Lorsqu’on évoque les NTIC, on
pense d’abord aux ordinateurs, logiciels et réseaux. Mais on peut aussi
considérer leur utilisation, notamment le système d’information (SI) des
entreprises. Le SI définit le langage de l’entreprise, structure ses processus,
détermine son positionnement concurrentiel et son aptitude à s’adapter au
changement.
Nous avons pris ici pour
exemple le SI de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs
Salariés (CNAMTS, ou CNAM tout court). Il conditionne l’économie de la santé,
que l’on considère la qualité ou le coût du service. Les dépenses en jeu (10 %
du PIB) lui confèrent une importance macroéconomique et politique. Or il est en
mauvais état. Des progrès substantiels seraient possibles, mais le poids de
l’histoire rend la conduite du changement délicate.
Repères sur l’économie de la
santé
La CNAM a pour fonction
première de rembourser à des assurés les frais liés aux soins, et aussi de
verser des revenus de substitution.
En s’appuyant sur cette fonction, la CNAM peut être le pivot du système
d’information de la santé publique.
Quelques données illustrent la
place de la CNAM dans l’économie
:
En 2001, le montant des dépenses de santé en France a été de 145 milliards
d’€, soit 10 % du Produit Intérieur Brut ou encore 18 % de la consommation des
ménages.
Sur ce total, 75 % correspondent à l’assurance maladie obligatoire. Le reste
est couvert pour l’essentiel par les mutuelles et assurances complémentaires
(12 %) et par les ménages (11 %).
Les dépenses de santé
croissent de 5,5 % par an. Le coût de fonctionnement de l’assurance maladie
est égal à 4,5 % des remboursements. La comparaison de ces deux taux fait
ressortir une évidence : si l’on veut limiter le coût de la santé, la priorité
est non de réduire le coût de fonctionnement, mais de ralentir la croissance
des dépenses de santé.
L’assurance maladie a réalisé
des gains de productivité : à effectif constant, le nombre des feuilles de
soins traitées a doublé en dix ans.
On dénombre 252 000
professionnels de santé libéraux (60 000 médecins généralistes, 53 000
spécialistes, 36 000 dentistes, 100 000 auxiliaires médicaux). Le nombre des
professionnels de santé croît de 0,8 % par an.
La médecine hospitalière est
assurée par 1 000 hôpitaux (320 000 lits), 700 établissements mutualistes ou
associatifs (64 000 lits) et 1 300 cliniques privées (100 000 lits).
Rôle du SI dans l'économie
de la santé
Le SI de la CNAM a
historiquement d’abord été perçu comme un outil d’automatisation des tâches à
des fins de productivité. On s’efforce de l’orienter aujourd’hui vers l’analyse
des dépenses de santé afin qu’elles soient soit justifiées, soit maîtrisées.
Le SI de la CNAM a reçu ainsi
mission de contribuer à la diversification des services de santé et à
l’amélioration de leur efficacité. Les enjeux sont divers : pour les
professionnels de santé (PS) il s’agit de la qualité des soins ainsi que de la
prise en charge du patient et de son environnement ; pour les assurés, du
remboursement rapide et efficace des prestations ; pour les scientifiques, de la
qualité des informations et des études etc.
Si l’assurance maladie est
légitime dans la fonction de remboursement, certains considèrent que la santé
publique relève des prérogatives de l’État, donc du ministère et non de la CNAM.
Le conflit avec le pouvoir politique
s’est traduit par la sortie du MEDEF des conseils d’administration.
La politique de santé, quel
qu’en soit le responsable, sera alimentée par les données de la CNAM et donc par
son SI. Comme tout SI, celui-ci devra remplir trois missions :
- gérer le processus de production des services (traitement des dossiers) ;
- maîtriser la gestion opérationnelle (indicateurs) ;
- éclairer la politique de santé (statistiques).
Questions d’organisation
En 1985, la CNAM avait avec le
système « Laser » un des meilleurs SI existants en France. Il a permis des gains
de productivité importants. Cependant l’état de l’art des SI a évolué, et le SI
de la CNAM a pris du retard. L’amélioration des services et des procédures bute
maintenant sur sa rigidité et sa lourdeur : il se trouve ainsi sur le chemin
critique de toute évolution de la politique de santé.
L’organisation de la CNAM rend
difficile le progrès du SI :
- L’assurance maladie, avec la CNAM, les CRAM, les CPAM etc., comporte des
centaines d’organismes dotés chacun de moyens propres : leur coordination ne
peut être qu’une animation.
- La coordination des maîtrises d'ouvrage (MOA) est placée dans l’organigramme au niveau n – 2 par
rapport au DG alors qu’elle doit préparer des arbitrages entre les niveaux n –
1. Les moyens qui lui sont affectés sont sans proportion avec son programme de
travail.
