L'intérêt de ton
livre est déjà souligné par de nombreux commentateurs. Je trouve l'idée de
prédation bien amenée pour comprendre ce qui se passe dans la phase du
capitalisme financier et mondialisé que nous vivons, où l'informatique joue le
rôle central que tu scrutes en expert. Le profit de très court terme et la perte
de vision stratégique qu'ouvre l'impératif de rendements spéculatifs immédiats,
la « révolution » anti-marginaliste qui veut que dans l'e-conomie la « loi » du
coût marginal décroissant soit dépassée, tous ces phénomènes que tu as déjà
interprétés viennent nourrir cet hyper court-termisme qui est connoté dans
l'idée de prédation.
Quel lien peut on
établir entre prédation et reproduction économique et sociale ? Si la prédation
est légitime, est-ce que le prédateur va se substituer au producteur ou bien
va-t-il le dévorer, le détruire ? S'il le remplace, le prédateur est un
producteur supérieur, la sélection par la concurrence validant sa meilleure
compétitivité. C’est
la dynamique normale de l'économie capitaliste, mais la vitesse et la puissance
des acteurs donne aujourd'hui un sentiment de destruction (non créatrice).
Si le prédateur ne
se substitue pas au « dévoré », on est dans une prédation de savane : le lion
dépend de la gazelle, l’aigle
prélève les animaux malades. Le bandit prédateur et pillard dépend des paysans
pillés : s'il leur laisse quelque chose ils pourront survivre pour se faire
piller plus tard (modèle mafia).
Nous rencontrons
donc avec la prédation une interrogation sur la rationalité dans le capitalisme
contemporain. Soit la prédation est illégitime et non créatrice et il s'agit
d'un moment un peu fou : avec un peu de prudence, cela devrait passer après une
bonne crise. Mais tu montres bien le caractère immanent à notre époque de cette
économie de la prédation, et ton histoire des formes de la prédation est un
régal de clarté et d'érudition. Non, la prédation n'est pas le bon coup de fouet
qui réveillera un capitalisme trop civilisé : c'est une exacerbation
destructrice des formes de la concurrence.
Si l'industrie
s'est élevée sur la prédation ou l'exploitation du travail concret, le
capitalisme prédateur d'aujourd'hui est menaçant par sa propension à piller le
travail abstrait, la connaissance et les savoirs qui appartiennent à l'humanité
- voir par exemple le débat sur les droits de propriété intellectuels - pour
transformer cette valeur en rente et inflation financière. |