III - Le renforcement d'Eurostat
A. La situation au milieu des années 80
A la veille de l’explosion de la demande statistique
communautaire, Eurostat et la statistique communautaire sont en crise.
L’absence de reconnaissance
politique par la Commission du rôle de la statistique dans l’intégration
européenne a conduit la relation entre Eurostat et ses utilisateurs à se
détériorer. Les services politiques de la Commission – emploi, recherche,
entreprises etc. - ne s’adressent pas à Eurostat pour leurs besoins
statistiques, mais à des consultants privés ou à des bureaux nationaux. Parfois
ils font leurs propres enquêtes. Eurostat ne reçoit pas les ressources en
personnel et budget qui lui permettraient de répondre aux besoins. La qualité
des statistiques utilisées par la Commission se dégrade. L’absence de
coordination entre les services conduit à des coûts élevés pour la Commission et
les fournisseurs de données : duplication d’enquêtes, paiement des mêmes données
par plusieurs services. Le lien entre Eurostat et ses utilisateurs se dénoue. La
période 1981-1985 voit se succéder trois Directeurs Généraux et la Commission
envisage de découper Eurostat en morceaux qui seraient rattachés aux services
utilisateurs. Le Parlement, chargé de faire un rapport sur cette situation
(Rapport Dunn, 1982), conclut à la nécessité de maintenir l’unité d’Eurostat et
demande à être consulté à l’avenir sur les travaux.
Au début de la Commission Delors,
la Commission et les pays membres expriment des vues divergentes sur la
statistique communautaire. Le Commissaire en charge de la statistique déclare
que les développements statistiques nécessaires au Marché unique, notamment le
remplacement des statistiques douanières des échanges intra-communautaires par
une collecte directe, doivent être abordés en priorité, mais sans que les
ressources d’Eurostat n’augmentent. Les pays Membres – Directeurs généraux des
INS – notent la contradiction que comporte cette déclaration, demandent un
renforcement d’Eurostat et souhaitent participer au choix de son Directeur
Général qui doit être un professionnel reconnu.
Les préoccupations du parlement
et la nomination d’un nouveau Commissaire chargé de la statistique, Hennig
Christophersen, conduisent la Commission à prendre une série de mesures pour
améliorer la situation, y compris à recruter un Directeur Général ayant une
forte expérience de la statistique et de la gestion dans les organismes
internationaux en dehors du système habituel de quotas nationaux pour ce type de
poste.
B. Mesures de renforcement
Avec l’appui successif de trois
Commissaires – Christophersen, de Silguy, Solbes – Eurostat va prendre une série
de mesures pour mieux répondre aux besoins des utilisateurs actuels et préparer
les besoins prévisibles liés aux avancées politiques de l’intégration – Acte
Unique, Traité de Maastricht, Traité d’Amsterdam. Ces mesures concernent la
programmation des travaux statistique des services de la Commission, le mode de
fonctionnement interne d’Eurostat, enfin la mise en place d’un Système
Statistique Européen (SSE) fondé sur le renforcement des relations entre
Eurostat et les pays Membres.
Programmation des travaux
La croissance de la demande de
statistiques face à des ressources limitées exige une programmation des travaux
statistiques et une définition des priorités. Des programmes statistiques
communautaires pluriannuels ont existé dans les décennies passées. Le programme
statistique 1989-1992 fait pour la première fois l’objet d’une décision du
Conseil. Il est accompagné d’une fiche financière qui définit l’enveloppe
budgétaire des moyens financiers nécessaires pour le mettre en oeuvre. Un groupe
de travail « programmation » est mis en place avec les pays membres.
Trois comités sont créés par le
Conseil pour renforcer cette programmation :
-
Le Comité du Programme Statistique
(CPS, 1990), présidé par Eurostat et composé des Présidents des INS des pays
membres : il prépare les décisions du Conseil pour la mise en œuvre des travaux
statistiques :
-
Le Comité Européen de l’Information
Statistique Economique et Sociale (CEIES, 1992), composé de représentants de la
société civile – universités, syndicats, patronat – et de statisticiens, présidé
par le Commissaire en charge de la statistique. Il est chargé d’éclairer la
Commission sur les besoins en statistique de la société européenne.
