A propos de la
maîtrise d’ouvrage du système d’information
2 décembre
2001
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Qu’est-ce
que la « maîtrise d’ouvrage » ?
Le « maître d’ouvrage »,
c’est l’entité (entreprise, direction, service) cliente de l’informatique
qui, elle, est « maître d’œuvre ». Par abus de langage, on
appelle « maîtres d’ouvrage » les personnes physiques qui, dans
cette entité cliente, ont compétence pour définir le SI que l’informatique
construira, maintiendra et exploitera.
Rôles
et terminologie
On distingue le « maître
d’ouvrage délégué » qui remplit une fonction d’expertise par délégation
du directeur de l'entité, et qu'il assiste dans la préparation des décisions
relatives au SI. On désigne ce directeur par le terme « maître
d’ouvrage stratégique ». Le maître d'ouvrage délégué a une mission
de coordination entre des « maîtres d’ouvrage opérationnels »
responsables chacun d'un des domaines du métier, ou, pour utiliser un langage
vieilli, de l'une des diverses « applications ». Chacun de ces maîtres
d’ouvrage opérationnels a en face de lui, du côté de l’informatique, un
« chef de projet » responsable de la maîtrise d’œuvre, et qui
appartient à la direction des études. Ainsi la maîtrise d'ouvrage s’insère
dans un réseau de relations entre diverses parties de l’organisation.
Un comité stratégique des
systèmes d'information réunit périodiquement les maîtres d'ouvrages
stratégiques et leurs maîtres d'ouvrage délégué pour prendre les décisions
essentielles, et en particulier pour définir le budget du système
d'information. Une coordination des maîtrises d'ouvrage assure l'animation des
maîtrises d'ouvrage déléguées en termes de méthode, de veille, et elle
s'assure de la qualité des relations avec l'informatique. Des services
d'assistance à maîtrise d'ouvrage sont commercialisés par certaines
SSII, qui fournissent ainsi aux entreprises des compétences nécessaires
mais qu'elles ne possèdent pas.
Du côté de l'informatique, le
directeur informatique et télécoms (DIT) coiffe, outre la direction des
études, une direction de la production et une direction télécoms ; à
l'intérieur de la direction des études, des responsables de domaine encadrent
les chefs de projet MOE, qui eux-mêmes encadrent ou éventuellement coordonnent
les interventions des fournisseurs extérieurs.
Si le partage des rôles
que nous venons de décrire se retrouve dans à peu près toutes les
entreprises, la terminologie est loin d'être fixée. Les mêmes mots
reçoivent des acceptions diverses selon l'entreprise considérée :
ainsi, certaines entreprises appellent "maître d'ouvrage
stratégique" ce que nous avons appelé "coordination des
maîtrises d'ouvrage" ; "assistance à maîtrise d'ouvrage"
ce que nous avons appelé "maîtrise d'ouvrage déléguée".
Lorsque l'on cherche à comprendre une organisation il faut faire les
traductions nécessaires vers la terminologie à laquelle on est soi-même
accoutumé. . |
Certains disent que la
distinction entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre est « franco-française ».
Elle existe pourtant dans les pays anglo-saxons même si le vocabulaire y est
différent. Aux États-Unis les maîtres d’ouvrage délégués sont nommés « business
technologists » : c’est une spécialité à laquelle forment les
universités.
Dans les années 90
l’informatique, en raison même de ses progrès, a changé de rôle ;
s’appuyant sur les PC en réseau, les interfaces graphiques et l’amélioration
des performances, le SI équipe désormais l’utilisateur dans toutes les étapes
de son processus de travail. On savait déjà que le SI est « stratégique ».
Bien plus, il est devenu quotidien, banal, puisqu’il est présent sur le poste de travail de
chacun et que le « travail assisté par
ordinateur » s’est généralisé.
Avant 1990 l’informatique
avait déjà pour clients les « métiers » de l’entreprise, mais
les spécifications fonctionnelles étaient souvent définies par les
informaticiens eux-mêmes à partir d’expressions de besoin sommaires. Avec
l’évolution et l’enrichissement du rôle de l’informatique, les spécifications
fonctionnelles sont devenues l’expression formelle complète du métier lui-même ;
elles ne peuvent donc être établies que par des personnes qui travaillent dans
le métier tout en étant capables de définir un SI et d’aider les dirigeants
à tirer parti des potentialités de l’informatique.
Ainsi s’est construite dans
l’entreprise une compétence nouvelle, la maîtrise d’ouvrage du SI. Elle
est souvent un débouché pour les informaticiens qui aiment à travailler au
plus près des métiers. Le club des maîtres
d’ouvrage, que j’ai l’honneur de présider, rassemble des entreprises
qui souhaitent faire progresser
l’organisation, les méthodes et la compétence de leur maîtrise d’ouvrage.
Il compte parmi ses membres des entreprises industrielles, des banques, des
assurances, des établissements publics et des ministères.
Tendances actuelles
L’organisation de
l’entreprise a dû évoluer pour faire une place à la maîtrise d’ouvrage,
le rôle de l’informatique a dû changer. Cela ne pouvait pas être facile. Il
y a eu bien naturellement au début des incompréhensions et des polémiques.
