Il devient de plus en plus
probable que les preuves présentées George W. Bush et Tony Blair pour justifier
la guerre contre l’Irak, qu’il s’agisse des armes de destruction massive ou du
soutien apporté par l’Irak à al Quaeda, étaient fallacieuses. Le rapport
présenté par les britanniques était le plagiat d’un travail d’étudiant ;
la tentative d’importation d’uranium à partir du Niger était attestée par un
faux grossier.
Cette affaire de faux et de
plagiat rappelle Le protocole des sages de Sion, fabriqué en 1907 par un
agent de la police russe pour étayer la fable du complot juif mondial.
Ce faux a été utilisé par les nazis et, dans des pays arabes, certaines
personnes le citent encore comme s’il était authentique.
Certes, tout le monde peut
se tromper, et d’ailleurs chacun se réjouit de la chute de Saddam Hussein.
Mais il n’est pas indifférent que le vote du Congrès ait été extorqué par un
mensonge.
Sans doute il ne s’agit pas
de mensonge intentionnel, car George W. Bush, Dick Cheyney et Donald Rumsfeld
disent ce qu’ils pensent avec une évidente sincérité. Mais se mentir à soi-même
est pire - et plus dangereux - que de mentir aux autres. C'est du
négationnisme au sens étymologique du terme : le négationniste est celui qui
affirme, au mépris de l’expérience et des faits, une « vérité » supérieure dont
il se sent porteur. La réalité étant ce qu’il a en tête, il juge les preuves
contraires sans valeur ou même d’inspiration diabolique. Certains, s'appuyant
sur la lettre de la Bible, estiment ainsi que l’évolution des espèces est une
fable.
Parmi les informations que
fournissaient les services de renseignement, les dirigeants américains ont
sélectionné celles qui confortaient leurs thèses et négligé les autres. Ils ont
insisté auprès des services pour obtenir des informations conformes à leurs
préjugés. Les rapports qui prouvaient la fausseté de certains documents ont été
négligés.
La même stratégie s'applique dans tous les domaines : la Maison Blanche a ainsi
censuré un rapport de l'Agence pour la Protection de l'Environnement.
* *
L’une des fautes les plus graves que puisse commettre un dirigeant politique,
c’est d’indiquer aux services de renseignement les conclusions qu’il souhaite
leur voir produire, ou pis d’exiger qu’ils les lui fournissent. En 1941, Staline
soupçonnait ceux qui lui annonçaient l’attaque allemande d’être des agents
britanniques : il fallait du courage pour le contredire !
Celui qui détient la force
peut gagner dans les premiers combats. Mais s’il n’a pas l’intelligence de la
situation, cette intelligence qui suppose réalisme et modestie, il perdra
nécessairement à la longue. Certes on ne peut « changer le monde » qu'à
condition d'affirmer, contre les apparences et les habitudes, la légitimité d'un
point de vue nouveau ; mais le changement ne peut réussir que si l'on précise
l'action en tirant parti des enseignements de l'expérience, aussi contrariants
soient-ils.
La chute d'un dictateur est
en soi un événement heureux ; tout le monde souhaite que l’Irak devienne une
démocratie ; tout le monde souhaite qu’une paix durable s’instaure entre les
Israéliens et les Palestiniens. On ne peut donc que souhaiter le succès des
entreprises dans lesquelles s’est lancé George W. Bush. Mais peut-il réussir,
alors qu’il avance les yeux fermés, illuminé par une « foi » qui ne garantit
aucunement la pertinence de ses décisions ? peut-il gagner sur ce terrain du
Proche-Orient ou les plus vigilants ont trébuché ?
Le simple bon sens oblige à
répondre « non ». C’est, je crois, la crainte qu'éprouve Jacques Chirac. On ne
peut que la partager, même s'il l'exprime de façon parfois maladroite et
inopportune comme lorsqu'il s'est laissé aller à insulter la Pologne.
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