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Publier sur le Web

9 décembre 2001

Certains se plaignent de la mauvaise qualité des informations que l'on trouve sur le Web. Ils ont à la fois tort et raison. Quand on utilise un bon moteur de recherche comme www.google.fr, et si l'on tape des mots clés bien choisis, arrivent plusieurs dizaines d'adresses URL. On clique sur ces adresses et c'est comme si l'on fouillait une poubelle : on trouve l'équivalent d'une chaussure usée, d'un journal de la veille, d'une chose innommable et visqueuse puis pouf ! une pièce d'or - c'est-à-dire la réponse à la question que l'on se posait - événement qui fait la différence entre le Web et une poubelle, car vous pourriez fouiller longtemps des poubelles, vous n'y trouveriez pas de pièce d'or. 

Il est vrai que parfois l'on ne trouve rien. J'ai ainsi cherché vainement sur le Web l'article de Gordon Moore intitulé " Cramming more components into integrated circuits ", Electronics, 19 avril 1965, ce fameux article qui est à l'origine de la "loi de Moore". Bien qu'il soit souvent cité et commenté (avec des citations parfois erronées), on ne le trouve nulle part. Pour me le procurer, j'ai dû me faire recommander auprès de l'éditeur américain qui a bien voulu me fournir une photocopie. 

(NB du 30 août 2003 : on trouve maintenant cet article sur le site d'Intel, à l'adresse ftp://download.intel.com/research/silicon/moorespaper.pdf )

Autre expérience : impossible de trouver sur le Web le contenu de l'ouvrage "History of Programming Languages", Addislon-Wesley 1981, qui rend compte de la conférence HOPL de l'ACM en 1978 et décrit notamment les origines de Fortran, Cobol et LISP. Impossible aussi de l'obtenir, que ce soit neuf ou d'occasion (si vous en avez un exemplaire d'occasion, je suis acheteur). L'ACM diffuse une abondante documentation, mais pas celle-là : "les contenus des ouvrages ne sont pas mis sur le Web". 

Ainsi l'on trouve sur le Web des commentaires, parfois erronés, mais il est difficile d'y trouver les textes originaux. C'est sans doute une question de copyright. On s'étonne parfois que je mette du contenu sur mon site et l'on m'en remercie. Mais c'est tout naturel, de mettre du contenu sur un site ! où le mettre sinon ? sur des étagères ? dans ma tête ? mes "idées", qui sont d'ailleurs souvent celles que d'autres m'ont suggérées, je ne les considère pas comme ma propriété mais comme un flux dont je suis le modeste transmetteur ; et un flux ne présente d'intérêt que s'il circule. 

Il faut d'ailleurs relativiser ces histoires de droit d'auteur. Savez-vous ce que rapporte à son auteur un livre sur lequel il a sué pendant des mois, un livre de réflexion sérieux qui n'a pas les caractéristiques favorables à la grosse vente ? Eh bien ce livre, qui a demandé tant de travail, sera imprimé à un petit millier d'exemplaires dont quelques centaines seront vendus. Supposons qu'il se vende 200 F et que vous ayez 10 % de droit d'auteur : il vous reviendra 2 000 F par centaine de livres vendus. Ce sera un grand succès s'il vous rapporte 10 000 F par an pendant deux ans. Comparé au prix de journée d'un consultant, et compte tenu du temps que l'on doit consacrer à l'écriture d'un livre, c'est autant dire rien. 

On ne publie pas un livre sérieux, sur un sujet auquel on a longuement réfléchi, pour l'argent que cela rapporte mais pour mettre en circulation des idées que l'on croit utiles, pour lesquelles on estime devoir militer. Or l'édition sur papier est de ce point de vue un vecteur peu efficace. Votre livre est publié parmi des milliers d'autres ; il n'est présenté sur les devantures des librairies, dans les rayons, que pendant les semaines qui suivent sa publication. Il n'existe donc sur le marché que durant la courte période où il constitue une nouveauté. Il en est de même des articles : vous publiez dans une revue, fort bien ; dès que le numéro suivant paraîtra, votre article commencera à jaunir sur les étagères. Qu'il s'agisse d'un livre ou d'un article, le rendement de l'imprimé en termes de communication est très limité. 

C'est pourquoi je ne conçois pas la superstition qui empêche les auteurs, les éditeurs, de mettre les textes sur le Web. Croient-ils qu'ils en vendront moins ? c'est tout le contraire si l'on pense à des essais qui de toute façon ne se diffuseraient qu'à quelques centaines d'exemplaires. Les moteurs de recherche maintiennent le texte en vie, le signalent aux curieux, aux chercheurs. J'ai mis sur le Web des textes que j'avais publiés voici 30 ans et qui étaient bien sûr difficiles à trouver. Cela leur a donné une seconde vie autrement impossible.

Je participais l'autre soir à une réunion chez les "Verts" où l'on parlait de la diffusion de textes gratuits sur le Web. Tous disaient qu'il fallait l'encourager, certains soutenaient que le caractère individuel de l'écriture était une fiction et idéalisaient la pratique médiévale de l'anonymat des artistes. Plusieurs d'entre eux avaient cependant publié des livres et des articles. "Et toi, leur ai-je demandé, as-tu mis tes travaux sur le Web ? Non ? Qu'est-ce qui t'en empêche ?" Les réponses, embarrassées, furent du genre "Je ne m'y connais pas assez en informatique". Allons donc ! quiconque sait taper un texte peut utiliser FrontPage, comme je le fais en ce moment. 

Revenons sur le caractère individuel de l'écriture. Si je dis que l'auteur est porteur d'un flux qui le traverse plutôt que son créateur véritable, je ne suis pas pour autant d'accord pour gommer toute référence à son individualité. En effet un auteur ne se comprend bien que si l'on prend le temps d'entrer dans son langage, son vocabulaire, ses préoccupations ; on interprète ses textes en se plaçant dans son monde mental, et il ne convient pas de les séparer les uns des autres. Je suis un amateur d'œuvres complètes : je n'ai jamais mieux compris Racine qu'en lisant le petit quatrain satirique que l'on ne trouve que dans l'édition des grands écrivains. C'est pourquoi je joins à mes textes un copyright qui oblige l'utilisateur à citer la source. Bien sûr certains utiliseront mes textes sans me citer et cela m'est indifférent : si je demande que l'on cite mon nom, ce n'est pas pour la gloire que cela m'apporterait, mais pour que ceux que ma façon d'écrire intéresse puissent trouver d'autres textes de la même source et engager avec moi le dialogue du lecteur et de l'auteur. Ce dialogue est le but principal et même unique de l'écriture, même s'il se déroule pratiquement toujours à l'insu de l'auteur.  

J'invite donc tous ceux - consultants, journalistes, écrivains, philosophes, chercheurs : penseurs en un mot - qui mettent en forme des idées et créent ainsi du contenu, à le mettre à disposition sur le Web en utilisant la GNU Free Documentation License . J'invite les éditeurs à mettre sur leur site Web, en libre accès, le texte intégral et original des textes fondamentaux d'une discipline. Cela leur fera honneur ainsi qu'aux auteurs. J'invite les éditeurs de revues de faible tirage à mettre l'intégralité des articles sur le Web : ce lectorat démultipliera leur influence et celle-ci fera finalement croître le nombre de leurs abonnés, car il est plus agréable de lire sur papier que sur l'écran et les cartouches d'encre pour imprimante coûtent cher.