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Capitalisation boursière des entreprises

26 mars 1999

Nous nous plaçons d’abord dans le cadre d’un modèle d’information parfaite : cela ne veut pas dire que les agents économiques prévoient parfaitement le futur (il peut y avoir de l’incertitude), mais que leurs anticipations sont correctes : les espérances mathématiques sont anticipées sans biais, les estimations des variances et covariances sont exactes.

Pour voir des exemples où les anticipations optimistes entraînent une évolution des cours très rapide, cliquer ici.

Rentabilité et capitalisation boursière

Considérons une entreprise E, supposée dans un premier temps non endettée, et dont le " projet " P suppose un investissement I de durée de vie infinie rapportant un résultat d’exploitation annuel R.

NB : si l’on suppose que la durée de vie de l’investissement n’est pas infinie, il faut faire entrer dans le calcul la valeur actualisée des dépenses de remplacement, ce qui compliquerait ici inutilement les équations.

Le TRI de cette entreprise est :

(1) t = R/I

Supposons que les incertitudes sur R conduisent à associer au projet P une prime de risque p.

La prime de risque s’obtient en connaissant le b propre à cette entreprise (cf. annexe) :

(2) t = i + b( tM – i), où tM est le taux de rendement du marché, d’où

(3) p = b( tM – i)

La valeur actualisée des annuités R est, en tenant compte de cette prime de risque et en notant i le taux d’intérêt :

(4) VA(R) = R/(i + p)

La valeur actualisée du projet P est donc :

(5) VA(P) = R/(i + p) – I, soit :

(6) VA(P) = I( t/(i + p) – 1)

Supposons maintenant que cette entreprise soit vendue sur le marché financier. Sa " capitalisation boursière " (c’est-à-dire son prix d’acquisition sur le marché) va se fixer à un niveau tel que la rentabilité du placement soit égale à i + p ; en d’autres termes elle sera égale à VA(R). Si VA(R) est supérieur à I, les premiers entrepreneurs qui ont financé I et lancé l’entreprise font une plus value.

Le " q de Tobin ", rapport entre la valeur actualisée de R et la capitalisation boursière, sera égal à 1 si le prix de l’entreprise sur le marché est à l’équilibre.

Effet de l’endettement

Si nous supposons maintenant que E est endettée, son taux de rendement après endettement est modifié par l’effet de levier. Il devient, si l’on note D le niveau de la dette :

(7) t ’ = (R – iD) /(I – D)

notons d le taux d’endettement :

(8) d = D/I

il vient :

(9) t ’ = t + ( t – i) d/(1 – d)

relation caractéristique de l’effet de levier.

Le prix d’équilibre de l’action de l’entreprise endettée sera celui qui procure le rendement t’. Nous montrons en annexe qu’il est équivalent de supposer que l’entreprise n’est pas endettée, que ses titres sont vendus au prix d’équilibre de l’action de l’entreprise non endettée, et que c’est l’acheteur qui s’endette sur le marché financier ; ou bien que c’est l’entreprise qui s’endette et qui vend à l’acheteur ses actions au prix d’équilibre de l’action de l’entreprise endettée.

De ce point de vue, on peut dire que l’endettement des entreprises n’a pas d’effet sur la structure du portefeuille des acheteurs.

Incidence de la politique de distribution des dividendes

La personne qui achète des actions perçoit, en retour, des dividendes. On pourrait donc croire qu’à l’équilibre le prix d’une action doit être égal à la valeur actualisée des dividendes, en tenant compte de l’incertitude sur le montant du dividende.

Cependant il n’en est rien, et la valeur de l’action est bien égale à la valeur actualisée des profits après impôts (divisé par le nombre d’actions). En effet, le profit après impôts a deux affectations possibles :

  • il sert au paiement des dividendes,
  • il est provisionné et vient accroître les fonds propres de l’entreprise.

Dans ce second cas, il vient accroître un stock de valeur dont l’actionnaire possède une quote part représentée par l’action.

C’est donc le profit après impôts qui doit être pris en considération pour calculer la valeur fournie par l'entreprise en contrepartie de chaque action, et non le dividende. La politique de distribution des dividendes par l’entreprise n’a, dans le schéma d’information parfaite dans lequel nous nous trouvons actuellement, aucune incidence sur la valeur de l’action.

Synthèse

C’est, en situation d’information parfaite, dans le taux de rentabilité interne que se trouve l’origine de la valeur de l’entreprise. L’effet de levier n’a qu’une incidence purement mécanique sur l’évaluation. La politique de distribution des dividendes n’en a aucune.

Lorsque un entrepreneur prépare un projet, il estime le coût initial I, le rendement R, le taux de rentabilité t = R/I, et la prime de risque p = b( tM – i). Il lancera le projet si

t > i + p,

il ne le lancera pas dans le cas contraire.

