La tête de l'INSEE

17 octobre 2007

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Jean-Philippe Cotis vient d'être nommé directeur général de l'INSEE. Ainsi se confirme la règle implicite qui veut que celui que l'on place à la tête de l'INSEE n'ait jamais pratiqué la statistique, ne soit pas un statisticien.

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Un statisticien est quelqu'un qui produit des statistiques. Il conçoit une enquête, dirige son exécution, définit l'exploitation informatique, publie les résultats.

Il se peut qu'un économiste soit un utilisateur avisé des statistiques - c'est souhaitable - mais cela ne fait pas de lui un statisticien : la dame élégante sait se fournir chez son couturier, mais elle n'est pas couturière.

Considérons la liste des directeurs généraux de l'INSEE : Francis Closon (1946-1961), Claude Gruson (1961-1967), Jean Ripert (1967-1974), Edmond Malinvaud (1974-1986), Jean-Claude Milleron (1986-1992), Paul Champsaur (1992-2003), Jean-Michel Charpin (2003-2007). Ces hommes étaient estimables, souvent éminents, certains ont été des DG efficaces, mais aucun d'entre eux n'avait de sa vie participé à la production statistique, jamais ils n'avaient exercé le métier de statisticien.

Les plus récents, passés par l'ENSAE, avaient le diplôme de statisticien-économiste ; mais pour passer du diplôme à la compétence professionnelle il faut de la pratique. Vous feriez-vous soigner par un docteur en médecine qui, une fois son titre en poche, se serait ensuite consacré à une tâche administrative ou à la recherche, sans jamais pratiquer la médecine ? Confieriez vous le commandement d'un paquebot à quelqu'un qui n'a jamais vu la mer ?

René Padieu m'a dit qu'il ne fallait pas faire de la compétence en statistique une condition nécessaire pour diriger l'INSEE. C'est vrai ; choisir de temps à autre quelqu'un d'une autre origine peut apporter un souffle revigorant, il ne faut pas cultiver la consanguinité. Mais ne jamais choisir quelqu'un qui soit du métier, cela ne signifie-t-il pas que ce métier, au fond, on le méprise ?

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La pratique de la statistique demande du savoir-faire. La définition de la population à observer et des nomenclatures, le choix de la méthode de sondage et de redressement, le dessin du questionnaire, l'animation des enquêteurs, la vérification des données individuelles, la mise au point des traitements, l'interprétation des résultats, tout cela se subdivise en une multitude de techniques, fort complexes, parmi lesquelles l'expert apprend à s'orienter.

Un DG qui n'a pas acquis cette expertise n'aura pas le flair, l'instinct qui guident le dirigeant quand il doit arbitrer et décider. Il aura du mal à interpréter les signaux, à évaluer les risques. Si l'INSEE a rencontré des écueils ces derniers temps, par exemple avec l'enquête emploi, c'est parce que les signaux d'alarme qu'avaient émis les praticiens n'ont pas été entendus.

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90 % environ du personnel de l'INSEE se consacre à la statistique. Les 10 % restants font de la comptabilité nationale, de l'économétrie et de l'économie théorique.

J'ai quitté l'INSEE en 1982. La pyramide du prestige culminait alors dans l'économie théorique, le grand chic étant de publier en anglais, dans une revue américaine, un article bourré de mathématiques et destiné à un tout petit nombre de lecteurs, voire à aucun.

Un cran plus bas se trouvaient les économètres, dont les modèles alimentaient en projections et variantes la réflexion sur la politique économique. Encore en dessous se trouvaient les comptables nationaux, qui complétaient la statistique par des estimations. Dans le socle de la pyramide résidait la population laborieuse et nombreuse des statisticiens, gérant et maniant une matière première aussi pondéreuse que le charbon.

L'INSEE investissait peu dans la technique statistique alors qu'il s'agissait de son activité majoritaire et fondamentale. Même si des progrès ont été accomplis, je ne suis pas sûr que les choses aient beaucoup changé depuis mon départ.

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Nos dirigeants croient sans doute que la statistique, cela marche tout seul et qu'il n'y a donc pas besoin de s'y connaître pour diriger l'INSEE. Peut-être croient-ils même qu'il y a du vrai dans les plaisanteries éculées et lassantes dont la statistique est l'objet.

Ce qu'elle apporte de plus précieux, ce sont des surprises, révélatrices de faits qui contredisent les préjugés. Mais elles contrarient les personnes au caractère impérieux, qui aiment trop leurs préjugés. La statistique permet en outre d'évaluer des corrélations qui, révélant des liens entre des phénomènes différents, invitent à formuler des hypothèses sur les causalités.

Pour interpréter surprises et corrélations, le statisticien passera la main au théoricien qui mieux que lui maîtrise la démarche inductive - mais si les théoriciens patentés se refusent à considérer les faits et restent prisonniers de leurs axiomes, le statisticien devra se dédoubler pour remplir leur mission à leur place.

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La statistique en tant que telle n'est qu'un instrument d'observation, qu'une spécialité qui alimente d'autres spécialités. Mais une société qui ne sait pas s'observer sera aveugle ou pis, inconsciente.

Personne ne met en doute l'apport de la radiologie à la médecine ; pourquoi a-t-on tant de peine à reconnaître, à comprendre, l'apport de la statistique ?

Pour lire un peu plus :
- Le métier de statisticien
- Une histoire de la comptabilité nationale

http://www.volle.com/opinion/insee.htm
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