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Papon et Montgolfier

23 septembre 2002

Dans la même semaine, Maurice Papon est libéré, Éric de Montgolfier réprouvé. Celui qui a été sanctionné pour avoir obéi à des ordres criminels est ainsi (presque) exonéré ; celui qui, pour remplir sa mission, n’a pas voulu obéir aux ordres est ainsi (presque) sanctionné. Voici le retour de cette conception mécaniste de l’ordre, de la hiérarchie et des valeurs contre laquelle les dreyfusards avaient milité.

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Maurice Papon est, si l’on en croit les témoignages et si l’on écoute ses propos, le type même du haut fonctionnaire intelligent, méprisant et brutal. Il a été jugé pour son action sous l’occupation et condamné pour crime contre l’humanité. Qu’un tribunal ait invalidé l’excuse « je n’ai fait qu’obéir aux ordres », c’est bien. Mais je regrette que Papon n’ait pas été jugé aussi pour son action comme préfet de police le 17 octobre 1961, et que ceux qui ont martyrisé et assassiné des prisonniers pendant la guerre d’Algérie ne lui aient pas tenu compagnie.

Une fois la condamnation prononcée, je trouve normal qu’on ne garde pas en prison une personne de plus de 90 ans [1] : les prisons sont surpeuplées, il faut faire de la place. La réprobation publique me semble une sanction aussi suffisante qu'elle était nécessaire.

Certains disent « il faut garder les vieux criminels en prison » en évoquant avec émotion le cas des assassins d’enfants ou de vieilles dames. Ces propos me rappellent ceux que l’on entendait pendant la guerre d’Algérie : « que feriez-vous si vous teniez entre vos mains le terroriste qui a déposé une bombe à retardement dans un lieu public que vous ignorez ? » : un cas d’école extrême, exposé inlassablement à des esprits faibles, a servi à « justifier » l’application généralisée de la torture.

Si l’on a fait sortir Papon, que l’on fasse sortir aussi les autres vieux détenus ! Un régime de faveur pour l’ancien ministre, l’ancien préfet, montrerait trop clairement qu’entre collègues on se tient les coudes.

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C’est justement cela qui retombe sur Éric de Montgolfier (cf. Le Monde, 22 septembre 2002). Ce procureur de la République a dénoncé des magistrats et des notables qui avaient commis des délits. Il a demandé une inspection pour faire la lumière sur ce qui se passe au tribunal de grande instance de Nice. Que croyez-vous qu’il arriva ? c’est lui que le rapport d’inspection désigne comme le coupable. Il n’a pas obéi aux règles de la corporation.

La mafia, gênée par des magistrats en Sicile [2], se cherche un autre porte-avion en Méditerranée. Elle ambitionne de s’emparer de la Corse. Dans l’attente, elle s’est par une géniale manœuvre de contournement installée dans le sud-est de la France. Sa longue expertise, son intelligence des réseaux lui ont fait adopter le masque de la respectabilité, de la notabilité, masque si efficace chez nous. Elle s’est ainsi faufilée parmi les élus locaux, dans les clubs, les loges maçonniques, les administrations – et parmi ces dernières, évidemment, en tout premier dans la justice et la police. Elle tire ainsi parti des bonnes mœurs corporatistes, de la protection que procure l’adhésion à un réseau, du discrédit qui s’attache à celui qui « fait des vagues » en dénonçant des malversations.

La position de force que la mafia s’est taillée résiste admirablement aux efforts d’un procureur solitaire, peu soutenu par son ministre, mal vu par sa hiérarchie. Parmi ceux qui réprouvent Montgolfier certains sont des naïfs qui n’ont pas vu la pieuvre et n'ont pas appris à lutter avec elle : ils cultivent les bonnes manières entre collègues et ignorent qu’elles ne devraient plus s’appliquer quand le collègue est pourri. D’autres obéissent à la pieuvre dont ils sont cadres ou militants. D’autres enfin ne font ni l’un ni l’autre, mais sont des lâches qui ont peur pour leur peau ou, plus bassement encore, pour leur carrière.

J’ignore si les vieux prisonniers seront libérés comme je le souhaite, mais je suis pessimiste pour Nice. Le crime est rémunérateur, le courage ne paie pas, tout esprit faible aime à jouer au dur, la violence passe pour de l’énergie.


[1] Une telle disposition doit être appliquée avec discernement : si les personnes de plus de 90 ans étaient assurées de l’impunité, les organisations criminelles les recruteraient comme elles recrutent aujourd’hui les jeunes enfants.  

[2] La pression de la magistrature est devenue plus discrète ces derniers mois en raison des dispositions prises par le gouvernement Berlusconi.