Modélisation économique du système
d'information
2 février 2002
Introduction
Le but de cette fiche est de
fournir des simulations de la dynamique d’un système d’information (SI)
lorsque l’entreprise détermine l’effort qu’elle consacre à celui-ci en
suivant une des règles simples que l'on rencontre parfois dans la pratique des
entreprises.
Les directions générales perçoivent en effet souvent leur « informatique » comme un poste
de coût qu’il faut comprimer, sans s’interroger plus avant sur la rentabilité du SI
qu’elles croient d'ailleurs impossible à évaluer. Elles choisissent alors de suivre
l’une ou l’autre de quelques règles simples : fixer le
budget de l’informatique à un montant jugé raisonnable, qu'elles appellent
"enveloppe", fixer la part des études
dans le budget informatique etc.
Toutefois certaines de ces règles
sont susceptibles d’avoir des effets pervers que nous allons décrire.
Modèle
On pose les hypothèses
suivantes :
-
le SI comporte à la date t un stock d’applications dont le
volume est mesuré par St,
le coût de maintenance et d’exploitation par atSt ,
-
durant l’année t sont réalisées de nouvelles applications qui
viendront s’ajouter aux anciennes et dont le coût de production est btNt.
(NB : Nous comptons parmi les nouvelles applications les évolutions des applications
anciennes).
-
le taux d’obsolescence du stock d’applications anciennes est δ
(0 <
δ < 1) .
-
les coûts unitaires décroissent au taux annuel constant
k : at = ae-kt, bt = be-kt
Le coût
du SI à l’année t est alors :
Ct = atSt
+ btNt
= (aSt + bNt)e-kt
Le stock
d’applications en exploitation durant l’année t + 1 est :
St + 1 = St + ΔSt
= St(1 - δ)
+ Nt
Si l’on
connaît le niveau initial S0 et la série Nt, on peut à
partir des relations précédentes calculer les séries St et Ct.
Les deux équations ci-dessus permettent donc, une fois posés le niveau S0
et l’hypothèse concernant la série Nt, de décrire entièrement
la dynamique du coût du SI.
D’après
Peter Keen (1993), pour une dépense de 1 $ en développement, on dépense
pendant chaque année ultérieure 20 cents d’exploitation et 40 cents de
maintenance. Nous retiendrons ici les hypothèses suivantes :
-
le coût annuel de la maintenance est de 20 % du coût de réalisation
(moyenne entre le taux initial de 15 % et le taux de 30 % au delà duquel
l’application serait jugée obsolète),
-
le coût annuel d’exploitation est de 30 % du coût de réalisation.
Si l’on
normalise le coefficient b (coût unitaire de la réalisation) en lui donnant la
valeur 1, le coefficient a (coût unitaire de l’exploitation et de la
maintenance) est donc égal à 0,5 ; le coût d’exploitation est alors
0,3*Ste-kt et le coût des études (Nt + 0,2*St)e-kt.
Les
simulations seront réalisées à partir des hypothèses suivantes :
a
= 0,5 ; b = 1 ; δ
= 20 % (durée de vie = cinq ans) ; k = 20 %
Dynamique
induite par des règles simples
Nous
allons examiner l’évolution du budget informatique sous diverses hypothèses
déterminant chacune la série Nt :
-
volumes constants :
-
constance du volume du stock St des applications ;
-
constance du volume du flux Nt des nouveaux développements.
-
valeurs constantes :
-
constance de la valeur du flux btNt des
nouveaux développements ;
-
part constante des nouveaux développements dans le budget ;
-
budget total constant.
Chacune de ces « règles
simples » est en effet retenue par des entreprises. Certaines d’entre
elles induisent des évolutions exponentielles (croissantes ou décroissantes).
Les entreprises qui les appliquent peuvent certes, en pratiquant une régulation,
changer la règle lorsque ses conséquences deviennent déraisonnables. Mais il
faut pour cela qu’elles soient vigilantes : si une règle est appliquée
quelques années de trop avant que l’entreprise ne réagisse, les dégâts
peuvent être considérables. Réguler en appliquant une succession de règles
explosives comporte des risques.
Volumes constants
Nous
supposerons d’abord constant le stock des applications en exploitation:
les nouveaux développements compensent alors exactement la perte due à
l’obsolescence, et la dynamique du coût du SI dépend essentiellement de la
baisse des prix unitaires.
