Les spams

30 mai 2004

Lorsque l’on subit une contrariété, pourquoi ne pas en faire un objet d’étude ? La statistique offre un soutien à l’humour. Quand vous traversez un quartier où les tags abondent, comptez-les, classez-les par groupe de lettres, graphisme, couleur, emplacement géographique ; leur cacophonie s’ordonnera et vous vous poserez des questions auxquelles la statistique ne répond pas, mais qu’elle permet de dégager du fatras de la perception.

Comme on ne peut pas faire de la statistique tout le temps, il est judicieux de recourir à la méthode de Donald Knuth qui considère un petit échantillon choisi de façon arbitraire. Cet échantillon n’est pas représentatif, mais respecter la représentativité demanderait un effort. Mieux vaut sourire et réfléchir.

*  *

Les spams (voir l'étymologie), messages non désirés qui polluent les boîtes aux lettres électroniques, me contrarient comme ils contrarient tout le monde. J’ai décidé de les regarder de près pendant 24 heures.

En 24 heures donc, entre le 27 mai à 9h00 et le 28 mai à 9h00, j’ai reçu 327 messages dont 48 étaient utiles et 279 étaient des spams (soit 85 %).

Le volume total de ces spams est de 2 471 Ko. Le plus gros « pèse » 849 Ko, trois pèsent entre 50 et 100 Ko, 17 de 10 à 49 Ko, les autres moins de 10 Ko chacun.

Tous les spams sont en anglais ; la plupart viennent sans doute des Etats-Unis, mais il paraît que les anciens pays de l’Est en diffusent également beaucoup. Espérons que l’industrie du spam ne prospèrera pas en France !

Il serait facile de me débarrasser du spam en éliminant d’office les messages en anglais, mais comme j’ai des correspondants anglophones je ne peux pas procéder ainsi.

- 65 messages (23 %) ont pour objet « Mail delivery failure » ou « Returned mail », mais il s’agit de personnes à qui je n’ai jamais envoyé de message : certains spammeurs signent donc leurs messages avec mon adresse et je vois revenir, sous la forme d’un signal d’échec, ceux qui n’ont pas atteint leur destinataire. Beaucoup de gens doivent recevoir des messages farfelus émis par des spammeurs qui ont copié mon adresse !

- 88 messages (32 %) sont accompagnés d’une pièce jointe. Il ne faut pas l’ouvrir : la pièce jointe est un missile porteur de virus. Mon fidèle antivirus, soigneusement tenu à jour, les signale d’ailleurs au passage.

- 53 messages (19 %) ont un objet commençant par « Re: » (« Re: Document », « Re: Details », « Re: Hello », « Re: Hi », « Re: Your Document », « Re: Your Text » etc.). Ils se présentent donc comme des réponses à mes messages, mais je n’ai jamais envoyé de message ayant un tel objet.

- 60 messages (22 %) ont un objet commençant par « Fw: », comme si quelqu’un avait voulu me les transmettre.

- 95 messages (33 %) sont des offres commerciales. Je cite en note le texte de certaines d’entre elles, car le comique qui s’en dégage rappelle celui des annonces publicitaires citées dans le Babbitt de Sinclair Lewis[1] :

1) 54 concernent la santé :
39 proposent des médicaments : Viagra, Valium, Xanax, Vicodin etc. Comme il est facile mettre automatiquement à la corbeille les messages qui contiennent ces mots, ces spams utilisent une orthographe qui leur permet de forcer ma porte : v|@gRa, Va+l+ium, xana:x, V|cod:|n etc.
9 proposent un traitement qui améliore les érections, allonge et élargit le pénis[2].
6 proposent un traitement pour maigrir ou rajeunir[3].

2) 17 concernent l’informatique :
12 proposent des logiciels à bas prix[4].
3 proposent des logiciels d’espionnage.
2 un filtre pour télévision câblée.

3) 11 proposent des taux d’intérêt favorables pour un emprunt[5] ; certains annoncent que ma demande de crédit a été acceptée, alors que je n’en ai formulé aucune.

4) Ensuite viennent des spams hétéroclites :
2 sont des demandes de riches des pays pauvres, qui souhaiteant récupérer des millions de dollars en Suisse.
2 proposent des assurances (sur la vie, sur la maladie[6])
Une dame propose un rendez-vous (avec photo).
D’autres suggèrent de faire fortune sur eBay, d’acheter à bas prix un soutien-gorge en silicone, une copie de montre Rolex, une caméra binoculaire, des voyages, etc.
Un message contient un texte confus, conçu sans doute pour être sélectionné par une recherche sur mot clé[7].

*  *

Le spam est, dans le monde de l’Internet, la manifestation de cette esthétique de la pollution qui caractérise notre époque. Ce n’est pas un phénomène innocent[8]. Il encombre l’Internet et fait perdre du temps. Il véhicule des virus ou des logiciels espions qui copient nos mots de passe ou pourraient même, paraît-il, permettre le contrôle à distance de notre ordinateur. Il compromet la sécurité du commerce électronique. Il risque de devenir, pour l’Internet et pour le Web, un « Pearl Harbor électronique »[9].

Voici les règles, peut-être insuffisantes, que j’applique pour m'en défendre :

1) garder le sens de l’humour ;

2) programmer dans l’assistant de gestion des messages d’Outlook des règles orientant automatiquement vers le dossier « Éléments supprimés » les messages ayant des objets, ou contenant des mots, que l’on rencontre souvent dans les spams ;

3) voir s'il ne se trouve pas de message utile dans ce dossier (cela arrive), puis le purger ;

4) passer en revue les messages contenus dans la boîte de réception, transférer les spams vers le dossier « Éléments supprimés », le purger de nouveau ;

5) ne jamais ouvrir de pièce jointe à un spam, ni cliquer sur les liens censés permettre de se désinscrire d’une liste de diffusion, ni cliquer sur un lien qui figure dans un spam ;

6) ne jamais - cela va sans dire - acheter le produit proposé par un spammeur ;

7) attendre patiemment que le législateur, l’appareil judiciaire et les techniciens aient trouvé et mis en œuvre une parade au spam…