- La DSI de la CNAM emploie 1300 personnes
situées dans 40 localisations, la direction du développement est dispersée.
Écart entre la
réglementation et la pratique
Les activités de la CNAM sont
réglementées par le Code de la Sécurité Sociale, gros volume rouge publié chaque
année par Dalloz. L’édition 2000 comportait 2279 pages. L’édition 2003 en
comporte 2683 : le code s’est ainsi enrichi de 130 pages par an. Comme le SI est
peu modulaire, les évolutions réglementaires sont mises en oeuvre après de
lourds travaux d'analyse.
Les opérationnels répugnant à
utiliser des méthodes manuelles, la mise en place de certaines innovations est
retardée. Nous allons ainsi évoquer le cas du traitement de la feuille de soins,
de la carte Vitale, du paiement au forfait, des réseaux de soins, de la médecine
préventive, de la couverture maladie universelle.
La feuille de soins
La feuille de soins est la
pièce justificative qui déclenche le remboursement. Elle peut par ailleurs
fournir des informations sur la pratique des PS. Ce deuxième rôle s’est
progressivement enrichi. Dans un premier temps, seule la couleur des vignettes
était utilisée pour déterminer le taux de remboursement d’un médicament. Le
codage des médicaments et des actes de biologie a été introduit en 2001. En
2004, les soins cliniques seront codés (CCAM)
: cela permettra de préciser les tarifs et de déclencher des paiements vers les
PS qui ont participé à l’acte (chirurgien, anesthésiste etc.)
Si la gestion de la feuille de
soins a été automatisée, son contrôle n’a pas encore été dématérialisé.
Améliorer la gestion des fichiers pourrait apporter un gain de qualité.
Contrôler par sondage et analyse des comportements éviterait par ailleurs de
gérer un stock volumineux
: mais les règles de la comptabilité publique imposent de pouvoir contrôler la
pièce originale.
A terme, il est envisagé de
coder la pathologie, ce qui permettra des études épidémiologiques et l’analyse
du comportement des prescripteurs. Cela pose cependant de délicates questions de secret médical et d’interprétation des
diagnostics.
Pour tirer parti des
informations que fournit la feuille de soins, il faudra définir une nouvelle
exploitation des fichiers. Elle permettra d’améliorer les soins comme les
remboursements :
- Si le gaspillage dans les bilans pré-opératoires était supprimé, il serait
possible de rembourser intégralement les soins dentaires et les lunettes.
- Il existe en dermatologie une pommade qui, si elle est utilisée durant une
grossesse, provoque dans 50 % des cas une malformation du fœtus. La prescription
de cette pommade à une femme doit être accompagnée d’un test de grossesse. Or
cette règle n’est pas systématiquement appliquée par les médecins : l’analyse
des prescriptions permettrait de régler ce type de problème.
- La CNAM publie chaque année un recueil intitulé « Faits marquants » où elle
signale des comportements dangereux ou générateurs de gaspillages.
A partir de telles analyses elle pourra engager des actions pour modifier les
pratiques, actions qui seront reprises dans les conventions avec les professions
de santé.
La carte Vitale
Le système Sesam Vitale est la
pièce maîtresse des NTIC dans le secteur santé. La carte Vitale est
un facteur majeur de simplification administrative ; le poste de travail et la CPS
sont destinés à équiper 300 000 PS, à les mettre en réseau et à leur apporter
des services.
Ce système a déjà permis des
progrès : le délai de remboursement (une semaine) est dix fois plus court
qu’avec la feuille de soins, d’autant plus que certains patients gardent
celle-ci quelque temps avant de l’envoyer. Par ailleurs la fiabilité est plus
grande parce qu’il n’y a plus de ressaisies manuelles.
On peut envisager d’offrir sur
cette plate-forme une grande diversité de services aux PS comme aux assurés
: demandes préalables ; dossier médical ; aide à la prescription et prescription
électronique ; données d’urgence ; gestion des droits, règles et tarifs ; mise à
disposition d’informations pour les partenaires etc.
La question du poste de travail
du PS n’est cependant pas traitée, ce qui déclenche un conflit qui se focalise autour de
la version 1.40 de ce poste de travail.
Si la CNAM ne parvient pas à se mettre d’accord avec les PS, l’ensemble du
système sera compromis.
Il faut par ailleurs prévoir
une gestion du parc des lecteurs de cartes et du parc des cartes Vitale et des
CPS sur lesquelles on aurait dû mentionner une date limite d’utilisation (la
durée de vie d’une carte est de quelques années).
