Quand suis-je saisie par une émotion intellectuelle intense à la
lecture d’un essai ? J’ai identifié trois déclencheurs. Il faut que l’essai
ouvre des fenêtres dans mon esprit, qu’il me rende le réel lisible différemment.
Il faut aussi que la théorie avancée soit validée par mes propres expériences,
ainsi « revisitées » par un nouveau regard. Il faut enfin que je sente la
densité de réflexion de l’auteur, son souci de documentation, de macération sur
la longue route, son labeur en quelque sorte, mais sous forme sublimée par la
structure et le style.
Prédation
et prédateurs
a mis le turbo à mes trois déclencheurs et je l’ai dégusté dans un état de vraie
jubilation.
Une seule des pensées lumineuses qui jalonnent l’ouvrage aurait
suffi à faire un livre entier. Imaginons en les titres :
Tome 1 : « Capital à haut risque » avec en sous-titre « Les
capital-risqueurs ne sont pas ceux que l’on croit »
Quelle merveilleuse audace et quel courage d’oser défier la pensée dominante de
la discipline Économie et de montrer ce glissement des coûts de production vers
la phase de conception !
Tome 2 : « Corruption : le retour de la féodalité » avec en sous-titre
« S’abriter des ennemis, triompher des égaux, opprimer les inférieurs »
Mais deux tomes nous auraient privés de l’art avec lequel l’auteur tisse la
chaîne de l’un et la trame de l’autre, dans une perspective holistique
parfaitement maîtrisée.
Alors, soyons heureux que Michel Volle ait réussi la performance
de mener de conserve réflexion économique sur les mécanismes d’émergence de la
corruption et sur l’évolution de la fonction de production, réflexion
sociologique sur nos institutions encore programmées pour servir le système
technique des 19e et 20e siècles ou sur la nouvelle
aristocratie des médias, réflexion stratégique sur le nécessaire nouveau rôle
des armées, réflexion épistémologique sur l’idéologie de la régulation par le
libre marché, réflexion morale sur la complémentarité et non la superposition de
l’éthique et de l’efficacité, réflexion psychosociologique sur les résistances
au changement chez ceux qui devraient précisément les conduire, etc. et etc.
encore !
Pour tout cela, il lui sera pardonné d’avoir cédé à une coupable
compulsion et d’avoir asséné au lecteur durant une vingtaine de pages une
formalisation mathématique dont la finalité démonstrative était superflue. À la
page 140, l’auteur avait déjà gagné toute notre confiance !
Selon mes informations, cet ouvrage est l’aboutissement de trente
années de réflexion. Puisse l’auteur continuer, depuis ses chères Cévennes, à
nous enchanter durant les trente prochaines années.
Liliane de Lassus, de formation scientifique, a été Directeur
Général d’une entreprise internationale cotée sur Euronext et leader mondial
dans son domaine. Elle a aussi été pendant quinze ans Conseil en management des
hommes auprès des Dirigeants d’entreprise, activité qu’elle pratique à nouveau
aujourd’hui. Elle s’est toujours intéressée, à des titres divers, aux
conséquences de l’apparition de l’informatique (concept EHO/APU dans la
terminologie de l’auteur) au tournant des années 1970. |