Réactions à la fiche "A
propos de la peine de mort"
1) Un directeur juridique
4 juillet 2001
1 - Il est bien sûr possible de
disserter savamment, selon une seule approche juridique, de la peine de mort.
Mais une telle approche biaise déjà la question. Elle ne me paraît donc pas
pertinente. L'arrêt rendu par la cour de cassation la semaine dernière à
propos de la mort d'un fœtus (s'agissait-il d'un homicide ?) montre que
celle-ci est aussi circonspecte que moi sur ce type de sujet.
2 - La notion de sacré est
intéressante et j'ai fait quelques recherches sur le mot. J'ai appris des
choses. Mais, jusqu'à présent, elles n'ont guère éclairé ma lanterne (en
l'état de mes informations, sacré voudrait dire séparé, ce qui ne fait pas
beaucoup avancer mes idées, au contraire). Il me semble cependant que le sacré
est, aujourd'hui, un mélange de transcendance et de choses ou d'actes très
prosaïques (des rites ?) : le sacré est la transcendance incarnée. J'ai lu
que Cocteau aurait dit que l'amour n'existe pas, que seules existent des preuves
d'amour. Cette déclaration venait au soutien - ou peu s'en faut - de ce qui
précède. Dire que la vie est sacrée signifierait-il qu'elle est transcendante
(Horreur !), ou qu'elle relève d'un ordre sur lequel les hommes n'ont pas prise
(ce qui revient au même) ? Mais dire que la vie est sacrée n'est-ce pas une
pétition de principe ? Cela ne va pas du tout de soi. Le Christianisme le
prétend-il ?(Qui veut sauver sa vie la perdra disait le Christ. Massacrez les
tous ! Dieu reconnaîtra les siens ! disait je ne sais plus quel évêque au
siège de Béziers). L'Antiquité le pensait-elle ? Non.
3 - Toujours selon une approche
très personnelle, il me semble que limiter le débat à la confrontation entre
la peine de mort et la justice, c'est encore une fois le biaiser. Ce n'est pas
la justice qui est en cause mais la société. De quel droit la société
s'autorise-t-elle à se prononcer sur la vie des hommes ? Pour quels motifs ? Au
nom de quoi ? De quelles valeurs ? Et cette question ramène au sacré : peut-il
être attenté à la vie humaine pour des raisons utilitaires, autrement dit,
celles-ci sont-elles de nature à légitimer qu'on mette à mort une personne
qu'on suppose sacrée ? Si la personne est effectivement sacrée, ne faut-il pas
des raisons au moins égales en valeur pour que la société s'arroge le droit
de mort ? Certaines sociétés ont de telles valeurs, d'autre non. Notre
société occidentale, pétrie de relativisme, ne les a évidemment pas. Bref,
de mon point de vue ce qui fait question ce n'est pas le caractère sacré ou
non de la vie, mais le droit de la société sur la vie des hommes. Question
archi-classique de la légitimité du pouvoir. Et c'est pour ça que le débat
juridique ne me paraît pas pertinent.
Il devient très dur de trancher,
en droit, certaines difficultés très humaines. Les juristes s'en tirent en
proposant le débat contradictoire généralisé (Supiot), proposition qui
relève de la méthode. Mais ce n'est pas suffisant. Vient un moment où il faut
trancher (Sans jeu de mot. Avant l'abrogation de la peine de mort, le code
pénal disait lapidairement : "tout condamné à mort aura la tête
tranchée"). Quelles valeurs réunissent choix sociaux et convictions
individuelles ? Au Parlement de le dire, et le juriste est tranquille. La cour
de cassation aussi. C'est sans doute un peu court.
2) Un directeur de la communication
6 juillet 2001
Tes considérations personnelles,
notamment sur la peine de mort, m'ont vivement intéressé mais ne m'ont pas
cependant totalement convaincu : autant je te rejoins sur le concept à
géométrie variable du sacré, autant ta conclusion "pas de peine de mort,
sauf..." ne me paraît pas tenir totalement la route. Elle est sujette à
quelque embardée émotionnelle : à partir de quoi doit-elle être appliquée ?
