RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

Pour une écologie de l'esprit

28 mai 2007

Version imprimable

Pour poster un commentaire


Pour lire un peu plus :

-
Un nouveau militantisme
- L’émergence d’un alliage
- Construction d'un référentiel
- La démocratisation contre la démocratie

Que les politiques s'intéressent sérieusement à l'écologie, voilà une excellente chose ; mais il faut aussi s’intéresser à l'écologie de l'esprit, laquelle s'incarne (a) quand nous sommes en formation, dans le système éducatif ; (b) au travail, dans le système d’information de notre entreprise ; (c) lors des loisirs, dans les médias.

Considérons l’entreprise où nous vivons et travaillons huit heures par jour ouvré, et qui nous préoccupe encore en dehors du temps de travail. Notre environnement y est défini par le système d’information qui structure le langage professionnel, scelle l’organisation et balise les processus de production.

Or dans beaucoup d’entreprises le SI contraint les salariés à respirer une atmosphère qui n’est pas bonne pour la santé (mentale). Allons nous continuer à laisser polluer nos cervelles par des référentiels mal conçus, des architectures semblables à des bidonvilles de luxe, des processus mal construits, des interfaces opaques ?

*      *

Avez-vous le sentiment de gaspiller une part significative de votre temps de travail, en raison des défauts de l’organisation et du système d’information, de l’absurdité des procédures etc. ? Si c’est le cas, vous partagez le sort de 80 % de la population active car, d’après ce que j’ai vu dans les entreprises que j’ai fréquentées, seuls 20 % peuvent dire « la boîte est bien organisée », « on sait ce qu’on a à faire », « les dirigeants nous donnent des indications claires », « le SI est bien fichu » etc. 

Parmi les 80 % qui travaillent dans une entreprise mal organisée, la plupart « se débrouillent » et certains y trouvent même un certain plaisir, outre le plaisir de râler.  La casse est donc limitée – et c’est ainsi que notre pays fonctionne – mais la perte d’efficacité, le gaspillage de temps et d’énergie, sont pourtant considérables.

*     *

Dans nos entreprises, toute l’organisation, toutes les procédures tournent désormais autour de l’alliage entre l’être humain et l’automate ; tous les produits sont des assemblages de biens et de services ; tous les processus sont liés à une doublure informationnelle qui les balise, les outille et les contrôle. C’est là un fait, mais en perçoit-on les implications ?

Souvent d’ailleurs l’articulation entre l’être humain et l’automate n’est pas saine : on automatise parfois trop, parfois trop peu, souvent mal. Dans la plupart des entreprises les processeurs doivent pédaler pour compenser le couple infernal que forment, en se confortant mutuellement, l’incohérence des référentiels et l’illogisme de l’organisation. Or les solutions d’architecture, fussent-elles ingénieuses et coûteuses, ne peuvent pas compenser de tels défauts : la règle « garbage in, garbage out » est implacable.

Cette situation s’explique en partie par la rapidité et la profondeur d’une évolution qui depuis les années 1960 a transformé les entreprises, leur organisation et leurs méthodes : il faut du temps pour s’adapter. Mais d’autres pays (notamment en Asie) ne manifestent pas la même inertie que le nôtre.

*     *

J’espère que les politiques ne cherchent pas seulement à se concilier une opinion devenue enfin sensible à l’environnement, qu’ils sont sérieux et sincères quand ils disent vouloir s’attaquer aux problèmes que rencontre l’écologie de la nature.

Il faudrait qu’ils fussent tout aussi attentifs à l’écologie de l’esprit, à l’atmosphère mentale que nous respirons. La qualité des SI est, j'ose le dire, un enjeu aussi important que l’emploi sinon plus : car s’il faut que chacun ait un emploi, encore faut-il que cet emploi ne soit pas absurde, que le soin apporté à l’organisation du travail manifeste le respect envers la dignité du travailleur.

Dans notre système technique automatisé, l'automate soulage l'effort mental de l'être humain. Mais tout comme la machine, qui soulageait l'effort physique, pouvait meurtrir et déformer les corps, le système d'information peut meurtrir et déformer les cervelles. On rencontre dans les entreprises nombre de personnes intelligentes, mais que leur travail abrutit ; parmi les ingénieurs, la proportion de ceux qui sont déprimés et désespérés impressionne.

Les blocages sont dans les têtes et surtout dans les têtes des dirigeants que le système éducatif a formées et sélectionnées. L’écologie de l’esprit doit donc aussi s’intéresser aussi au système éducatif. Dispense-t-il une formation scientifique authentique ? Enseigne-t-il de bonnes méthodes de travail ? Forme-t-il à se poser les questions judicieuses ? N'est-il pas plutôt, comme le disait Pierre-Gilles de Gennes, « dogmatique et dominé par la théorie[1] », ne tourne-t-il pas le dos à la réflexion et à la création ?

Les médias, enfin, et notamment cette télévision que les Français regardent trois heures et demie par jour en moyenne, cherchent-ils à nous divertir pour vendre aux annonceurs du « temps de cerveau humain disponible », comme l’a dit Patrick Le Lay, PDG de TF1 [2], ou se soucient-ils de procurer à nos cerveaux une nourriture saine et de bon aloi ?


[1] Jean-François Augereau et Pierre Le Hir, « Un libre penseur au service de multiples causes », Le Monde, 23 mai 2007 p. 23.

[2] « Dans une perspective ”business”, soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » (Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième Jour, 2004, p. 92 et 93)