Les décisions concernant le
système Sesam Vitale sont contrôlées par une structure complexe comportant un GIE Sesam Vitale, un GIP CPS,
des conseils de surveillance, comités directeurs, commissions de suivi
comportant chacun des représentants des divers organismes d’assurance, de l’État,
des PS etc.
Le paiement au forfait
Le paiement à l’acte est
inflationniste : la rémunération du médecin étant fonction du nombre d’actes, il
est incité à multiplier les consultations courtes et l’arbitrage prix-volume se
fait au détriment de la sécurité sociale. Il arrive ainsi que le médecin qui
visite une maison de retraite fasse une feuille de soins et un déplacement par
patient. Il serait préférable de convenir d’un forfait.
La CNAM a, dans le cadre des
négociations conventionnelles, introduit la possibilité d’une rémunération
forfaitaire des médecins. Il faut pour cela introduire d'importantes
modifications dans le SI.
Les réseaux de soins
Certains patients comme les
dialysés, insuffisants respiratoires, cancéreux, personnes atteintes du Sida
etc. ont besoin de recevoir des soins relevant de spécialités diverses. Le but
du réseau de soins est de réunir autour du patient les compétences
nécessaires, selon une formule analogue à l’hospitalisation à domicile. Il
permet d’améliorer la qualité des soins tout en faisant des économies. La
coordination des soins limite le nombre des actes et permet de rembourser
des prestations qui autrement ne pourraient pas l’être.
L’assurance maladie paie un
forfait au réseau qui distribue ensuite la rémunération aux intervenants. Mais
le référentiel du SI ne distingue pas structures et personnes
physiques (par exemple le médecin et son cabinet).
La gestion des réseaux de soins est donc parallèle au SI. Il est très difficile dans ces conditions de
suivre les réseaux de soins et d’évaluer leur apport en termes de qualité
de service et d’économie.
La médecine préventive
La médecine préventive suppose
un SI de qualité. Pour les soins bucco-dentaires, par exemple, les soins
réparateurs sont moins coûteux que des prothèses. Il serait donc efficace de
rembourser les soins dentaires à un niveau élevé, à condition que les patients
se soient soumis à un dépistage bucco-dentaire. Cette disposition existe pour
les jeunes mais elle est difficile à gérer aujourd’hui parce qu’elle se traite
sur dossier papier.
La Couverture Maladie
Universelle
Jusqu’en 1999, toute période de
travail ouvrait un droit à la couverture par l’assurance maladie. La CMU a
introduit une condition de ressources : c’était une première dans l’histoire de
la sécurité sociale et un bouleversement dans la définition des droits. Elle
répond à une intention généreuse, mais la décision politique a été prise sans
que les conditions pratiques de son application ne soient réunies : le SI n'a
pas été prévu prendre en compte des éléments de type « condition de ressources
». Les opérationnels doivent là encore agir en parallèle du SI.
L’assurance maladie, auparavant
liée à une activité professionnelle, s’étend avec la CMU à tout résident légal
en France : « toute personne qui déclare auprès d’une caisse primaire ne pas
bénéficier de prestations en nature d’assurance maladie et maternité est
affectée sans délai, sur justification de son identité et de sa résidence stable
et régulière, et bénéficie immédiatement du régime général » (article L 380). Si
le revenu de la personne est inférieur au plafond, la cotisation est prise en
charge par l’Etat. Si le revenu est supérieur au plafond, la cotisation porte
sur le revenu.
Alors que cette mesure vise en
priorité les exclus, les formulaires sont compliqués : il a fallu former des
agents d’accueil pour aider à les remplir. De nombreux justificatifs sont
demandés mais à défaut une déclaration sur l’honneur suffit : l’inscription à la
CMU étant déclarative, la loi a créé une possibilité de fraude.
Elle suscite également
l’inflation : un détenteur de la CMU, n’ayant pas à supporter d’avance de frais,
consomme en moyenne 50 % de plus qu’un assuré normal. Cette proportion semble
durable et va au delà d’un effet de rattrapage.
Enfin, comme la couverture
complémentaire offerte par la CMU est plus complète que celle du Smicard,
la CMU renforce la trappe à l’emploi : un détenteur de la CMU est incité à se
contenter d’un travail au noir pour pouvoir la conserver.
Le plan d’urbanisation
Le plan d’urbanisation finalisé
en septembre 2003 a fourni une vue plus précise des enjeux du SI, des travaux à
réaliser et de leur coût. Il a défini une cible et un plan d’action. La priorité
est donnée aux référentiels (assurés, employeurs, organismes
complémentaires) ainsi qu’aux fonctions génériques (habilitation, pilotage,
administration des données) ; un projet ordonnancement / contrôle a été lancé
par les MOA métier.