Je fais partie de cette catégorie de gens que tu estimes dotés de sens
pratique : c'est faire peu de cas des notions d'injustice, d'innocence, au-delà
de la mort qui en est, en l'occurrence, la conséquence tragique. Outre cette
raison fondamentale, il n'est pas, à mon sens, non plus possible, parce que
certains seraient irrécupérables, (mais en es-tu si sûr?), qu'une démocratie
civilisée (pléonasme?) érige comme système de justice la peine de mort, un
acte de violence inouïe.
Ce qui importe tout autant que
l'erreur judiciaire, ce sont les victimes. Il m'a été donné d'entendre une
mère dont l'enfant avait été tué. Elle ne réclamait pas la peine de mort de
l'assassin de son fils : si une victime peut arriver à une telle demande, à
une telle force, comment peut-on affaiblir notre système de justice, donc notre
cité, à travers la peine de mort ?
Ma réponse :
7 juillet 2001
Tu penses bien que je ne souhaite
la mort de personne, fût-il le pire criminel. Cependant je me méfie de la
bonne conscience que l'on se donne en supprimant la peine de mort. Les
conditions pratiques de la "peine de vie" infligée aux prisonniers la
font, dans certains cas, plus cruelle que la "peine de mort", même
si de
loin elle semble moins horrible. Il faudrait y penser aussi.
Voici la question cruciale :
"comment, dans les relations entre personnes, et particulièrement dans le
système pénal, manifester le respect dû à tout être
humain ?" La peine de mort doit être considérée à partir de cette
question-là, non à partir de l'émotion que suscite l'exécution.
Quelle est la limite de la
violence légitime ? la plupart des Français trouvent légitime que les agents
du service "action" exécutent les auteurs identifiés d'attentats
terroristes sur notre territoire. N'est-ce pas leur administrer la peine de mort
? Que cela se passe en secret n'y change rien.
Que penser d'une société qui se
détourne en frissonnant de la peine de mort, mais se délecte au spectacle de
la violence gratuite et du meurtre (cf. nos programmes audiovisuels), qu'elle
érige ainsi en modèles culturels et références du comportement ?
3) Un
journaliste (qui est aussi un philosophe) spécialisé en informatique
25 juillet 2001
Je pense que Badinter a une argumentation plus riche que
celle que tu cites.
Pour moi, l'argument fondamental contre la peine de mort,
c'est que son application implique que quelqu'un se charge de l'exécution, donc
tue. C'est dégradant pour le bourreau et pour tous ceux qui assistent à
l'opération avec un plaisir suspect, qu'il s'agisse de sadisme ou de vengeance.
Dans un autre ligne de pensée, on pourrait dire que la peine
de mort n'est vraiment justifiée que si le criminel lui-même est d'accord pour
son application. Et à la limite s'il se la donne lui-même. Mais on va là vers
bien d'autres difficultés.
La peine de mort n'est qu'un aspect du problème de nos
relations avec la mort. La mort est de moins en moins une fatalité "naturelle"
et de plus en plus une décision. Dès à présent, entre l'IVG, l'euthanasie, le
recours à des soins palliatifs contre la douleur qui abrègent l'existence... je
me demande si la mort n'est pas décidée dans la majorité des cas.
Nous n'arrêtons pas de prendre des risques pour nous et pour
les autres. Toutes les fois que nous prenons le volant de notre voiture le
risque de tuer est non négligeable (10 000 morts par an...).
Ma réponse :
26 juillet 2001
Tu comprends bien que je ne suis pas un partisan de la peine
de mort ! mais je trouve qu'on se donne bonne conscience à peu de frais en la
supprimant, sans pour autant régler les problèmes que posent l'attitude de la
police et de la justice, la façon dont on traite les prisonniers etc.
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