Puis
nous supposerons constant le volume du flux des nouveaux développements. Nous
trouverons alors que le stock des applications tend vers un niveau limite S*
(celui où le flux des nouveaux développements est exactement compensé par
l’obsolescence des applications existantes). La dynamique avant d’atteindre
le niveau S* dépend du niveau de départ S0 : si S0
est inférieur à S*, il y a croissance de S, et inversement S diminue si S0
> S*. Une fois S* atteint, on retrouve la dynamique correspondant à un
niveau constant de S examinée précédemment.
Les règles
de gestion du SI “ en volume ” ont, sous l’hypothèse d’une
baisse des coûts unitaires, un effet de compression sur le budget de
l’informatique qui “ implose ” et tend à s’annuler à
terme.
St
constant
St = S
Le flux
des nouvelles applications compense la perte due à l’obsolescence :
Nt = δS
Donc Ct = S(at + btδ), d’où :
ΔC/C =
- k
Le coût
total diminue au taux k à partir du coût initial C0. Les autres coûts
varient de même.
Voici
l’évolution du budget informatique sous les hypothèses ci-dessus si l’on
pose S = 1.
La décroissance
du coût est due à l’hypothèse que nous avons faite sur le coefficient k. Si
nous avions supposé k = 0 (pas de baisse des coûts unitaires), nous aurions
trouvé des coûts constants.
Nt constant
Nt
= N
St =
St - 1(1 - δ) +
N
Il est
utile d’introduire ici un résultat que nous allons utiliser à plusieurs
reprises :
Encadré 1
- Supposons
que la série Xt obéisse à la loi :
- Xt
= AXt - 1 + B, avec 0 < A < 1.
- En
développant cette expression à partir du premier terme de la série,
on obtient :
- Xt
= X0At + B [ 1 + A + A2 + … + At
- 1 ], soit :
- Xt
= X0At + B(1 - At)/(1 - A)
- D’où,
si l’on pose X* = B/(1 - A)
- Xt
= X* + (X0
- X*)At
- La
série Xt tend donc vers X*.
|
D’après
ce résultat, si l’on pose S* = N / δ :
St = S* + (S0
- S*)(1 - δ)
t
Lorsque t
tend vers l’infini, St tend vers S* ; selon que S0
est supérieur ou inférieur à S*, la
série St converge vers S* en diminuant ou en augmentant. La
convergence est d’autant plus rapide que δ est plus élevé.
Lorsque St
est proche de sa valeur asymptotique S*, on retrouve la dynamique du cas précédent
(où S est constant).
Voici
l’évolution des coûts, en supposant N = 1 et S0 = 0 :
On
observe que sous nos hypothèses le coût passe par un maximum avant de décroître :
l’accumulation du stock S se fait ici au départ à un rythme plus rapide que
k, ce qui entraîne un accroissement des dépenses d’exploitation ; puis,
lorsque le stock approche le niveau asymptotique S*, on retrouve une dynamique
semblable à celle observée précédemment.
L’allure
de l’évolution aurait été bien sûr différente si nous avions choisi un
niveau S0 supérieur à S*.
Valeurs constantes
Coût constant des
nouveaux développements
Supposons
constant le budget consacré aux nouveaux développements :
btNt
= d
Dans ce
cas,
Nt
= (d/b)ekt.
Le coût
de maintenance et d’exploitation de l’année t est :
atSt =
at - 1St - 1(1 - δ)e-
k + (ad/b)
D’après
l’encadré 1, si l’on pose :
(atSt)* = ad / b(δ + k), on
obtient :
atSt = (atSt)*+
[aS0 - (atSt)*](1 - δ) te-kt
Ct
tend vers la limite C* :
C* = d [1 + a / b(δ
+ k)]
Ainsi, si
le coût des nouveaux développements est constant, on obtient à terme un
budget informatique constant. Cette politique a donc un effet stabilisateur sur
le coût de l’informatique. Les volumes, eux, croissent exponentiellement au
rythme de la baisse des coûts unitaires.
Part des nouveaux développements
dans le budget constante
Supposons
constante la part des dépenses consacrée au développement de nouvelles
applications dans le budget informatique :
c =
btNt / Ct, avec 0 < c < 1.
NB :
dans les simulations, nous supposerons que c = 50 %, proportion qui correspond
au taux observé dans certaines directions informatiques.
Ct
= atSt/(1 - c)
Il en résulte
que :
ΔC/C =
ΔS/S - k
Par
ailleurs,
Nt
= acSt / b(1 - c)
St + 1 = St [1 - δ + ac/b(1
- c)], d’où
ΔS/S
= ac/b(1 - c) - δ
ΔC/C
= [ac/b(1 - c) - δ] - k
Il en résulte
une évolution exponentielle du budget informatique. Son signe dépend de celui
de [ac/b(1 - c) - δ]
- k . Sous les hypothèses que nous avons retenues, l’exponentielle est
croissante. Si l’on supposait la baisse des coûts plus rapide (par exemple k
= 30 %), elle serait décroissante. Cette politique a donc un effet déstabilisateur
sur le budget de l’informatique : il suivra une tendance exponentielle
explosive ou implosive selon les coefficients.
