Simplicité
de la pensée
15 juin 2002
- (cf.
"Complexité et complication")
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précédente : Complexité
et réalité
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- « (Nature's) fundamental laws do not govern the
world as it appears in our mental picture in any direct way, but instead
they control a substratum of which we cannot form a mental picture without
introducing irrelevancies. »
- (Paul Dirac, The Principles of Quantum
Mechanics, introduction, Oxford, Clarendon Press, 1930)
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- « Le théorème
de Gödel (…) est certainement de beaucoup le résultat scientifique qui
a fait écrire le plus grand nombre de sottises et d’extravagances
philosophiques. »
- (Jacques
Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie, Raisons d’agir,
1999, p. 60)
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Gödel a démontré que le monde de la pensée, monde des
concepts et des propositions que l'on peut échafauder en obéissant au principe
de non contradiction, est complexe : il est impossible d'en rendre compte à
partir d'un nombre fini d'axiomes (cf. petit résumé du théorème
de Gödel). Cependant toute pensée explicite, toute pensée
exprimée, même subtile, est simple non dans son processus d’élaboration
(qui étant concret est complexe) mais dans son résultat : alors
que l’objet concret relève d’un nombre indéfini de déterminations, toute
pensée explicite s’exprime selon un nombre fini de concepts. Toute pensée
visant à l’action met en œuvre un modèle (on peut dire aussi une théorie)
constitué par le couple que forment d’une part un découpage conceptuel
de l’observation, d’autre part des hypothèses sur les relations
fonctionnelles.
Peu importe ici que le modèle soit formalisé, explicite,
pertinent ou non, cette démarche est générale. Toute observation est une
mesure accomplie selon une grille définie a priori ; tout
raisonnement suppose que l’on prolonge cette mesure en postulant des relations
fonctionnelles entre les concepts (en économie, on dira que la consommation est
fonction du revenu, C = f(R), ce qui implique un comportement d’épargne etc.)
La construction théorique, fût-elle compliquée, comporte un nombre fini de
fonctions schématisant des relations causales entre concepts [Korzybski].
Le monde des modèles, le monde de la théorie, c’est le
monde de la pensée pure, d’une pensée qui met le monde réel entre parenthèses.
Alors que chaque objet du monde réel est complexe, chaque pensée est simple :
elle utilise un nombre fini de concepts, un nombre fini de relations dont elle
fait jouer le mécanisme. Le monde de la pensée est aussi le monde de nos
artifices, jeux, langages de programmation et programmes informatiques,
de la définition des machines (en tant qu’objets concrets elles appartiennent
au monde réel, mais en tant que conceptions elles relèvent du monde de la pensée)
et de nos organisations (même remarque).
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La pensée pure a un but lointain : se confronter avec
le réel dans l’expérience lors de laquelle les concepts devront être
soumis au critère de pertinence, les théories à l’épreuve de la réfutation.
Mais il existe un moment propre à la pensée pure, où elle se forme et
s’organise sans être confrontée à l’expérience, où elle se muscle comme
le font en jouant les jeunes animaux.
La pensée pure dispose pour se préparer à l’expérience
d’une arme puissante : le principe de non contradiction. Toute théorie
comportant une contradiction est fausse en ce sens qu’il ne pourra pas exister
d’expérience à laquelle elle s’appliquerait. Le monde réel étant par
essence non contradictoire, le viol de la logique est contre nature. Une
chose ne peut pas à la fois être et ne pas être, elle ne peut pas à la fois
posséder une propriété et ne pas la posséder. Cela n’exclut pas qu’elle
puisse se transformer dans le temps ou encore posséder des facettes diverses
comme une feuille de papier qui serait blanche d’un côté, noire de l’autre :
les paradoxes résultent des imprécisions du langage courant qui parfois suggère
une identité alors qu’existe une différence.
Le fonctionnement de la pensée pure est un jeu avec des
hypothèses. Pour pratiquer cette gymnastique, il faut poser des hypothèses et
explorer leurs conséquences, poser d’autres hypothèses et recommencer etc.
La pratique de la modélisation montre qu’il est utile, avant de construire un
modèle, d’avoir exploré diverses hypothèses et simulé leurs conséquences.
Celui qui ne s’est pas préparé ainsi posera des hypothèses naïves et
s’aventurera dans des impasses théoriques que les experts ont appris à éviter.
Le but des mathématiques n'est autre que cette gymnastique
de l’esprit ; il n’est pas fortuit qu’elles soient fondées sur le
principe de non contradiction. Tout jeu d’hypothèses (axiomes) est a
priori admissible sous la seule contrainte de non contradiction.
Le respect du principe de non contradiction est une garantie
de réalisme potentiel. Des théories comme les géométries non
euclidiennes, construites de façon purement logique, voire purement formelle et
sans aucun souci d’application, ont pu par la suite fournir des modèles pour
représenter des phénomènes physiques ; toute théorie non contradictoire
peut espérer trouver dans la complexité du monde réel un domaine
d’application (cependant le caractère non contradictoire d'une théorie ne
suffit pas à garantir sa pertinence face à une situation particulière). La
pensée pure n’est donc pas seulement une gymnastique : c’est un
investissement qui fournit des modèles en vue des expériences futures. Si les
théoriciens ne constituent pas un monde fermé obéissant à une sociologie spécifique,
s’ils appartiennent à la même société que les autres personnes, leurs
recherches seront orientées par la sociologie générale, par le « mouvement
des idées » ; ils pourront alors fournir à la société, sous la
seule contrainte des difficultés et délais de l’élaboration théorique, les
modèles dont elle a besoin pour résoudre ses problèmes technologiques.
La conquête de la pensée, c’est la clarté
d’esprit ou encore l’intelligence, maîtrise du raisonnement qui,
partant de données initiales, va droit au résultat (en allant des données
« exogènes » du modèle aux données « endogènes »).
Lorsque l’esprit a parcouru plusieurs fois ces raisonnements il les anticipe
comme un habitant anticipe les formes et le contenu de l’appartement familier
où il se déplace ; il les enjambe pour en construire d’autres plus généraux,
plus abstraits, dont il aura élaboré la simplicité. La portée des
raisonnements simples s’élargit alors comme un cercle lumineux. On peut
ainsi, à partir de la forme de la fonction de production (production à coût
fixe), construire un modèle de la nouvelle économie regroupant en un seul
raisonnement les phénomènes que décrivaient plusieurs monographies [Volle
2]. Des champs entiers de la pensée s’articulent à un
principe simple qui a été conquis par un héroïque effort d’abstraction :
principe de moindre action en physique ([Landau et Lifchitz], p. 8) ; optimum de Pareto en économie
([Ekeland], p. 59) ; « voile
d’ignorance » en éthique
[Rawls] ; principe de
non contradiction lui-même en logique et en mathématique ([Bourbaki], vol. XVII, p.
2).
L’intelligence, dont le terrain propre est la pensée
pure, s'exerce pendant la jeunesse. Certains adolescents sont des mathématiciens
de génie comme Galois, ou encore de grands joueurs d’échecs. On a pu
soutenir que dans les sciences abstraites seuls les jeunes gens pouvaient faire
des découvertes, mais cette règle comporte des exceptions : Fermat a fait
d’importantes découvertes à l’âge adulte.
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rencontre expérimentale
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