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Les embarras de la complication

15 juin 2002

(cf. "Complexité et complication")
 
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Partant de la complexité (le réel), puis de la simplicité (la pensée), nous avons évoqué l’action (l’expérience) et sommes arrivé au sommet de l’efficacité, le « coup d’œil » : la pensée semble alors agir comme si elle était en prise directe sur le réel. Nous avons aussi évoqué le fait que certains agissent de travers. 

Le coup d’œil est une qualité rare, car peu de personnes parviennent à penser de façon adéquate à leur action. D’ailleurs quelqu’un peut posséder le coup d’œil dans certains domaines et non dans d’autres : le bon conducteur automobile n’est pas nécessairement un bon entrepreneur et réciproquement.

Il faut maintenant examiner les obstacles qui s’opposent à la pensée adulte, à la pensée appliquée à l’action. Certains de ces obstacles sont naturels : le jeune animal qui joue n’est pas encore un chasseur. Comme il faut que l’esprit soit passé par certaines étapes pour être prêt à l’action, il est naturel qu’un débutant soit maladroit. D’autres obstacles, par contre, sont semblables à une maladie qui empêcherait la croissance de l’animal, à un handicap qui l’empêcherait de se former par l’exercice et finalement lui interdirait l’action. La sélection naturelle est moins sévère dans notre espèce que parmi les animaux ; alors que le prédateur qui ne sait pas chasser mourra bientôt, nos sociétés hautement élaborées tolèrent et même produisent en grand nombre, puis nourrissent, des personnes qui ne savent pas agir ou qui ne savent agir que dans des domaines limités et dont la capacité d’action semble par ailleurs inhibée. Certaines personnes sont très intelligentes mais incapables d’agir ; d’autres font preuve, comme si elles étaient dotées d’une sagesse à éclipses, d’une parfaite aptitude à l’action dans leur vie personnelle mais non dans leur vie professionnelle, ou inversement.

Il se peut que cette mutilation contribue à la reproduction de la société comme la stérilité des ouvrières contribue à la reproduction de la ruche. Le constat d'une mutilation si fréquente, si générale, est douloureux. S’agissant d’un grand secret, celui qui l’énonce est mal reçu. Il faut en élucider le mécanisme pour tenir compte des contraintes qui en résultent et ne plus s’étonner de certaines situations.

La complication, simulacre de la complexité

    Exemple 1 : système d'information

    Exemple 2 : modélisation économique

« Ce n’est pas si simple ! »

Oui, la réalité n’est jamais aussi simple qu’un modèle quelle que soit la richesse de celui-ci, puisqu’elle est complexe alors que le modèle est fini. La phrase « ce n’est pas si simple » est vide puisqu'elle s’applique à tout modèle.

Les modèles compliqués seront souvent inutilisables et probablement incohérents ; seuls cependant ils trouveront grâce aux yeux des ennemis de la simplicité auxquels ils procurent une agréable sensation de réalisme. Ces personnes les approuvent sans chercher à les comprendre : cela leur demanderait des semaines ou des mois de travail pour un résultat décevant.

La question que l’on doit se poser devant un modèle n’est pas « est-il réaliste » puisqu’il ne peut jamais l’être entièrement, mais « est-ce la bonne simplification », la simplification pertinente, celle qui permet de raisonner juste et donc d’agir efficacement. Ceux qui refusent la simplicité du modèle se détournent de l’un des apports les plus précieux de la pensée : la sélection que celle-ci opère dans la multiplicité indéfinie des phénomènes pour n'en retenir que la vue pertinente, celle qui permet l’action efficace. 

La simplicité de la pensée, loin d’être un handicap, est un outil pour l’action, de même que l’imperfection de la mémoire est un outil pour l’intellect. Le mécanisme de l’oubli sélectif suscite le travail de synthèse et exerce l’intelligence : tout garder en mémoire, c’est ne rien comprendre [Squire et Kandel]. De même, tout percevoir, c'est ne rien pouvoir faire. 

Certains disent que la recherche de la clarté est de l’« adéquationnisme », terme qui dans leur langage est péjoratif. On a pu lire ceci dans un article consacré au marché de l’emploi : « Que les champs soient distincts, les périodes pas toujours harmonisées, les conceptions et conventions souvent différentes, ne doit pas nous troubler outre mesure ; cela exige rigueur et prudence dans la lecture et l'interprétation des chiffres, mais les utilisateurs devraient en sortir enrichis. Cette pluralité peut concourir à « désacraliser » une certaine obsession du chiffre unique, renforcer des approches plurielles et contribuer, aux différents niveaux territoriaux, à éclairer le débat social[1] ». L’ineptie de cette phrase illustre la confusion entre complication et complexité.

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[1] Jacques Roux, directeur régional du travail, in Interactions n° 2, juin 1997.