Ce
calcul date de 1996. Il est publié ici parce que le raisonnement garde sa
pertinence. Les données relatives à la demande, ainsi qu'aux prix et performance
des unités d'oeuvre, nécessitent par contre une mise à jour.
Viabilité de l’Internet
Nous avons estimé le coût annuel
moyen de l'Internet en amortissant les équipements selon leur durée de vie.
Les résultats suivants ont été
obtenus en considérant les régions qui rassemblent aujourd’hui la majorité des
utilisateurs de l’Internet : USA, Europe de l’ouest et Japon.
La simulation fait apparaître un
coût annuel moyen par utilisateur de l'ordre de 500 F en 1995 ; il décroît pour
atteindre 200 F en 2005. Le niveau relativement modique de ce coût, et sa
décroissance tendancielle, permettent de conclure à la viabilité économique de
l’Internet en tant que réseau.
Nous avons pris en compte le
coût de l'infrastructure (investissement et fonctionnement) de l'Internet, mais
non les charges relatives aux applications développées et exploitées sur
l'Internet (charges d'exploitation commerciales, de promotion, etc) :
elles doivent être affectées au compte d'exploitation de chacun des acteurs qui
interviennent sur l’Internet. Si l’on suppose que la prise en compte des
charges indirectes multiplie par deux le coût moyen direct de l’infrastructure,
on aboutit à un coût moyen par utilisateur de l'ordre de 1000 F/an en 1995. Ce
coût peut être équilibré par un abonnement mensuel de l’ordre de 100 F/mois, ce
qui est l’ordre de grandeur des abonnements proposés actuellement par les IAP.
L'économie de l'Internet : baisse des coûts
unitaires et croissance de la demande
L'économie de l'Internet est
marquée par deux tendances principales : la croissance de la demande (en nombre
d'utilisateurs et en trafic par utilisateur) et la baisse du prix unitaire des
équipements.
Le coût de l'Internet peut se
résumer par une addition de coûts unitaires parce que les effets d'échelle
jouent peu (voir ci-dessous). Le coût moyen de l'Internet par utilisateur peut
donc se résumer à une somme pondérée des coûts unitaires, divisée par somme des
utilisateurs. L’évolution du coût moyen par utilisateur sera donc fonction :
a) de l'évolution du trafic par
utilisateur, qui nécessite des redimensionnements ;
b) par l’évolution des prix
unitaires des unités d’œuvre.
Le modèle fait apparaître que la
baisse des prix unitaires fait plus que compenser l'incidence du
redimensionnement ; il en résulte une décroissance du coût moyen.
Hypothèse
centrale de demande en trafic
Si l’on fait le même calcul en
supposant les prix unitaires constants, on trouve que le coût moyen évolue
autour d'une tendance linéaire légèrement croissante : le redimensionnement du
réseau s'effectuant par paliers, la croissance du coût se produit lors des
échéances du redimensionnement. La croissance du coût moyen résulte de la
croissance du trafic par utilisateur, mais ce dernier effet est faible à côté
des autres caractéristiques de croissance de l'Internet.
Rappelons toutefois que le
scénario central est assez conservateur en ce qui concerne le trafic par
utilisateur (il est multiplié par trois sur la période d'étude). S'il s'avérait
que ce trafic croisse plus fortement que prévu (par exemple, par une utilisation
intensive de l'Internet pour l'audiovisuel), le coût moyen de l'Internet
pourrait ne plus être décroissant ; mais la nature du service rendu serait alors
modifiée, ce qui modifierait la demande (en prix comme en volume).
Peu d'économies d'échelle
L'architecture de l'Internet
s'oriente vers une organisation non hiérarchique. Une hiérarchie prévalait aux
USA jusqu'au début de 1996 et l'on distinguait trois niveaux : réseaux locaux
auxquels sont connectés les utilisateurs, réseaux régionaux destinés à
interconnecter les réseaux locaux d'une région pour leur offrir un accès vers le
niveau supérieur, backbone maillant les réseau régionaux. Depuis la
« transition », c'est-à-dire le démantèlement du backbone NSFNet, il n'y a plus
un seul réseau fédérateur mais plusieurs réseaux exploités par des acteurs
différents qui proposent une offre de points d'accès à l'Internet (NAPs). Ces
réseaux seront utilisés soit pour rattacher les utilisateurs, soit pour faire
transiter des flux de trafic ; les réseaux régionaux assurent les mêmes
fonctionnalités.
