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Qualité « horizontale » et qualité « verticale »

18 juillet 2005


Pour lire un peu plus :

- Pour une économie de la qualité
-
Concurrence monopoliste
Cette fiche décrit l'équilibre de concurrence monopoliste d'un produit dont les consommateurs demandent diverses variétés, en distinguant deux cas :
1) les variétés ont toutes le même coût de production (qualité "horizontale") ;
2) le coût de production est fonction croissante de la qualité du produit (qualité "verticale").

1 - Qualité « horizontale »

Considérons un produit susceptible de diversification, c’est-à-dire tel que les besoins des consommateurs soient divers : ils ont des goûts différents.

Posons les hypothèses suivantes :

1)     Il existe N consommateurs.

2)     Les besoins des consommateurs se différencient selon un paramètre x réparti uniformément sur l’intervalle (0,1).

3)     Le coût fixe à dépenser pour offrir une variété du produit est C ; ce coût fixe recouvre les dépenses de conception, mise en fabrication, ainsi que le service associé à la commercialisation du produit. L’expression « coût fixe » signifie que C est indépendant de la quantité produite comme de la quantité vendue.

4)     Le produit est tel que chaque consommateur en achète un exemplaire ou aucun.

5)     La fonction de demande se résume à l'existence d'un prix de réservation P.

6)     Le consommateur dont la variété préférée est x' achètera le produit s'il existe une variété x offerte au prix p et telle que p + |x – x’| < P.

On peut, dans l'espace des besoins, représenter la zone de chalandise de la variété x par le graphique suivant :

Le nombre d’unités vendues de cette variété est y = 2N (P – p), où N est le nombre de consommateurs. Le chiffre d’affaires du producteur est yp.

Si yp > C, l’offre de la variété x dégage du profit. La libre entrée suscitera alors l’offre d’autres variétés dont les zones de chalandise vont paver l’intervalle (0,1) jusqu’à ce que le profit soit nul. Il en résulte qu'à l'équilibre le prix est p* tel que

yp* = 2Np*(P – p*) = C

d’où l'équation en p*

p*2 - Pp* + C/2N = 0

Seule une des deux solutions de cette équation correspond à un équilibre stable, et elle n’existe que si C < NP2/2.

Posons A = (P2 – 2C/N)½ ; alors

p* = (P + A)/2

Lorsque la libre entrée est parvenue à son terme, l'intervalle (0,1) est entièrement pavé par l'offre. Le nombre n* de variétés à l’équilibre est tel que chaque consommateur achète une unité du produit

n*y = N, d'où

n* = 1/2(P – p*) = 1/(P - A)

(NB : plus exactement, n* est la partie entière de cette quantité)

n* est fonction croissante de P et fonction décroissante de C. Comme le coût fixe C recouvre essentiellement des salaires, l’emploi à l’équilibre est

E* = n*C, d'où

E* = C/(P - A)

2 - Qualité « verticale »

Considérons maintenant la qualité « verticale », qui distingue les produits selon leur degré de finition. Pour aborder cette qualité du point de vue macro-économique, imaginons une robinsonnade. Robinson, seul sur son île, dispose d’une ressource, son temps de travail. Il peut l’utiliser pour produire un bien unitaire Y. Plus il travaille, plus la qualité de Y est élevée ; plus cette qualité est élevée, plus il est satisfait mais le travail comporte une désutilité. La fonction d’utilité de Robinson est U(W, Q), croissante en fonction de Q et décroissante en fonction de W. La fonction de production de la qualité est Q = Q(W).

On peut supposer de façon « réaliste » que Q(W) est à rendement décroissant. L’équilibre s’établit au point (W*, Q*) qui maximise U(W, L) sous la contrainte Q = Q(W) :

Ce raisonnement sommaire indique comment endogénéiser la qualité verticale : il faut définir une fonction de production qui associe un coût à la qualité, et une fonction d’utilité qui comporte la qualité comme argument.

Reprenons le modèle ci-dessus et ajoutons lui les hypothèses suivantes :

1)     la qualité est mesurée par un indice Q [0, 1] et la population des N clients, repérés chacun par la qualité qu’il préfère, est uniformément répartie sur cet intervalle.

2)     à chaque client est associé un prix de réservation P, fonction croissante de la qualité qu’il préfère : P = P(Q), P’(Q) > 0, P’’(Q) ≤ 0. On peut expliquer cette situation soit par la diversité des goûts, certaines personnes étant moins sensibles que d’autres à la qualité (donc moins disposées à payer cher un produit de haute qualité), soit par l’écart des revenus, les personnes ayant toutes les mêmes goûts mais n’ayant pas toutes les moyens de s’offrir un produit de haute qualité.

3)     le coût de production C est lui aussi fonction croissante de la qualité et le rendement de la fonction de production de la qualité est décroissant : C = C(Q), C’(Q) > 0, C’’(Q) > 0.

(NB : dans les calculs numériques, nous retiendrons des fonctions de la forme C(Q) = kemQ et P(Q) = aQ + b)

Supposons qu’une variété de qualité q soit offerte au prix p. Elle est susceptible de satisfaire les personnes pour lesquelles la qualité préférée est Q telle que :

|Q – q| + p < P(Q).

Cela revient à supposer, comme me l'a fait remarquer Nicolas Curien, qu'à chaque niveau de qualité est symboliquement associée une catégorie de la segmentation sociale : la personne qui pourrait acheter un produit de haute qualité à un prix correspondant à ses moyens hésitera à le faire, par crainte de se faire mal voir par les autres personnes de son segment. Nous explorerons ci-dessous une autre hypothèse.