-
Le Comité pour les Statistiques
Monétaires, Financières et de Balance des paiements (CMFB, 1992), qui associe
les banques centrales, les INS, la BCE et Eurostat dans le développement de
l’information statistique nécessaire pour la politique économique et monétaire.
La programmation des travaux
améliore le dialogue et le partenariat entre les diverses parties associées à la
conception et la mise en œuvre des tâches statistiques liées à l’intégration
européenne. Elle met en lumière les difficultés de cette mise en œuvre,
notamment l’inadéquation des ressources humaines et financières pour répondre à
la croissance de la demande des utilisateurs, la difficulté de fixer des
priorités face à l’expansion des champs de l’intégration, le besoin de renforcer
le partenariat entre la Commission et les pays membres.
Le CMFB va fonctionner de façon
exemplaire. Créé avant même qu’existe la Banque Centrale Européenne, il va
susciter un partenariat étroit et efficace entre les INS et les Banques
Centrales et se révèlera bien adapté pour préparer l’entrée de onze pays membres
dans la zone Euro, pour gérer la politique monétaire au sein de cette zone,
enfin pour préparer dans les domaines monétaires et financiers le grand
élargissement de l’Union en 2004.
Le CPS sera le cœur du
partenariat au sein du SSE. Il se structurera pour préparer les discussions et
les agendas par la création d’un « groupe partenariat » qui est son comité
exécutif, et d’un groupe des « Amis du Président » rassemblant des représentants
de haut niveau de quelques pays membres autour du Directeur Général d’Eurostat :
cela permettra d’atteindre à cadence accélérée la comparabilité avec les
Etats-Unis pour les délais de production des principaux indicateurs économiques.
Le CPS deviendra un centre de réflexion stratégique sur les défis à venir et
préparera l’élargissement de 2004 pour l’ensemble des statistiques non
monétaires.
Le fonctionnement du CEIES sera
plus problématique. Le défi est peut-être déjà trop ambitieux avec 18 pays, la
qualité du dialogue entre producteurs et utilisateurs de statistique variant
beaucoup d’un pays à l’autre. Le CEIES a certainement contribué à améliorer le
dialogue entre producteurs et utilisateurs de statistiques dans les pays où ce
dialogue était peu développé ou inexistant. Mais une réforme de son
fonctionnement, jusqu’à présent retardée, sera nécessaire pour atteindre un
minimum d’efficacité dans un ensemble à 28 pays.
A partir de 1997, le Parlement
européen joue un rôle accru dans la programmation car la statistique devient un
domaine de codécision, et il s’impliquera fortement dans la définition des
programmes statistiques 1998-2002 et 2003-2007.
Coordination de la demande
statistique des services de la Commission
La Commission prend conscience à
la fin des années 80 des coûts qu’entraîne le manque de coordination des travaux
statistiques, à la fois pour les fournisseurs d’information (duplication), les
utilisateurs (qualité médiocre) et les finances communautaires. Elle crée en
1991 un Comité Directeur de l’Information Statistique (CDIS) qui demande à
Eurostat de coordonner l’ensemble des travaux statistiques, de fournir un
service d’information statistique adapté aux besoins prioritaires des services
de la Commission, de renforcer la transparence budgétaire du coût de la
statistique, et de mettre en œuvre un SSE.
Le CDIS ne fonctionnera jamais
correctement. Les responsables des services utilisateurs ne s’impliqueront pas
dans la définition de leurs besoins et de leurs priorités et délègueront cette
tâche à de jeunes fonctionnaires n’ayant ni vision d’ensemble, ni pouvoir de
décision. Le CDIS sera progressivement remplacé par un retour à des relations
bilatérales bien structurées entre Eurostat et chaque service, ce qui s’avèrera
beaucoup plus efficace sauf dans les cas où fait défaut la volonté politique
(deux ou trois services).
Mais il manque toujours à la
Commission une réflexion globale sur le coût de la statistique. Elle n’a pas
accepté d’investir suffisamment dans cette activité essentielle pour la
gouvernance européenne et elle a toujours repoussé les tentatives d’Eurostat
pour amener la discussion sur ce thème au niveau politique. Ainsi de nombreuses
études d’impact des programmes communautaires sont réalisées sans qu’ait été
évoquée l’origine ni le coût des statistiques utilisées pour ces études.