Puis les choses ont évolué. Dans la plupart des grandes entreprises, il
n’est plus nécessaire aujourd’hui de se battre pour faire admettre la nécessité
de la maîtrise d’ouvrage et l’époque des polémiques avec l’informatique
est révolue. Il est désormais admis que le SI dépend de deux professions
qui doivent coopérer : le maître d’ouvrage définit ses fonctionnalités du
SI et surveille sa bonne utilisation ; l’informaticien est maître d’œuvre
des solutions techniques, architectures et plates formes.
Certes, il est délicat
d’organiser une telle bipolarité mais il en existe d’autres dans
l’entreprise (que l’on pense aux relations entre « commerciaux »
et « producteurs »). Le secret du succès réside dans le respect
mutuel entre les deux spécialités, respect qui n’interdira pas la vigueur
dans la négociation.
La plupart des grands sinistres
informatiques ont pour cause le caractère inflationniste et versatile de la
demande fonctionnelle. La première priorité est donc de renforcer la qualité
des maîtrises d’ouvrage : le risque d’échec - ou de surcoût - est élevé
si celle-ci ne sait pas définir ses priorités pour rechercher la sobriété,
ou encore si elle tente de régler des problèmes politiques à travers le SI.
« Sobriété »,
c’est le maître mot ; sachant que la coût et la fragilité d’un SI
sont une fonction puissance de sa taille (qu’on mesure celle-ci en points de
fonction ou en lignes de code source, peu importe), il est très inefficace de réaliser
comme on le fait souvent des produits dont 80 % des fonctionnalités restent
inutilisées. La demande des utilisateurs doit être classée selon un ordre de
priorité et il faut la soumettre à une sélection sévère. Un SI sobre est
intelligent et évolutif : l’utilisateur sera dans la durée bien plus
satisfait que si l’on s’était acharné à répondre à sa « demande »
spontanée (cf. "La maîtrise d'ouvrage du SI et ses
utilisateurs").
Par ailleurs l‘informatique
passe par une phase de diversification en spécialités « pointues »
analogue à celle qu’a connue la médecine voici quelques décennies. Aucune
entreprise ne peut rentabiliser en interne toutes les compétences nécessaires
à son SI, qu’il s’agisse du développement, de l’architecture, de l’Internet
ou de la sécurité. Chaque direction informatique doit donc définir les spécialités
que l’entreprise maîtrisera en interne et celles qu’elle devra demander à
des prestataires extérieurs. En outre il faudra qu’elle soit devant ces
prestataires un client compétent et non un simple gestionnaire de
contrats.
L’économie du système d’information
Comme le SI équipe tous les métiers
de l’entreprise, il est normal que celle-ci lui consacre un certain effort.
Mais des progrès restent à faire pour maîtriser les dépenses. Ce n’est pas
facile : le coût des unités d’œuvre baisse, les architectures évoluent,
la pérennité des solutions et fournisseurs est problématique, les directions
générales sont bousculées par des phénomènes de mode au détriment des
maturations nécessaires (après avoir longtemps freiné l’utilisation de l’Internet,
elles se sont au début 2000 ruées vers l’e-business.)
Il faut en tout cas combler
certaines lacunes de la connaissance. Le coût du SI comporte non seulement les
dépenses informatiques, mais aussi celles de la maîtrise d’ouvrage qui sont
moins bien connues : temps interne et assistance consacrés aux recueils
d’expertise, spécifications, validations, recettes ; au déploiement, à
l’organisation, la formation des utilisateurs, l’animation,
l’administration des processus etc. Si l’attention se focalise sur les
projets, épisodes héroïques, on examine de moins près les coûts de
maintenance et d’exploitation qu’ils induiront, et moins encore le coût de
revient total des PC en réseau qui, s’il était connu, surprendrait beaucoup
de dirigeants.
L’entreprise doit connaître
la fonction de coût de son SI pour décider en connaissance de cause. A partir
de cette connaissance lucide, elle pourra appliquer des règles simples : réaliser
par palier, sous une stricte contrainte de budget et de délai, cela aide à
obtenir un SI sobre. Il faut aussi savoir tirer parti des nouvelles technologies :
on aurait tort de dépenser des millions d’Euros pour faire sur « grande
informatique » des choses qui coûtent quelques dizaines de milliers d’Euros
avec l’Intranet.
Enfin, s’il est difficile
d’évaluer la rentabilité du SI, c’est parce qu’il est devenu impossible
d’imaginer une entreprise sans SI : elle disparaîtrait ! La
rentabilité du SI est donc infinie et seul des esprits mal formés peuvent en déduire qu’il n’est pas rentable. Toutefois cette rentabilité ne peut
se manifester que si l’entreprise sait éviter les gaspillages. Elle doit connaître ses coûts
afin d'obtenir le maximum
d’efficacité pour l’effort consenti. Puis elle doit choisir le niveau
raisonnable de son degré d’informatisation, qui se mesure en évaluant le coût
annuel complet du SI par salarié.
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