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Prédation et prédateurs

5 novembre 2007

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- De l'Informatique

- Liste de mes livres

En cliquant sur le lien ci-dessous vous pourrez télécharger le texte de mon dernier livre, Prédation et prédateurs, Economica 2008, ISBN 978-2-7178-5458-9. Il a été diffusé dans les librairies le 28 janvier 2008.

Prédation et prédateurs, format pdf, 1920 Ko, 243 pages.

Si vous avez l'intention de l'imprimer pour le lire, je conseille de cliquer sur l'icône qui se trouve à droite sur cette page et de commander le livre sur Amazon : ce sera gentil envers mon éditeur qui tolère patiemment la mise à disposition du fichier pdf. D'ailleurs imprimer le fichier coûte plus cher que d'acheter le livre, vu le prix des cartouches d'encre.

Analyses de ce livre :
- Frédéric Lefebvre-Naré
- Laurent Bloch
- Henri Nadel
- Nicolas Curien
- Liliane de Lassus
- amazon.fr

Je reproduis ci-dessous le texte de l'introduction (les renvois à la bibliographie et aux figures s'explicitent dans le document pdf).

*     *

INTRODUCTION

« On est passé d’un capitalisme du laisser-faire à un capitalisme de la brutalité. Il faut, au XXIe siècle, instaurer un capitalisme de la responsabilité. » (Daniel Brennan, Corporate Social Responsibility [24].)

En 1975 s’est produite une rupture dont on ne saurait surestimer l’importance. Entre autres phénomènes elle nous a fait entrer (ou revenir), sans que rien ne nous y ait préparés, sous le régime de la prédation.

*    *

Amorcées par la crise de 1968, les années 1970 ont été marquées par le choc pétrolier d’octobre 1973, puis par l’informatisation accélérée des entreprises, enfin par une inflexion brutale de l’emploi au détriment du secteur secondaire (voir la figure 8.1, page 139).

Alors que l’économie moderne des trois premiers quarts du XXe siècle avait été dominée par l’industrie (mécanique, chimie, électricité), le dernier quart a vu émerger une économie contemporaine informatisée (microélectronique et logiciel), automatisée et dominée par l’activité tertiaire.

L’économie, la société, ont alors brutalement changé de pivot : elles avaient auparavant tourné autour de la mécanique, elles tournent désormais autour de l’informatique. Il en est résulté un changement des orientations, priorités et « valeurs ». La finance, la communication ont pris le dessus au détriment des « fondamentaux » ; l’écart s’est creusé entre les plus riches et les plus pauvres.

Un bouquet de phénomènes s’est ainsi déployé : automatisation de la production et organisation en réseaux (Boltanski et Chiapello [20]), financiarisation, médiatisation, mondialisation, désindustrialisation, enrichissement extravagant d’une petite minorité, exclusion d’une autre minorité, plus nombreuse. Le culte de la richesse et du pouvoir, qui certes avait toujours existé, est devenu intense (Gergorin [53]). La guerre elle-même ne se mène plus sur le champ de bataille où s’affrontaient des armées mécanisées mais au sein de la population (Smith [137]) ; la force armée s’est largement privatisée (Singer [133]).

Confrontées à ces phénomènes les institutions sont comme frappées de stupeur : les « systèmes » que l’économie moderne avait non sans mal ni sans luttes mis au point (systèmes éducatif, sanitaire, fiscal, militaire, judiciaire, politique etc.) se trouvent soudain obsolètes. Il en résulte une crise multiforme, généralisée, sournoise, qui déconcerte les meilleures volontés.

*      *

Certes le prédateur, « celui qui vit de proies [1] », n’est pas un personnage nouveau : la criminalité est de tous les temps ; l’économie médiévale se caractérisait par un équilibre approximatif entre prédation et charité ; dans l’économie moderne elle-même les entreprises, les nations en compétition se sont affrontées durement.

