Exemple 2 : modélisation économique
15 juin 2002
(cf. Les
embarras de la complication)
Considérons l’étude des
effets du vieillissement de la population sur la croissance et sur l’équilibre
des régimes de retraite. Il s’agit de tirer les conséquences d’une exogène
démographique : la question est donc simple. Mais cette exogène est
complexe ainsi que ses effets. Si l’on considère un cas concret comme celui
de la France en 2002, la pyramide des âges, ainsi que les projections qui
anticipent ses évolutions futures, résultent de plusieurs phénomènes jouant
conjointement [Aglietta, Blanchet et Héran] :
- -
allongement de la durée de vie procuré par les progrès de la médecine
et de l’hygiène ;
- -
pertes dues aux guerres, qui ont réduit les effectifs de certaines
classes d’âge ;
- -
déficit des naissances pendant les guerres, qui a réduit d’autres
classes d’âge ;
- -
effets retardés de ces deux phénomènes : une classe peu nombreuse
produit peu d’enfants de sorte qu’un accident de la pyramide des âges
se propage comme une onde et provoque
trente ans après un autre accident un peu amorti ;
- -
emballement des naissances après les guerres (« baby boom »)
: il provoque dans la pyramide des âges une bosse qui, elle aussi, se
propage comme une onde ;
- -
évolution tendancielle de la fécondité des femmes résultant de
facteurs culturels (niveau d’éducation, pratiques contraceptives, législation
sur l’avortement etc.) et économiques (sentiment de bien-être,
optimisme) ;
- -
phénomènes migratoires, l’immigration apportant une population
plus jeune et plus féconde que la moyenne ;
- -
etc.
On peut construire un modèle
« réaliste » étalonné sur des statistiques et tenant compte de
l’ensemble de ces phénomènes. Il sera difficile d’interpréter ses résultats
car on ne pourra pas distinguer les incidences propres à chaque phénomène. La
manipulation des séries chronologiques, la prise en compte des flux et stocks,
le traitement des cohortes, introduiront au cœur du modèle un nuage conceptuel
que matérialiseront de lourdes notations à indices multiples. Le modèle de
croissance suppose par ailleurs l’introduction d’exogènes annexes (sur la
productivité, l’épargne, le commerce extérieur, les flux de capitaux et de
main d’œuvre), d’où une riche combinatoire de variantes. Si en outre le
modélisateur insère dans le modèle le traitement explicite de statistiques
provenant de bases de données diverses (et donc partiellement incohérentes),
la complication montera encore d’un cran, le « réalisme » du
calcul statistique venant se combiner au « réalisme » du modèle.
Un tel réalisme empêche le
raisonnement. Pour comprendre les conséquences des phénomènes démographiques,
il faut oser mettre pendant un temps le monde réel entre parenthèses. Il faut
construire de petits modèles artificiels et simples avec lesquels on effectuera
des simulations. Chacun de ces petits modèles permettra d’explorer les conséquences
d’un phénomène pur (allongement de la durée de la vie ; « baby
boom » ; évolution de la fécondité ; choc de productivité
etc.), de spécifier les exogènes et d’évaluer leurs effets. Ce n’est
qu’après avoir joué avec les hypothèses, réalisé des variantes, parcouru
plusieurs fois les calculs conduisant des exogènes aux endogènes et examiné
les effets conjugués des diverses hypothèses que l’on pourra s’approcher
des données réelles, non sans avoir élagué les effets négligeables. Il
suffira souvent de caler le modèle sur des ordres de grandeur observés pour
obtenir des résultats utiles à la décision, ce qui dispensera des lourds
traitements statistiques détaillés.
(retour à Les
embarras de la complication)
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