Si la structure hiérarchique
prévaut encore en Europe (réseaux régionaux, nationaux ou IAP ; backbone
européen Ebone et EuropaNet), aucune règle n’impose durablement cette
hiérarchie. Ainsi des IAP louent des LS vers les USA ou s'interconnectent
directement sur des points d'accès internationaux sans passer par un backbone.
L’évolution vers une structure
non hiérarchique limite les possibilités de concentration de trafic ainsi que
l’économie d’échelle que procure cette concentration.
Par ailleurs, tout opérateur
d'un réseau Internet, qu'il s'agisse d'un réseau d'accès ou d’un réseau
fédérateur, recherche la proximité des utilisateurs pour que ces derniers
puissent bénéficier d'un coût d'accès réduit : l'utilisateur ira en effet vers
la solution qui minimise le coût d'utilisation de son accès, au prix d'une
communication locale (mode dial-up) ou au tarif le plus bas s'il s'agit d'une LS.
Cette recherche de proximité implique la multiplication des noeuds de routage
(ou des nœuds d'accès).
Cette multiplication des
équipements est permise par la modicité de leur coût unitaire (le prix d'un
routeur type de l'Internet varie de 50 kF à 500 kF)
En conclusion, l’ingénierie de
l’Internet n’est pas guidée par la recherche d’une économie d’échelle ; elle
aboutit à la multiplication des réseaux indépendants, qu’il s’agisse des
fournisseurs d’accès, des réseaux régionaux ou des réseaux fédérateurs.
Cette conclusion, qui résulte de
considérations d'ordre technico-économique, doit être pondérée par la prise en
considération du marketing. Beaucoup d'acteurs de l'Internet sont de nouveaux
entrants dans le secteur des télécommunications.
Certains, comme les IAP (fournisseurs d'accès) vont devoir se construire une
notoriété et rechercher des cibles larges. On peut penser que, notamment en ce
qui concerne le marché des particuliers, les IAP qui réussiront le mieux seront
ceux qui auront réussit à imposer leur label à un niveau au moins national.
Ainsi, plutôt qu'une multiplication des réseaux indépendants (et des IAP), il y
aurait formation d'un marché oligopolistique.
Structure du coût
Répartition du coût entre réseaux régionaux et
backbone
La part des réseaux fédérateurs
(couche backbones) est faible en regard de la somme des coûts des couches
intermédiaires. Néanmoins cette part évolue dans le temps (la simulation
ci-dessous suppose que le backbone comporte 30 noeuds aux USA et 20 noeuds en
Europe).
Si le nombre des noeuds du
backbone devait augmenter, la part du backbone dans le coût total deviendrait
plus importante (la simulation ci-dessous est réalisée en considérant 90 noeuds
au USA et 60 noeuds en Europe) :
Répartition du coût entre composants
La répartition du coût entre les
divers composants est stable sur la période d'étude. La structure de l'Internet
est simple et on peut classer ses composants en trois types : équipements des
noeuds de routage, liaisons de transmission, personnel.
Le poste « liaisons de
transmission » est le plus important. Les liaisons considérées ici sont des
liaisons louées. Leur coût est donc le tarif de location des LS par les
opérateurs télécoms traditionnels : c'est un prix de détail souvent éloigné du
coût de revient de l'opérateur télécom.
Les variantes font apparaître
une grande sensibilité du coût de l'Internet aux charges de personnel :
une faible variation de la charge de personnel nécessaire pour un réseau
régional aurait un effet significatif sur le coût total de l'Internet.
Contrairement aux autres
composants du réseau, le coût unitaire du personnel n'évolue pas dans le temps.
Plus l'on avance dans la période d'étude, plus la sensibilité du coût aux
charges de personnel s'accentue.
Comparaison USA / Europe
Le coût des LS (louées par les
opérateurs télécoms) varie d'une région à l'autre : il est environ deux fois
plus élevé en Europe qu'aux USA. Ainsi, comme la location des LS est le
principal poste de coût de l'Internet, le coût moyen par utilisateur varie
fortement d'une région à l'autre : en 1995, il est de 370 F aux USA et de 650 F
en Europe.
Variantes
Variantes sur l’évolution du trafic
Il est intéressant d'observer la
sensibilité de ce résultat à divers scénarios d'évolution du trafic.
