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Encore la sécurité

1er novembre 2001

(Cette fiche fait suite à "Quelle sécurité ?")

Lorsqu'un sujet devient à la mode, préoccupe les médias, s'impose à notre imagination, nous devons nous demander à qui et à quoi cela profite, vers quoi cela nous conduit. 

Il en est ainsi de la sécurité. Oui, il y a des agressions, des cambriolages, des vols de voiture, des viols, etc. Il y en a toujours eu, il y en aura toujours, c'est déplorable mais c'est ainsi. Il faut poursuivre et punir les auteurs de ces délits ou de ces crimes. Notre sécurité, c'est d'abord l'affaire de la police et de la justice. Nous leur demandons de faire en sorte que la violence soit contenue dans des bornes socialement admissibles. 

Le service public, dans une république, c'est le domestique des citoyens. Nous devons exiger d'être bien servis. La question de la sécurité apparaît alors comme une affaire de technique professionnelle et de budget - et aussi de sociologie. Quand on parle d'institutions, on doit anticiper leurs effets pervers. Il peut arriver en effet que la police et la justice soient des menaces pour la sécurité, de même que l'armée, censée protéger la nation, se fait parfois l'outil d'une dictature. De tels détournements sont historiquement trop fréquents pour que le citoyen ne se défie pas des appels au loyalisme, à la discipline ou au respect de la loi qui accompagnent habituellement ces abus. Le crime emprunte les arguments du devoir : "Meine Ehre heißt Treue", "mon honneur s'appelle fidélité", c'était la devise gravée sur les poignards des SS. La "political correctness" interdit que l'on s'interroge sur la qualité des décisions de justice, la pertinence des méthodes de police, l'intelligence des décisions militaires. C'est à tort qu'elle prétend limiter la liberté d'opinion du citoyen. Nous avons le devoir d'être exigeants et vigilants envers les institutions à qui nous déléguons le soin de notre sécurité. 

Une fois rempli ce devoir civique, devons-nous continuer à nous soucier de la sécurité ? doit-elle hanter nos nuits, accaparer nos conversations ? devons-nous avoir le souci constant de l'agression potentielle dans la rue, le métro, nos maisons ? devons-nous frissonner lorsque nous croisons une personne inconnue, penser qu'elle pourrait nous attaquer, nous préparer à courir ou à nous battre ? devons-nous, pour parer à toute éventualité, nous munir d'une arme que nous porterons sous l'aisselle, comme les policiers et les gangsters des films américains ? Quelle vie ce serait ! 

Ne ferions-nous pas mieux de penser à autre chose ? cette inquiétude, ce sentiment d'insécurité, sont-ils fondés, ou trouvent-ils leur origine dans un imaginaire créé et entretenu par les médias ? La probabilité d'une agression est moindre que celle d'un accident de voiture, et ses suites sont moins graves. Relativisons donc, et occupons-nous d'autre chose. Au lieu de nous procurer des frayeurs à propos de sécurité, nous ferions mieux de chercher à connaître et comprendre la nature, à écouter et comprendre les êtres humains. Cela occuperait notre cervelle d'une façon plus utile et plus agréable.

On me dira : "Vous en parlez à votre aise, vous qui appartenez à une classe sociale aisée et habitez un quartier paisible ; pensez à ceux qui habitent les cités, soumis à la pression constante des bandes etc." J'y pense, et en effet il y a là un problème technique de justice et de police (et aussi d'urbanisme, de sociologie, d'éducation) qui nous concerne en tant que citoyens, cf. plus haut. Mais j'observe que les personnes qui sont obsédées par la sécurité sont souvent de celles que rien ne menace. A qui, à quoi cela sert-il qu'elles vivent dans la peur ? Vers quelle société, vers quels rapports humains cela nous conduit-il ? D'ailleurs, quand j'y repense, je ne suis pas si privilégié que cela. Il m'est arrivé quelquefois d'être cambriolé, volé et même, oui, agressé - seulement je n'y accorde pas grande attention, cela ne se grave pas dans ma mémoire, d'autres occupations m'intéressent davantage.. 

Il est ici utile de penser en termes de proportions. J'étais, voici quelques dizaines d'années, à la tête d'un service d'une soixantaine de personnes dans une administration. Elles me donnaient du tintouin. Toujours des disputes, des contrariétés. Untel ne voulait pas travailler avec tel autre, un chantier prenait du retard, un travail n'était ni fait ni à faire etc. Pour en avoir le cœur net, j'ai pris une liste et coché les noms des emmerdeurs. A ma grande surprise, ils ne représentaient que 20 % de l'effectif. 80 % des gens travaillaient bien et sans histoires. J'ai affiné l'analyse en créant deux catégories : la moitié de ces 20 % étaient des personnes de bonne volonté mais inefficaces pour des raisons diverses (maladie, problèmes personnels etc.) L'autre moitié était composée de gens désagréables. Ces proportions (80 % convenables, 10 % malades, 10 % désagréables), je les ai retrouvées partout durant ma carrière. Faites de bonne foi le même exercice, vous ne tomberez pas loin de ce résultat. 

Je crois que les proportions sont à peu près les mêmes si l'on considère l'ensemble de la société. Les problèmes de sécurité sont causés par la fraction la plus active des 10 % désagréables. On peut focaliser son attention sur ces personnes, et certes elles se manifestent souvent. Elles appartiennent à tous les milieux sociaux, à toutes les classes d'âge. Il faut s'organiser pour les tenir en respect. Mais n'oublions pas les autres, l'écrasante majorité, avec qui il fait bon vivre !