Si t = i + p, le projet coûte à l’investisseur initial exactement la valeur de l’entreprise en bourse ; il ne fera ni profit ni perte s’il la revend après l’avoir lancée.

Si t > i + p, le projet coûte à l’investisseur initial moins qu’il ne vaudra ensuite en bourse, et l’investisseur fera donc une plus value en revendant ses parts une fois l’entreprise lancée. Ces situations là se rencontrent : en effet, à l’équilibre, la productivité marginale du capital est égale au taux d’intérêt (plus la prime de risque), cela veut dire qu’il peut exister des projets pour lesquelles elle lui est supérieure.

Ici l’hypothèse d’information parfaite doit être un peu relâchée pour tenir compte de dissymétries évidentes : l’ingénieur qui monte un projet dispose d’informations plus précises que quiconque sur les coûts que ce projet devra supporter, notamment s’il exploite les opportunités que fournit l’innovation. Il est donc le mieux placé pour concevoir et lancer l'entreprise. Il en est de même pour l’homme de marketing qui, par chance, a perçu une demande rentable et non satisfaite.

On peut expliquer aussi cette dissymétrie de la façon suivante : l’évaluation du risque associé à un projet n’est pas la même, selon qu’il s’agit de l’ingénieur ou du commerçant bien informé, ou d’un agent économique ordinaire. Les premiers vont estimer le projet moins risqué que les seconds. Ils trouvent donc l’investissement rentable, alors que le marché le jugerait trop risqué. Puis, une fois l’entreprise lancée, les évaluations du risque deviennent identiques, et l’entreprise se valorise sur le marché, laissant une plus value à ceux qui avaient au départ estimé le risque de façon plus exacte.

Evolution d’ensemble du marché

Nous avons raisonné sur le rendement des investissements en le comparant au rendement tM du marché, par l’intermédiaire du calcul du b. Mais comment se détermine le montant investi au taux t?

Il faut pour en rendre compte simplifier terriblement le modèle, en supposant par exemple qu’il existe dans l’économie une seule entreprise, ayant un seul projet, et que les investisseurs sont confrontés au choix entre l’achat des actions de cette unique entreprise, et le placement sans risque au taux i. Il faut supposer aussi que le projet ne comporte pas d’effet taille, et que son rendement sera le même quel que soit le montant investi. Il faut enfin supposer que le taux d’intérêt i est fixe.

Une fois faites ces hypothèses, et si l’on suppose connue une fonction d’utilité intertemporelle dans laquelle le risque intervient négativement, le partage de l’épargne entre placement risqué et non risqué, ainsi que le montant de l’épargne, sont déterminés en maximisant l’utilité intertemporelle.

Evolution de la valeur de l’entreprise

La valeur de l’entreprise est, d’après (5), égale à R/(i + p) – I. Durant la vie de l’entreprise, la dépense I appartient au passé, et ne peut donc plus varier (sauf si l’on suppose que de nouveaux investissements sont réalisés, mais alors il faut traiter l’entreprise qui en résulte comme l’addition de la poursuite de l’entreprise ancienne, et de l’entreprise nouvelle qui met en exploitation les nouveaux investissements).

La valeur de l’entreprise peut donc évoluer si R, i ou p varient.

  • Variation de R : supposons par exemple que l’entreprise découvre un nouveau débouché pour sa production, que son coût marginal soit faible ou nul : elle peut espérer un résultat plus important que prévu.
  • Variation de i : si le taux d’intérêt diminue (resp. augmente), la valeur de l’entreprise s’accroît (resp. décroît). Il s’agit ici d’un phénomène connu, celui de la valorisation des actions en cas de baisse du taux d’intérêt, par réallocation du portefeuille des agents économiques.
  • Variation de p : la prime de risque est égale à b( tM – i), avec b = corr(X,M) sX/ sM. Elle peut donc varier en fonction des termes de ces relations, en les considérant chacun toutes choses égales d’ailleurs :
  • Si la corrélation entre les incertitudes de l’entreprise et celles du marché s’accroît, l’action devient moins intéressante (en effet il devient moins intéressant de posséder cet actif dans un portefeuille, car il contribue davantage à la volatilité de celui-ci) ;
  • Si l’incertitude sX s’accroît, l’action est moins intéressante car plus risquée ;
  • Si l’incertitude sM du marché s’accroît, l’action est plus intéressante car elle devient relativement moins risquée ;
  • Si la rentabilité tM du marché s’accroît, l’action de X est moins intéressante car sa rentabilité relative décroît ;
  • Si le taux d’intérêt i s’accroît, la prime de risque diminue ; cet effet vient toutefois se conjuguer avec celui que nous avons vu précédemment, et la résultante est donc difficile à apprécier.

