la maison familiale, entre le travail collectif et le travail personnel, entre l’entraînement et la découverte de savoirs nouveaux, sera transformée.
Tout cela nécessite des recherches, des mises au point, et aussi des investissements car il faudra écrire les programmes informatiques répondant à la diversité des besoins. C’est un continent qui s’ouvre et on est pris de vertige quand on anticipe l’ampleur des changements que l’informatique va apporter au système éducatif, ainsi d'ailleurs que les blocages qu’ils vont rencontrer.
L’expérience des entreprises est ici précieuse. Votre entreprise utilise sans doute couramment la messagerie et l’Intranet, mais les anciens se rappelleront peut-être les blocages que ces innovations, devenues entre temps des produits aussi banals (et aussi indispensables) que l’air que l’on respire, ont dû surmonter dans les années 1990.
[1] « Dans une perspective ”business”, soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » (Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième Jour, 2004, p. 92 et 93).
[2] Les "Amphis de France 5", excellente émission au demeurant, sont diffusés entre 5h15 et 6h15 du matin.
[3] La télévision diffuse ainsi une formation audiovisuelle sans doute efficace à l’art du cambriolage, de la bagarre, à l’usage des armes, à la conduite automobile dangereuse etc.
[4] C’est-à-dire tant que l’on a utilisé les chiffres romains.
Pour lire un peu plus :
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http://www.volle.com/opinion/education.htm
© Michel VOLLE, 2007
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