L’approche bilatérale développée
par Eurostat l’a conduit à accepter la responsabilité de programmes d’assistance
technique d’une grande ampleur financière dont la réalisation a été
décentralisée au sein du SSE.
Les résultats techniques de ces
programmes ont été remarquables, comme en attestent les évaluations disponibles,
mais le contrôle de leur gestion financière a souffert de l’absence de
ressources humaines allouées par la Commission à Eurostat pour cette fonction.
Réforme du management
d’Eurostat
Les réorganisations
administratives vont rarement au delà d’un changement de l’organigramme ou de
l’introduction d’un vocabulaire lié à une mode politique passagère. Le
changement du mode de fonctionnement d’Eurostat à partir de 1993 est beaucoup
plus ambitieux, et il va s’étaler sur dix ans. Autour d’une mission clairement
définie – « fournir à l’Union européenne un service d’information statistique de
qualité » - et déclinée jusqu’à l’unité, il s’agit de mettre en place un « plan
d’entreprise » suivant les principes de la qualité totale, et de
professionnaliser la capacité de gestion du personnel. Le modèle s’inspire de la
démarche du Forum Européen pour la Gestion par la Qualité (EFQM). Sa mise en
œuvre suppose une forte implication du personnel d’Eurostat, qui valide les
progrès grâce à des enquêtes de satisfaction périodiques, et contribue ainsi à
leur réalisation. Il se fonde aussi sur une évaluation périodique des travaux
par les diverses catégories d’utilisateurs. Il implique un souci constant de
formation du personnel, d’analyse des faiblesses et de leur élimination, de
communication avec les partenaires utilisateurs et le personnel.
Cette réforme préfigure l’idée
initiale de la réforme de la Commission lancée à partir de 2000. Elle permet
d’accroître la productivité d’Eurostat, d’améliorer sa flexibilité, ce qui lui
permettra de répondre aux défis de l’Euro, de l’élargissement et de la
production d’indicateurs structurels et conjoncturels.
Bien que ce nouveau modèle de
fonctionnement administratif s’éloigne du modèle classique, et après une période
de réticence, la majorité du personnel s’est engagée dans la voie du changement
L’accent sur la communication et
le dialogue internes, la mise en place de réseaux informels – par exemple les
groupes « Egalité des chances » et « Qualité » - ont permis au personnel de
percevoir un engagement partagé et accru sa motivation au travail, malgré les
tensions sur les ressources : la croissance de la motivation est perceptible
dans les enquêtes d’opinion périodiques auprès du personnel.
C. Renforcement de la
coopération internationale : le programme commun CEE / OCDE / Eurostat
La statistique communautaire se
développe rapidement sous la pression de la demande. Elle crée pour les pays
Membres une série de normes et standards statistiques qui constituent le
« langage statistique communautaire ». Ce langage doit être compatible avec le
langage international des statisticiens défini par les Nations Unies, l’OCDE et
le FMI.
En Europe, trois institutions
sont impliquées dans le développement de standards statistiques : l’OCDE, la
Commission économique pour l’Europe des Nations Unies (CEE) et Eurostat.
L’intensification des travaux
d’Eurostat, sous la stricte contrainte de délai fixée par l’intégration, l’a
conduit à proposer de renforcer la coopération entre ces trois institutions.
Cela va se traduire par un programme annuel de travail conjoint qui élimine
toute duplication des travaux et permet une collaboration efficace, tout en
respectant les délais imposés par l’intégration. Le langage statistique de
l’Union européenne devient une partie intégrée du langage statistique
international.
Une structure de gestion efficace
est mise en place pour assurer le fonctionnement de cette coopération.
Le Comité exécutif CEE/OCDE/EUROSTAT
assure un dialogue permanent et rend compte annuellement aux membres de la C.E.E
au sein de la Conférence annuelle des statisticiens européens. Il confie
l’analyse des problèmes à des groupes ad hoc qui présentent des options
sur lesquelles la Conférence Annuelle décide. Ce fonctionnement permet de
réduire la durée de la Conférence de 10 à 2 jours, alors que le nombre des
décisions et la qualité des travaux s’accroissent.
Cette organisation servira de
modèle quelques années plus tard pour améliorer les structures de coopération
statistique au niveau mondial, l’Europe ayant servi d’expérience pilote.
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