II - La statistique, une politique spécifique
Dans le mode de gouvernance des pays industriels, la
statistique publique a le double objectif d’aider à répondre aux questions
actuelles que pose la vie publique, et d’éclairer d’autres aspects de la vie
publique qui peuvent devenir importants même s’ils ne sont pas actuellement
prioritaires.
Comme les statistiques nationales, régionales, ou
locales, la statistique communautaire est issue de l’interrogation des divers
acteurs économiques et sociaux du territoire qu’elle recouvre. Cela comporte
deux coûts : celui supporté par l’institution qui interroge, celui supporté par
l’acteur interrogé (charge de réponse).
Cependant des statistiques locales, régionales et
nationales existent dans chaque pays de l’Union bien avant qu’il n’intègre cette
Union.
Dès la création du Marché Commun, le choix a été
fait de construire les statistiques communautaires nécessaires au bon
fonctionnement de l’Union à partir des statistiques existantes dans les pays
membres afin de limiter à la fois le coût de la collecte et celui de la charge
de réponse.
Le travail de la Commission a donc consisté à
obtenir des Etats Membres (ou futurs membres) des statistiques nationales
comparables, à aider ces pays à les rendre comparables (harmonisation des
concepts et définitions), puis à les agréger pour obtenir des agrégats
communautaires. Il fallait faire ceci pour toutes les politiques communautaires
ayant des aspects quantitatifs, que ce soit pour les définir ou pour évaluer
leur impact.
La
collecte de base des statistiques auprès des acteurs socio-économiques de
l’Union a donc toujours été réalisée par les systèmes statistiques des pays
membres, qui supportent plus de 90 % du coût de la statistique dans l’Union
européenne.
Ce
choix est conforme au « principe de subsidiarité » qui doit accompagner la mise
en œuvre de toutes les actions communautaires. Il implique une collaboration
étroite entre les Institutions nationaux de statistique (INS) et Eurostat.
L’action d’Eurostat conduit à l’adaptation des systèmes statistiques nationaux
pour que la collecte des informations de base puisse servir à la fois aux
niveaux local, régional, national et communautaire.
Ce choix conduit à un mode de relation entre
Commission et Conseil très différent du mode classique. Dans la plupart de ses
secteurs d’intervention, la Commission établit ses propositions en limitant les
contacts avec les pays membres pour préserver la neutralité de son travail. Elle
les rédige soit à partir de ses propres connaissances, soit en s’appuyant sur
l’expertise la plus neutre possible par rapport aux pratiques nationales
existantes. En statistique publique par contre, les INS et Eurostat disposent
d’un quasi monopole de l’expertise dans le domaine sur lequel ils travaillent.
Ils le partagent avec quelques experts internationaux travaillant dans des
institutions spécialisées comme l’ONU, le FMI ou l’OCDE. Le choix fait par la
Commission d’un minimum de coût/efficacité dans le développement des
statistiques a conduit Eurostat à rechercher avec les statisticiens des pays
membres – et avec les experts internationaux – les meilleures solutions aux
problèmes. Des propositions sont ensuite faites par la Commission au Conseil, où
les représentants du Conseil sont presque toujours des statisticiens des pays
membres. Les problèmes qui n’ont pas été résolus au niveau des groupes
techniques sont finalement arbitrés, éventuellement à l’aide d’un vote.
Lorsque de nouveaux pays se préparent à intégrer
l’Union, Eurostat les aide à adapter leur système statistique aux normes
(concepts, définitions) communautaires avec si nécessaire des actions
structurelles de renforcement des infrastructures de collecte. Ce type d’action
pluriannuelle a joué un rôle essentiel pour les pays du sud de l’Europe (Italie,
Espagne, Portugal, Grèce) et pour les nouveaux pays candidats qui vont rejoindre
l’Union en 2004 et ultérieurement.
A partir de l’Acte Unique, et avec l’adoption des
traités de Maastricht et d’Amsterdam, la croissance rapide du nombre des
politiques communautaires exige que ce partenariat soit organisé et structuré.
Des questions complexes de priorités nationales et
communautaires, de financement des travaux nouveaux, de diffusion, de qualité
des données, doivent être discutées et résolues.
Les besoins statistiques liés aux priorités de
l’Union sont structurés en programmes annuels et pluriannuels qui font l’objet
d’une discussion avec le Parlement européen et le Conseil.
La Commission choisit dès 1988 de renforcer le
partenariat avec les Pays membres dans le choix des solutions à adopter.
Toutefois ces partenariats n’ont pas pour objectif
l’adoption d’un système statistique identique dans chaque pays membre, car le
système statistique d’un pays reflète l’histoire de ses traditions juridiques et
administratives. Ils visent plutôt à obtenir des résultats comparables pour un
coût raisonnable, la comparabilité devant être adaptée au type de décision
communautaire à prendre.
La Commission choisit également de coordonner la
production des statistiques communautaires dont elle a besoin. Presque tous les
services de la Commission ont besoin de statistiques et chacun a tendance à
s’adresser à diverses sources pour obtenir la même statistique (par exemple, la
population d’une région). Ce manque de coordination se traduit par un manque de
cohérence entre les données utilisées, un surcoût pour la Commission – qui paye
plusieurs fois des sources privées pour obtenir des données parfois
contradictoires et théoriquement gratuites –, des surcoûts pour les fournisseurs
de chiffres qui doivent répondre à plusieurs enquêtes des services de la
Commission sur à peu près la même chose. Il conduit également certains services
à étayer leurs décisions à partir de pseudo statistiques de mauvaise qualité et
peu comparables dans le temps et dans l’espace.
Monopole public en forte extension, utilisée par
tous les services, la statistique communautaire apparaît ainsi comme une
dimension spécifique de l’intégration communautaire. Elle demande un traitement
particulier, fondé sur un partenariat Commission/pays membres.
Soulignons enfin que les statistiques communautaires
doivent être disponibles plusieurs années avant les décisions politiques du
domaine où elles s’appliquent. Il faut une statistique portant sur cinq ans,
parfois sur dix ans, pour nourrir leur élaboration et en mesurer les effets.
Ainsi les statistiques officielles des pays candidats à l’intégration en 2004
ont été harmonisées dès 1990 avec celles des pays membres, grâce à l’action
d’Eurostat, afin de pouvoir être utilisées dans les négociations d’adhésion du
début des années 2000.
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