Mais si l’économie moderne a connu la prédation y compris sous les formes extrêmes de l’impérialisme et de la guerre industrielle, elle n’en était pas moins fondée sur l’échange équilibré où aucune des parties n’est en mesure d’imposer une transaction à l’autre.

Dans l’économie contemporaine par contre se rencontre une prédation endogène qui n’est ni accidentelle ni marginale. Elle résulte, nous le montrerons (voir par exemple p. 69), de ses caractéristiques les plus fondamentales.

Avec le développement de la « criminalité en col blanc » (corruption, rétrocommissions, caisses noires, blanchiment, manipulations des comptes et des médias, délits d’initié) les moeurs du milieu ont contaminé le bon milieu où se recrutent les dirigeants. L’informatique et les réseaux procurent aux prédateurs des outils d’une efficacité inédite (Robert [121]).

On observe ainsi une résurgence de la féodalité : affaiblissement de l’État et des institutions publiques, conquête et contrôle de territoires (dans l’espace des marchés toutefois plus que dans l’espace géographique) par des « seigneurs » dont certains des plus puissants (Bill Gates, Warren Buffett) redistribuent charitablement l’excès de leur richesse.

*      *

Comment expliquer de tels phénomènes?

Il arrive souvent que plusieurs causes jouent simultanément : ainsi toute innovation suppose qu’au préalable une invention ait transformé le champ du possible, puis qu’une crise ait désamorcé les blocages qui s’opposeraient à l’exploitation de la possibilité nouvelle, ensuite qu’une mise au point l’ait concrétisée en un produit, enfin que ce produit ait rencontré une demande.

Chacun, selon sa spécialité, situera la cause de l’innovation dans l’un de ces quatre épisodes : le scientifique dans l’invention, le sociologue dans la rupture institutionnelle et culturelle, l’ingénieur dans la mise au point technique, l’homme du marketing dans la réponse de la demande. Mais chacun de ces épisodes est nécessaire et plutôt que d’invoquer une cause unique on peut les ordonner selon le fil qui relie les « couches » solidaires de la causalité.

C’est ce que nous tenterons ici. Nous inspirant de la démarche de Bertrand Gille dans son Histoire des techniques [55], nous développerons la thèse qui place à l’origine de ces phénomènes l’émergence d’un système technique contemporain, puis la forme spécifique qu’y ont prise la fonction de production et, par voie de conséquence, la fonction de coût.

*      *

La prédation, étant endogène, est-elle fatale ?

Aucun mécanisme n’est fatal pour peu qu’il ait été compris car alors on peut faire jouer d’autres mécanismes qui le compenseront. C’est pourquoi il est si nécessaire, aujourd’hui, d’élucider la prédation.

La réponse qu’on peut lui apporter pivote autour des valeurs. Que voulons-nous faire et, plus profondément, que voulons-nous être ? Quelle orientation entendons-nous donner à notre vie, à notre action?

Il n’est pas fortuit que ces questions, radicales au sens exact du mot, émergent aujourd’hui au premier plan. Certains travaux leur apportent une réponse qui peut satisfaire les plus hautes exigences – à condition toutefois que l’on prenne la peine de les lire attentivement et d’en tirer les conséquences [2].

*      *

La réflexion sur les valeurs fonde une autre réflexion, plus technique, sur la mission des institutions – notamment sur celle de l’entreprise, naturellement placée au centre du système productif –, puis sur la façon dont la mission est remplie.

Si l’on parvient à réveiller les institutions il sera possible d’équilibrer la prédation endogène de telle sorte qu’elle soit non plus un mécanisme fatal, mais une tentation que l’on sache contenir et dont les effets résiduels, statistiquement inévitables, puissent être compensés.
___________________

[1] Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1863.

[2] John Rawls, A Theory of Justice [116]; Rupert Smith, The Utility of Force [137] ; Jean-Luc Gréau, L’avenir du capitalisme [62].