Si les anticipations sont rationnelles, l’ajustement du cours d’une action est immédiat aussitôt que l’évolution d’un des paramètres ci-dessus est perçue par le marché, et une fois que cette action a atteint son nouveau cours d’équilibre elle y reste. Les ajustements se font donc rapidement, en " marche d’escalier " (et non par lissage), et pendant que les fondamentaux restent stables le cours reste lui-même fixe.

Toutefois l’évolution d’une entreprise qui " réussit " est caractérisée par une prise de valeur continue : choix judicieux des technologies, des marchés visés, etc. Dans ce cas, la succession serrée des " marches d’escalier " confère à leur cours une allure ascendante et lisse, celui-ci croissant continûment.

Imperfection des anticipations

Nous avons exploré un cas très simplifié : l’investissement a une durée de vie infinie, il est fait une fois pour toute, l’incertitude porte seulement sur le résultat R correspondant. Dans les faits une entreprise investit chaque année, les investissements de renouvellement se mêlant de façon inextricable pour l’actionnaire aux investissements nouveaux ; les technologies sont modifiées, ainsi que les perspectives de prix et de concurrence, et donc les débouchés, etc. L’évaluation de la valeur de l’entreprise en est rendue très complexe.

Aussi en général les actionnaires ne prétendent pas évaluer les fondamentaux, et se contentent d’interpréter les signaux émis par l’entreprise, signaux constitués par la série des bilans et comptes d’exploitation, les dividendes, l’évolution des cours, ainsi que les déclarations des dirigeants et notamment la façon dont ceux-ci présentent leurs projets.

Parmi ces informations, certaines sont plus immédiatement lisibles que d’autres : c’est notamment le cas de l’évolution des cours, qui se voit d’un coup d’œil sur un simple graphique. Seuls les actionnaires les plus consciencieux (ou les mieux équipés) se livreront à une étude approfondie des documents comptables. Enfin, les déclarations des dirigeants sont essentiellement médiatiques.

Pour schématiser la diversité des degrés d’information et d’assiduité des actionnaires, on peut simplement supposer qu’il existe deux catégories polaires d’actionnaires : ceux qui s’en remettent aux techniques d’interprétation des courbes de cours ; et ceux qui disposent d’une information parfaite. Selon que la proportion des premiers est plus forte, le marché s’écartera davantage du comportement que nous avons décrit ci-dessus.

Supposons pour simplifier encore que les actionnaires s’en remettent tous à l’interprétation des courbes. Lorsque le cours d’une entreprise augmente, ils doivent se demander s’il s’agit d’un ajustement brusque, ou bien si l’entreprise se met à " réussir " comme si elle avait trouvé un bon filon. Pour peu que la croissance du cours s’installe, cette deuxième hypothèse devient plausible. Ils vont donc anticiper une poursuite de la croissance du cours, qui va les inciter à acheter, comme si l’extrapolation de la courbe était la meilleure prévision.

Dans ce cas l’évolution des cours va obéir à une dynamique plus heurtée. La hausse nourrissant la hausse, le cours ne s’arrêtera jamais à la nouvelle valeur d’équilibre, mais il la dépassera, et continuera à croître jusqu’à ce que les acteurs commencent à douter de la valeur de l’entreprise. Puis il reviendra vers la valeur d’équilibre, en connaissant peut-être encore d’autres oscillations. On peut ainsi assister à des évolutions ayant les allures suivantes :

 wpe2.jpg (11870 octets)

Il est dès lors naturel que se manifestent sur le marché une catégorie d’acteurs qui ne sont sensibles ni aux fondamentaux, ni seulement à l’allure des courbes, mais qui s’appliquent plutôt à anticiper le comportement de ceux qui se fient aux courbes, s’inquiètent après une hausse prolongée, etc. L’intervention de ce nouveau type de joueur expert, avec ce nouveau type de rationalité complique la partie, sans la rapprocher toutefois du comportement qui prévaut en cas d’anticipation rationnelle. Simplement la dynamique du marché en est compliquée. C’est celle que Keynes a décrite dans la "Théorie Générale".

Les experts qui travaillent ainsi jugent naïve, inutile et perturbante la référence aux fondamentaux, qu’ils ne veulent pas même connaître. Cependant, derrière les mouvements de panique qui se répandent dans les marchés lorsque les joueurs estiment qu’une action a "trop" monté, il y a bien de façon implicite la référence à quelque chose qui ressemble à des fondamentaux, à une "vraie" valeur de l’entreprise, par rapport à laquelle il convient de situer les cours.

