J'ai reçu le témoignage d'un grand expert en SI ; je le reproduis ci-dessous
après l'avoir rendu anonyme et avoir masqué ce qui aurait pu permettre
d'identifier l'entreprise dans laquelle sa carrière s'est déroulée.
*
*
Ta
lettre à M. le
PDG
me gène un peu.
Tu
as raison d'attirer son attention sur la qualité du SI, qui demande certes une
compétence technique mais qui peut être maîtrisé en faisant appel aux
spécialistes compétents ...
Mais ton argumentation sera-t-elle crédible pour l'intéressé - pardon, pour le
non-intéressé en question ?
Il
m'est arrivé de participer à des réunions où des responsables du SI de mon
entreprise réfléchissaient aux moyens d'intéresser le Président aux Systèmes
d'Information. L'argument de sécurité du SI était systématiquement utilisé mais
sans grand résultat : la sécurité est certes un point important sur lequel nous
devions grandement progresser, mais il ne semblait pas plus important, aux yeux
du Président, que la sûreté des usines ou celle du réseau. La sécurité du
SI semblait d'ailleurs exiger moins de hautes connaissances techniques que ces
deux dernières.
M.
le PDG classe - de manière plus ou moins explicite - affaires et dossiers par
ordre d'importance et/ou d'urgence. Donc les membres de sa cour - pardon, de son
entourage -, selon les domaines sur lesquels ils exercent un pouvoir,
s'efforcent de montrer que tel ou tel aspect du métier est fondamental et
requiert davantage d'attention de la part du Président.
Je
me rappelle un Directeur Financier arguant qu'il avait certain jour, en jouant
sur la dette, fait gagner à l'entreprise plus d'argent que ce que rapportait la
production, ou ces commerciaux qui peinaient à convaincre de l'importance de
leur activité. Chaque métier, chaque fonction voudrait que Papa s'intéressât
davantage à lui, qu'il estimât mieux la difficulté de sa tâche et l'importance
de sa contribution aux résultats y compris à la diminution des risques. M. le
PDG, habitué à de telles argumentations, s'en méfie.
Tu
lui signales que son SI ressemble à un SI comme le noeud de vache au noeud plat.
Tu fais ainsi référence à un SI idéalisé : existe-t-il ailleurs que dans les
livres ? Si oui, pourquoi ne pas le lui montrer : "regardez, M. le Président,
tel concurrent à un vrai SI, voyez à quoi ça ressemble !". Mon expérience est
que ça ne marche pas, M. le Président de mon entreprise ayant tôt fait de
vérifier auprès de son concurrent que ses conseillers ont dit exactement la même
chose. J'ai vu aussi utiliser l'argument que le concurrent
pourrait
se doter d'un "vrai" SI, lui.
Un
autre argument finit (presque) toujours par s'imposer : "M. le PDG, votre SI est
vieux, technologiquement parlant". Peu importe alors si ce SI donne globalement
satisfaction, s'il coûte en production et maintenance dix à 20 fois moins que
celui des concurrents, si les utilisateurs en sont assez contents et se le sont
approprié, si les autorisations y sont bien gérées en cohérence avec les
changements incessants des rôles et fonctions du personnel, si les fournisseurs
se sont engagés à ce que les systèmes tournent encore pendant cinq ans etc. Non
: un SI, c'est comme un être humain : lorsqu'il a atteint sa pleine maturité
et accumulé un incroyable capital de connaissances, on le jette parce qu'il est
"trop vieux".
Peut-être le PDG de ta lettre ne ressemble-t-il pas au PDG de mon ex-entreprise
?
Tu
as raison, il faut encore et encore faire connaître l'importance des SI pour les
entreprises. Mais peut-être devrions-nous étudier davantage l'argumentaire à
développer pour que les PDG s'y intéressent vraiment. |