Après concertation avec les
directions, un plan de transition devrait être disponible en septembre 2003 ; il
sera négocié avec le ministère pour aboutir à la convention
Les objectifs de la convention
d’objectifs et de gestion 2004-2007 négociée avec le ministère sont, une fois
encore, ambitieux pour le SI :
- développer la régulation médicalisée des dépenses,
- responsabiliser les assurés sociaux comme les PS,
- développer les services aux PS,
- mettre en place les outils permettant un partage des responsabilités,
- réorganiser la gestion du risque.
Le passage à la cible devrait
en principe s’étaler sur 2004-2013.
Les risques
Cette opération est nécessaire
car le système actuel est peu évolutif. Certes la CNAM assure les remboursements, mais son SI est
de moins en moins capable de prendre
en compte les évolutions réglementaires (CMU, suivi des contrats avec les
médecins référents etc.)
Vers un système
d’information de la Santé
Au delà de la CNAM il faut
considérer l’ensemble du secteur de la santé avec les questions que posent le
dossier médical, les plates-formes techniques ville-hôpital, la carte Vitale, la
CPS et surtout le poste de travail du PS, point de convergence des systèmes de
l’assurance maladie, de l’hôpital etc.
L’interopérabilité des SI de la
Santé est nécessaire pour
les progrès de la santé en France. Depuis les années 90 l’informatique de
communication permet d’envisager des SI alimentés en direct par les fournisseurs
ainsi que le partage d’information.
Cependant on ne peut faire interopérer que des SI de bonne qualité, notamment au
plan des référentiels et des fonctions génériques. Or l’informatisation date de
plusieurs dizaines d’années pour certains acteurs
et l’absence d’un référentiel commun interdit la
mise en place de services souhaités par la communauté médicale. Le SI
interprofessionnel
est en retard.
Toutefois le respect de
certaines normes (protocole IP etc.) s’est imposé sous la pression du marché ;
la politique de sécurité ou les outils hospitaliers ont étés mutualisés dans des
structures ad hoc (GIP CPS ou GMSIH).
L’AMO, puis l’AMC ont formé le GIE Sesam Vitale. A l’hôpital, après une période
d’informatique de gestion, la mise en place de SI médicaux
a été assumée par le GMSIH qui dispose de moyens importants. En parallèle,
l’organisation des soins a évolué dans les années 90 vers le réseau de prise en
charge médicale, le partage de l’information médicale entre soignants, voire
avec les patients,
mais sans que les moyens de cette communication ne soient mis en place ni même
définis.
En exercice libéral, la
multiplicité des fournisseurs, leur fréquent amateurisme, le refus des autorités
d’intervenir sur le marché « libre » des logiciels, font que 98% des données
médicales nominatives appartiennent à des éditeurs fragiles à moins qu’ils ne
soient contrôlés par l’industrie pharmaceutique.
Au plan scientifique, le désordre des SI rend difficile la recherche
épidémiologique et impose pour chaque étude des travaux spécifiques coûteux.
Chaque métier (régime
obligatoire, régime complémentaire, PS, scientifiques etc.) est théoriquement
autonome. Cependant, fort de ses moyens et de son succès, le SI Sesam Vitale
concentre les pouvoirs et s’efforce de se positionner comme fournisseur de la
communauté scientifique à travers le SNIRAM,
ce qui lui permet de justifier son enrichissement en données médicales.
Mais son métier de base (remboursement des prestations, voire gestion du
risque) ne lui confère pas la légitimité en ce qui concerne les données
médicales, la communication inter-professionnelle ou scientifique.
Les PS, sources et émetteurs de
la majorité des informations à destination des divers métiers, ne disposent
d’aucun moyen pour jouer leur rôle dans l’organisation actuelle
: ils n’ont pas même le pouvoir de définir leur propre poste de travail. L’Etat,
malgré quelques efforts, n’a pas pris la responsabilité du déploiement ou du
rééquilibrage des SI de Santé.
Cependant l’efficacité de la politique de santé de la France en dépend.
La CNAM à elle seule ne peut ni
embrasser ni arbitrer l’ensemble de ces questions. Il serait opportun de créer
un lieu d’arbitrage, de normalisation et d’échange qui aurait, dans le domaine
de la santé, un rôle analogue à celui du CSA dans l’audiovisuel. Il animerait la
concertation interministérielle en vue d’une interopérabilité entre le domaine
de la santé et d’autres domaines (carte de vie quotidienne du citoyen, carte du
ministère de l’intérieur etc.)
Cela permettra de préciser la
négociation avec les médecins. Aujourd’hui, modifier la CS touche 50 000 PS,
alors que modifier le tarif d’un acte d’ophtalmologie ne concerne que 1 200
ophtalmologues.
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