Toutefois ce ressort de rappel ne joue qu’en des moments bien précis et datés, ceux où se produit un retournement du cours. De sorte que le raisonnement tendanciel serait valable 99 % du temps, et que la référence aux fondamentaux ne jouerait que 1 % du temps, lorsque tout le monde panique, et que les experts lèvent les bras. Le choix entre les deux types d’évaluation dépend donc du rôle que l’on veut jouer : veut-on être présent tous les jours sur les marchés et y faire son business (dans ce cas, mieux vaut être chartiste, ou mieux encore expert du comportement des chartistes), ou bien veut-on prendre le recul nécessaire à l’examen des périodes de crise ? dans ce cas, il vaut mieux rester l’œil fixé sur les fondamentaux, et évaluer l’intensité de l’écart des marchés envers ceux-ci.

Juste une dernière remarque, pas négligeable : l’évaluation de la valeur (fondamentale) d’une entreprise dépend de l’estimation du b. La définition de celui-ci est sans ambiguïté dans le cas où les anticipations sont rationnelles car l’on connaît toutes les variances et covariances. En pratique, ce n’est évidemment pas le cas, la connaissance des moments d’ordre deux étant notoirement plus difficile que celle des espérances mathématiques, déjà pas facile. Pour évaluer le b propre à une action, on en est réduit à étudier les séries chronologiques, c’est-à-dire les fluctuations du cours de l’entreprise (et de l’indice du marché), qui sont influencées non par les fondamentaux, mais par les évaluations tendancielles des chartistes et le jeu des experts. Il faudrait donc, pour pouvoir établir sérieusement les fondamentaux, une information que le marché fournit d’autant moins qu’il s’éloigne plus des fondamentaux. La référence se brouille avec la distance, et il est d’autant plus difficile d’y revenir.

 Annexe : le " bêta " et la prime de risque

Plaçons nous dans le contexte de la théorie du portefeuille : on considère un portefeuille caractérisé par son montant, sa répartition en pourcentage entre divers types d’actifs (d’une part diverses actions, d’autre part un placement sans risque au taux d’intérêt du marché).

Le " portefeuille du marché ", noté M, est constitué par l’ensemble des actifs.

On suppose que le marché est à l’équilibre. Cela suppose :

  • (a) que M est constitué par la combinaison des diverses actions procurant le rendement maximal, associée à un placement sans risque (ou un emprunt sans risque), de sorte qu’au total l’arbitrage rendement risque soit optimal pour l’agent représentatif  ;
  • (b) que chaque action a un prix unitaire compatible avec (a).

(b) s’interprète aisément de façon géométrique dans le plan ( t, s) où chaque actif est représenté par son rendement et l’incertitude (ou " risque ") sur ce rendement : si l’on joint le point représentant l’action X et le point représentant le portefeuille du marché M par la courbe lieu des points P représentant les combinaisons entre X et M

P = lX + (1 – l) M, (0 < l < 1),

Il faut que cette courbe soit tangente en M à la droite qui passe par M et par le point I de coordonnées (0, i). Dans le cas contraire, en effet, on pourrait former en combinant X et M un portefeuille plus rentable que M, ce qui serait contraire à (a).

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Le calcul montre que l’on doit avoir dans ce cas :

tX = tM + b( tM – i), avec

b = cov(X, M)/ s2M = corr(X,M) sX/sM

Cela signifie que dans le plan où chaque titre est représenté par le point ( t, b), si les prix sont à l’équilibre tous les points sont alignés sur la droite passant par le point (0,i) et le point ( tM, 1) (" security market line ").

 wpe5.jpg (5767 octets)

Calculons les valeurs du rendement, de l’incertitude et du "  b " si l’on constitue un portefeuille X’ regroupant une proportion quelconque de X et de M

X’ = mX + (1 – m) M, (0 < m < 1),

Le calcul montre que :

tX’ = m tX + (1 – m) i

bX’ = m bX

Il en résulte que le point X’ est lui aussi sur la " security market line " : cela signifie que si le prix d’une action est à l’équilibre, il en est de même du prix auquel sera vendu une combinaison quelconque de cette action et d’un placement sans risque. En d’autres termes, le prix d’équilibre auquel serait vendu l’action d’une entreprise non endettée est cohérent avec le prix d’équilibre (différent bien sûr) auquel est vendue l’action de la même entreprise, si elle s’endette.

Dans le plan ( t, s), les rendements et risques associés à une même entreprise lorsque l’on fait varier son endettement se trouvent sur une demie droite issue de (0, i). Les demies droites issues de (0, i) représentent donc des classes d’équivalence dans le plan ( t, s) : en effet, il est indifférent pour un investisseur d’acheter des actions d’entreprises non endettées, puis de s’endetter lui-même sur le marché financier, ou d’acheter des actions d’entreprises endettées.