Scénarios relatifs au trafic ; Mégaoctets
par utilisateur et par an |
|
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Sc. 1 |
37 |
40 |
43 |
46 |
49 |
52 |
54 |
56 |
57 |
59 |
59 |
Sc. central |
41 |
46 |
52 |
59 |
66 |
72 |
78 |
84 |
88 |
92 |
94 |
Sc. 2 |
47 |
58 |
71 |
86 |
102 |
121 |
140 |
157 |
172 |
184 |
193 |
Sc. 3 |
60 |
82 |
110 |
145 |
192 |
250 |
314 |
375 |
429 |
473 |
507 |
Sc. 4 |
73 |
107 |
150 |
211 |
302 |
422 |
557 |
689 |
805 |
902 |
977 |
Ces scénarios supposent que
30% du trafic (par rapport au trafic qui y serait parvenu si la répartition
du trafic avait été supposée isotrope) remonte au backbone et au dernier
niveau intermédiaire.
Ces
scénarios montrent que le coût moyen par utilisateur croît avec le trafic moyen
par utilisateur, mais reste néanmoins relativement faible. Ce n’est que dans le
cas du scénario extrême (scénario 4) que l’on observe une tendance légèrement
croissante du coût moyen par utilisateur.
La téléphonie sur l’Internet
Les premiers logiciels de
téléphonie sur l'Internet sont disponibles depuis le début de 1995. Ils
permettent, moyennant un investissement initial faible (prix d'acquisition du
logiciel, équipement du PC avec une carte son et éventuellement abonnement à un
serveur) de téléphoner à n'importe quelle distance pour le prix de deux
communications locales.
La médiocre qualité des
communications téléphoniques sur l'Internet est souvent soulignée par ceux qui
ne veulent pas « croire » à la téléphonie sur l'Internet. Mais on peut supposer
que la qualité en téléphonie n'est pas, sauf cas particuliers, une priorité pour
les utilisateurs, qu’il s’agisse des professionnels ou des particuliers. Les
utilisateurs optent pour la solution qui assure la fonctionnalité demandée (i.
e. permettre le dialogue oral entre deux interlocuteurs distants) dans de bonnes
conditions, sans rechercher un niveau de qualité qui excèderait le besoin
objectif (que le dialogue oral soit audible), et en recherchant par contre le
prix le plus bas. Dans cette hypothèse, la médiocre qualité des communications
téléphoniques sur l'Internet ne serait pas un obstacle à leur généralisation, de
même que la médiocre qualité de la téléphonie mobile n'a pas fait obstacle à sa
diffusion. D'ailleurs on peut attendre des progrès en matière de codage de la
voix. Le seul handicap durable de la téléphonie sur l'Internet est un délai de
transmission d'un quart de seconde, analogue à celui ressenti lors d'une
communication par satellite.
Les développeurs des logiciels
de téléphonie sur Internet adoptent pour l'instant une attitude timide, mais on
doit prévoir l’accélération rapide de l'utilisation de ce nouveau mode de
téléphonie.
Même si l’on suppose une
généralisation rapide de la téléphonie de l'Internet (70% de la population
Internet en 2000, 90% en 2002), elle aura un effet faible sur le coût de
l'Internet. En effet le trafic induit par la téléphonie (voir estimation de la
demande plus haut et graphe ci-dessous) ne représente qu'une part du trafic
total inférieure à 15% à terme.
Ainsi, l'Internet pourra
supporter le trafic téléphonique longue distance de ses utilisateurs pour un
coût marginal faible.
Si le trafic téléphonique longue
distance des internautes peut être absorbé sans problème par l'architecture de
l'Internet, en contrepartie cela représenterait une fuite significative d'une
part du trafic téléphonique le plus rentable des opérateurs télécoms
traditionnels.
Variantes sur la définition de l’heure chargée
Il est difficile de définir
l’heure chargée sur l’Internet. Supposant que l’hypothèse centrale (50% du
trafic est écoulé sur 8 heures chargées) est large, nous avons réalisé des
variantes en restreignant la plage d’heures chargées.
Variantes sur la « zone tarifaire »
Rappelons que la surface des
mailles élémentaires du modèle est bornée inférieurement par la surface moyenne
des « zones tarifaires » qui peuvent être des ZLE, des zones de couverture d’un
réseau câblé, etc. Il est difficile d’estimer, à un niveau mondial, la surface
moyenne des ces zones (dans le scénario central, cette valeur est fixée à 500 km2).
Nous avons donc établi des variantes autour de cette hypothèse :
Variantes sur le nombre d’utilisateurs par
maille
Le nombre d’utilisateurs par
noeud élémentaire (i. e. par routeur de rattachement des utilisateurs) est un
paramètre important du modèle. L’hypothèse centrale, qui résulte d’observations
empiriques, suppose qu’il y a 400 utilisateurs par noeud. Le coût de l'Internet
en 1995 est sensible à cette hypothèse, mais elle a peu d'effet sur le coût à
moyen terme.
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