| Le bâtiment a un avantage sur 
le système d’information : quand un immeuble s’effondre, cela se voit. Combien 
de nos SI sont bancals, entretenus à grands frais et à coup d’expédients ? 
Combien d’entre eux sont inefficaces, imposés par la hiérarchie à des 
utilisateurs dont les avis ne sont pas écoutés ?  
 L’effondrement d’une partie du 
terminal 2E de Roissy le 23 mai 2004 donne l’image visible, donc scandaleuse, de 
situations qui, dans le domaine de l’informatique, n’ont pas la même évidence.
 
*  * Il se peut que cet accident 
s’explique par les mêmes causes qui ont conduit à équiper le bassin parisien 
d’un ensemble mal fichu d’aéroports.  Il est malencontreux d’avoir 
deux aéroports, Orly et Roissy, l’un au sud, l’autre au nord de Paris, entre 
lesquels la liaison par train prend une heure via la correspondance à 
Antony.  En outre lorsqu’il s’est agi 
d’équiper Roissy, dans une plaine où a priori tout était possible, on y a 
installé non pas une mais deux aérogares. La station du RER étant placée 
entre elles, on ne pouvait les atteindre qu’en prenant l’autobus (on a implanté 
par la suite un arrêt à Roissy 2 mais l’autobus reste nécessaire pour atteindre 
Roissy 1).  Le plan de Roissy 1, avec des 
terminaux en étoile autour de l’anneau central, interdit tout redimensionnement 
: tel il a été conçu, tel il restera, bloqué dans sa capacité initiale. Roissy 
2, lui, peut être agrandi : c’est ainsi que l’on a construit les terminaux 2E et 
2F. Mais les passagers en transit doivent, pour passer d’un terminal à l’autre, 
traîner leurs valises tout au long de l'aérogare ou prendre un autobus aux horaires aléatoires. 
 Les 
aéroports parisiens n’ont  pas été conçus pour les passagers en transit, ni 
pour la piétaille qui emprunte le RER, mais pour les personnes qui viennent en 
voiture et la garent au parking. Roissy 2 a été ainsi construit autour des parkings 
: c’était négliger les encombrements de l’autoroute A1 et ne pas anticiper le 
rôle de « hub » que jouent désormais les grands aéroports.  
 Au plan esthétique enfin 
l’anneau central de Roissy 1, avec son entrecroisement de passerelles 
transparentes, peut satisfaire le regard. Mais qu’en est-il des ondulations de 
béton de Roissy 2 ? La perspective intérieure qu’elles procurent est rompue, 
disent les puristes, par les guichets d’enregistrement et autres portiques 
électroniques qu’ont installés les exploitants. C’est dire que l’aérogare serait 
belle s’il n’y avait pas d’exploitants, donc ni passagers ni d’avions : 
quelle conception féroce de l’architecture ! Lorsque l’on transite par 
l’aéroport Hartsfield-Jackson d’Atlanta, on découvre un plan en forme de gril. 
Il est facile de le redimensionner en ajoutant des barres supplémentaires. Les 
terminaux sont reliés, entre eux comme au terminal principal, par la navette 
d’un métro automatique. Les transits sont rapides et peu fatigants. Cette 
aérogare-là a la beauté de l’intelligence, cette beauté qui fait resplendir 
toute architecture adéquate à sa fonction.  
*  * Venons-en à l’effondrement 
d’une partie de l’aérogare 2E. Comme, pour tout accident, il faut un coupable, 
on le cherche. L’architecte ? Les entreprises ? Les vérificateurs ? Mais il 
n’est pas besoin d’enquête pour rappeler un principe : le premier coupable, 
c’est nécessairement Aéroport de Paris, maître d’ouvrage ; et si l’on tient 
absolument à mettre au pilori une personne physique, ce doit être son président 
et lui seul.
 Le maître d’ouvrage est en 
effet responsable  de sa mission, de la qualité des outils qu’il met en œuvre 
pour la remplir, de l'organisation dont il se dote. C’est lui qui a rédigé les 
cahiers des charges, négocié les contrats, désigné le maître d’œuvre, 
réceptionné les travaux. S’il y a eu un défaut de fabrication, il aurait dû le 
détecter.  Quand on dit « maître 
d’ouvrage », on désigne une personne morale, une entreprise, et non la personne 
physique à qui l’on a donné mission de la représenter et à qui, trop souvent, l’on 
refuse les moyens et la légitimité nécessaires.  La responsabilité du maître 
d’œuvre et des entreprises vient en second, s’il y a eu tromperie sur la qualité 
des fournitures : mais même alors le maître d’ouvrage sera coupable de ne pas 
l’avoir perçue et de ne pas avoir fait corriger les défauts avant la mise en 
exploitation.  
*  * Il en est de même pour le 
système d’information. Pourquoi plaidons-nous pour la professionnalisation de la 
maîtrise d’ouvrage du SI ? Parce que la maîtrise d’ouvrage est responsable de 
son organisation, de ses processus de travail et de leur automatisation, apport 
spécifique du SI. Si une partie d'un SI s’effondre comme s’est effondrée une 
partie de Roissy 2, ce sera de la faute de la maîtrise d’ouvrage. Comme 
il lui serait alors commode de se réfugier derrière l’informatique, ou derrière 
des fournisseurs qu’elle avait divisés pour mieux régner sur eux ! C’est pour pouvoir se défausser 
de leur responsabilité en cas de « pépin » que des maîtrises d’ouvrage préfèrent 
ignorer leur système d’information et confier sa conception à la direction 
informatique de l'entreprise ou, pis encore, à une SSII. Cette démission est une 
faute systémique plus grave, par ses conséquences, que l’étourderie ou la 
négligence qui auront causé le « pépin ».  |