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mon dernier livre, Prédation et prédateurs, Economica 2008, ISBN
978-2-7178-5458-9. Il a été diffusé dans les librairies le 28 janvier 2008.
Prédation et prédateurs, format
pdf, 1920 Ko, 243 pages.
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Analyses de ce livre :
- Frédéric Lefebvre-Naré
- Laurent Bloch
- Henri Nadel
- Nicolas Curien
- Liliane de Lassus
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Je reproduis ci-dessous le texte de l'introduction (les
renvois à la bibliographie et aux figures s'explicitent dans le document pdf).
* *
INTRODUCTION
« On est passé d’un capitalisme du laisser-faire à un
capitalisme de la brutalité. Il faut, au XXIe siècle, instaurer un capitalisme
de la responsabilité. » (Daniel Brennan, Corporate Social Responsibility
[24].)
En 1975 s’est produite une rupture dont on ne
saurait surestimer l’importance. Entre autres phénomènes elle nous a fait entrer
(ou revenir), sans que rien ne nous y ait préparés, sous le régime de la
prédation.
* *
Amorcées par la crise de 1968, les années 1970
ont été marquées par le choc pétrolier d’octobre 1973, puis par
l’informatisation accélérée des entreprises, enfin par une inflexion brutale de
l’emploi au détriment du secteur secondaire (voir la figure 8.1, page 139).
Alors que l’économie moderne des trois
premiers quarts du XXe siècle avait été dominée par l’industrie (mécanique,
chimie, électricité), le dernier quart a vu émerger une économie
contemporaine informatisée (microélectronique et logiciel), automatisée et
dominée par l’activité tertiaire.
L’économie, la société, ont alors brutalement
changé de pivot : elles avaient auparavant tourné autour de la mécanique, elles
tournent désormais autour de l’informatique. Il en est résulté un changement des
orientations, priorités et « valeurs ». La finance, la communication ont pris le
dessus au détriment des « fondamentaux » ; l’écart s’est creusé entre les plus
riches et les plus pauvres.
Un bouquet de phénomènes s’est ainsi déployé :
automatisation de la production et organisation en réseaux (Boltanski et
Chiapello [20]), financiarisation, médiatisation, mondialisation,
désindustrialisation, enrichissement extravagant d’une petite minorité,
exclusion d’une autre minorité, plus nombreuse. Le culte de la richesse et du
pouvoir, qui certes avait toujours existé, est devenu intense (Gergorin [53]).
La guerre elle-même ne se mène plus sur le champ de bataille où s’affrontaient
des armées mécanisées mais au sein de la population (Smith [137]) ; la
force armée s’est largement privatisée (Singer [133]).
Confrontées à ces phénomènes les institutions
sont comme frappées de stupeur : les « systèmes » que l’économie moderne avait
non sans mal ni sans luttes mis au point (systèmes éducatif, sanitaire, fiscal,
militaire, judiciaire, politique etc.) se trouvent soudain obsolètes. Il en
résulte une crise multiforme, généralisée, sournoise, qui déconcerte les
meilleures volontés.
* *
Certes le prédateur, « celui qui vit de proies
», n’est pas un personnage nouveau : la criminalité est de tous les temps ;
l’économie médiévale se caractérisait par un équilibre approximatif entre
prédation et charité ; dans l’économie moderne elle-même les entreprises, les
nations en compétition se sont affrontées durement.
Mais si l’économie moderne a connu la prédation y
compris sous les formes extrêmes de l’impérialisme et de la guerre industrielle,
elle n’en était pas moins fondée sur l’échange équilibré où aucune des
parties n’est en mesure d’imposer une transaction à l’autre.
Dans l’économie contemporaine par contre se
rencontre une prédation endogène qui n’est ni accidentelle ni marginale.
Elle résulte, nous le montrerons (voir par exemple p. 69), de ses
caractéristiques les plus fondamentales.
Avec le développement de la « criminalité en col
blanc » (corruption, rétrocommissions, caisses noires, blanchiment,
manipulations des comptes et des médias, délits d’initié) les moeurs du
milieu ont contaminé le bon milieu où se recrutent les dirigeants.
L’informatique et les réseaux procurent aux prédateurs des outils d’une
efficacité inédite (Robert [121]).
On observe ainsi une résurgence de la
féodalité : affaiblissement de l’État et des institutions publiques,
conquête et contrôle de territoires (dans l’espace des marchés toutefois plus
que dans l’espace géographique) par des « seigneurs » dont certains des plus
puissants (Bill Gates, Warren Buffett) redistribuent charitablement l’excès de
leur richesse.
* *
Comment expliquer de tels phénomènes?
Il arrive souvent que plusieurs causes jouent
simultanément : ainsi toute innovation suppose qu’au préalable une invention ait
transformé le champ du possible, puis qu’une crise ait désamorcé les blocages
qui s’opposeraient à l’exploitation de la possibilité nouvelle, ensuite qu’une
mise au point l’ait concrétisée en un produit, enfin que ce produit ait
rencontré une demande.
Chacun, selon sa spécialité, situera la cause de
l’innovation dans l’un de ces quatre épisodes : le scientifique dans
l’invention, le sociologue dans la rupture institutionnelle et culturelle,
l’ingénieur dans la mise au point technique, l’homme du marketing dans la
réponse de la demande. Mais chacun de ces épisodes est nécessaire et plutôt que
d’invoquer une cause unique on peut les ordonner selon le fil qui relie les «
couches » solidaires de la causalité.
C’est ce que nous tenterons ici. Nous inspirant
de la démarche de Bertrand Gille dans son Histoire des techniques [55],
nous développerons la thèse qui place à l’origine de ces phénomènes l’émergence
d’un système technique contemporain, puis la forme spécifique qu’y ont
prise la fonction de production et, par voie de conséquence, la
fonction de coût.
* *
La prédation, étant endogène, est-elle fatale
?
Aucun mécanisme n’est fatal pour peu qu’il ait
été compris car alors on peut faire jouer d’autres mécanismes qui le
compenseront. C’est pourquoi il est si nécessaire, aujourd’hui, d’élucider
la prédation.
La réponse qu’on peut lui apporter pivote autour
des valeurs. Que voulons-nous faire et, plus profondément, que
voulons-nous être ? Quelle orientation entendons-nous donner à
notre vie, à notre action?
Il n’est pas fortuit que ces questions, radicales
au sens exact du mot, émergent aujourd’hui au premier plan. Certains travaux
leur apportent une réponse qui peut satisfaire les plus hautes exigences – à
condition toutefois que l’on prenne la peine de les lire attentivement et d’en
tirer les conséquences
.
* *
La réflexion sur les valeurs fonde une autre
réflexion, plus technique, sur la mission des institutions – notamment
sur celle de l’entreprise, naturellement placée au centre du système
productif –, puis sur la façon dont la mission est remplie.
Si l’on parvient à réveiller les institutions il
sera possible d’équilibrer la prédation endogène de telle sorte qu’elle soit non
plus un mécanisme fatal, mais une tentation que l’on sache contenir et
dont les effets résiduels, statistiquement inévitables, puissent être compensés.
___________________
Émile Littré, Dictionnaire
de la langue française, 1863.
John Rawls, A Theory of
Justice [116]; Rupert Smith, The Utility of Force [137] ; Jean-Luc
Gréau, L’avenir du capitalisme [62]. |