Notons e(q) la largeur de l’intervalle dans lequel cette condition est remplie ; si l’on suppose que P’(Q) < 1 et que P’(Q) varie peu dans cet intervalle, on trouve : 

e(q) = 2 [P(q) – p] / [1 – P’(q)]

à l’équilibre le profit est nul, c'est-à-dire que p est égal à p* tel que :

p* N e(q) = 2 N p* (P – p*) / (1 – P’) = C(q)

ce qui donne, en posant A(q) = [P2(q) – 2[1 – P’(q)]C(q)/N]½

p*(q) = [P(q) + A(q)]/2

On trouve, en reportant cette valeur dans l’équation qui détermine e(q),

e*(q) = [P(q) – A(q)] / [1 – P’(q)]

La densité du nombre de variétés au point q étant 1 / e*(q), le nombre de variétés à l’équilibre est :

n* = (0, 1)dq / e*(q)

Les trois relations ci-dessus donnent le prix auquel est offert une variété, la largeur de son marché et le nombre total de variétés. L’équilibre de concurrence monopoliste est ainsi entièrement défini.

Contrairement au modèle de la qualité horizontale, il n’est pas possible ici d'effectuer l'ensemble du calcul de façon analytique. Par contre on peut faire une simulation numérique : nous en donnons ci-dessous un exemple.

Non segmentation sociale

Supposons maintenant que les divers niveaux de qualité du bien ne soient pas symboliquement attachés à un segment de la société. Dans ce cas, une variété q offerte au prix p est susceptible de satisfaire les personnes dont la variété préférée est Q telle que :

max {(Q - q), 0} + p < P

Cette expression se justifie ainsi :
- si le client est tel que pour lui Q > q, il achètera la variété q si Q – q + p(q) < P(Q) ;
- si Q < q, le client achètera q si p(q) < P(Q).

L'intervalle e(q) a la forme suivante :

 

on trouve alors

e(q) = [P(q) – p] / P’(q) [1 – P’(q)]

et si l'on pose

B(q) = [P2(q) – 4P’(q)[1 – P’(q)]C(q)/N]½

il vient

p*(q) = [P(q) + B(q)]/2

e*(q) = [P(q) – B(q)] / 2P’(q)[1 – P’(q)]

Simulation numérique

La simulation ci-dessous porte sur le cas où il existe une segmentation sociale. Supposons que :

C(q) = 500*e0,7*q
P(q) = 0,1*q + 0,1
N = 400 000

On trouve les résultats suivants :

Largeur des parts de marché

Les segments de marché sont larges pour les qualités faibles et fortes ; ils sont moins larges pour les qualités moyennes (ce résultat dépend des valeurs retenues pour les paramètres et il n’a pas de portée générale).

Prix en fonction de la qualité

Le prix d'équilibre est un peu plus bas que le prix de réservation pour chacune des valeurs de q.

Enfin, le nombre de variétés est n* = 83.

3 - Conséquences d’un gain de productivité

Dans une économie où l'on ne considère que la quantité et où, par hypothèse, les produits ne sont pas diversifiés en variétés, la hausse de la productivité entraîne à l'équilibre concurrentiel une baisse du prix. L'effet final sur l'emploi dépend de l'élasticité de la demande au prix, et il peut donc être négatif.

Nous allons montrer que dans l'économie de la qualité un gain de productivité se traduit par davantage d'emplois, résultat qui la distingue nettement de l'économie de la quantité à laquelle nous sommes habitués. Pour illustrer ce résultat nous nous limiterons à la diversification horizontale.

NB : Je n'ai pas encore vérifié si ce résultat avait ou non une portée générale (que devient-il si, par exemple, on remplace la fonction linéaire |Q - q| par une fonction quadratique ?) Le résultat obtenu avec notre spécification, qui est l'une des plus simples que l'on puisse retenir, me semble toutefois devoir retenir l'attention.

*   *

Quel est l'effet d'un gain de productivité dans une économie où les produits sont diversifiés en variétés ? Le gain de productivité permet soit (1) de diminuer le coût fixe C d’une variété, soit (2) d’augmenter la qualité d’une variété. Il revient aux entreprises de doser ces deux effets.

1) Supposons que leur politique soit de diminuer C. Il en résulte une baisse de l’emploi nécessaire pour produire une variété, mais aussi une hausse du nombre de variétés : l’effet sur l’emploi E* = n*C est donc qualitativement ambigu.

L’effet quantitatif est éclairé par l’équation E* = C/(P - (P2 – 2C/N)½). Si l’on suppose C/N petit par rapport à P (ce sera le cas si le nombre de variétés est grand), un développement limité de cette expression donne :

E* ~ NP – C/2P : l'emploi total croît donc si C diminue.

Donc un gain de productivité sur un produit fortement diversifié aura, même s’il est entièrement consacré à la baisse de C, un effet positif sur l’emploi car l'accroissement du nombre des variétés fait plus que compenser la baisse de l'emploi nécessaire pour produire une variété.

2) Supposons que C reste constant et que la totalité du gain de productivité soit consacrée à une hausse de la qualité du produit. Il en résulte une hausse du prix de réservation P. Elle entraîne une hausse du nombre de variétés n* et une hausse de l’emploi total n*C.

Donc si le nombre des variétés est élevé, un gain de productivité aura dans tous les cas un effet positif sur l’emploi.