Ainsi
supposer le budget du développement constant a un effet stabilisateur ;
mais supposer constante la part du développement dans le budget total a
un effet déstabilisateur.
Supposons
que k = δ = 0 (pas
d’obsolescence, pas de décroissance des coûts) ; on aurait alors :
ΔC/C = ac/b(1
- c)
Dans ce
cas, l’exponentielle est croissante puisque c < 1. Avec les paramètres
retenus, on trouve ΔC/C = 50 %.
Avec δ = 20 %, on trouve ΔC/C = 30 %. L’évolution du coût est
moins rapide s’il existe une obsolescence. Ce résultat semble paradoxal,
puisque l’obsolescence est a priori coûteuse. Cependant elle a l’ « avantage »
de réduire le stock en exploitation, donc les coûts d’exploitation. Le
paradoxe est levé si l’on suppose le service rendu par l’informatique
proportionnel au stock S ; le service rendu par unité de coût est :
P = S / C
l’évolution
du service rendu par unité de coût, qui est un indicateur d’efficacité, est :
ΔP/P
= ΔS/S - ΔC/C =
k(1 + ΔS/S) = k [1 +
ac/b(1 - c) - δ]
L’efficacité
est d’autant plus forte que l’obsolescence est plus faible, ce qui est
conforme à l’intuition.
Budget informatique total
constant
Dans ce
cas
Ct
= C
Nt = (C - atSt)/bt
D’où :
at + 1St + 1 = atSt(1 - δ - a/b)(1 - k) + aC(1 - k)/b
Supposons
que 1 - d - a/b > 0 ; comme
0 < (1 - δ - a/b)(1 - k)
< 1, atSt tend vers la valeur limite :
(atSt)* = aC/[a + b(δ +k/(1 -
k))],
et btNt
tend vers la valeur limite
(btNt)* = C - (atSt)*
Le
rapport entre les coûts de développement et d’exploitation tend donc vers :
(btNt)*/(atSt)* = [δ +k/(1 - k)]b/a
Il est
intéressant d’examiner sur une variante ce que deviennent la dépense atSt
d’entretien du stock, et la dépense btNt consacrée à
l’accroissement du stock, si l’on suppose que la baisse des prix k et
l’obsolescence d sont toutes deux nulles. On trouve alors l’évolution
suivante :
La règle
“ budget constant ” conduit, si l’obsolescence est faible et la
baisse de prix négligeable, à annuler les dépenses consacrées à
l’innovation : la totalité du budget informatique étant à terme
consacrée à la maintenance et à l’exploitation du stock existant,
l’innovation est devenue impossible. La règle "budget constant", qui peut paraître a
priori raisonnable et qui est en effet souvent appliquée par les
entreprises, conduit à fixer les nouveaux développements à un niveau qui n'a
aucune relation avec les besoins de l’entreprise.
Prise en compte des dépenses
de la maîtrise d’ouvrage
Nous
n’avons jusqu’à présent considéré que les dépenses proprement
informatiques, car c’est sur elles que l’attention se focalise en général.
Le coût d’un SI comprend aussi les dépenses de la maîtrise d’ouvrage.
Elles se classent selon les rubriques suivantes :
-
dépenses de suivi du SI existant, proportionnelles au volume du SI
existant ; leur montant pendant l’année t est αatSt ,
où nous retiendrons α = 5
% ;
-
dépenses de mise en place : formation des utilisateurs, déploiement,
conduite du changement ; on peut affecter ces dépenses à l’année qui
suit l’investissement informatique,; leur montant pendant l’année t est βbt
- 1Nt - 1, où nous retiendrons β
= 20 % ;
-
dépenses de suivi des réalisations : suivi du projet et recettes ;
on peut affecter ces dépenses à l’année de réalisation ; leur montant
pendant l’année t est γbtNt
, où nous retiendrons γ
= 10 % ;
-
dépenses de conception : expression des besoins, étude économique
et sélection des projets, spécifications générales, validation des spécifications
détaillées ; on peut affecter ces dépenses à l’année qui précède
l’investissement informatique ; leur montant pendant l’année t est εbt
+ 1Nt + 1 , où nous retiendrons ε
= 25 %.
Il en résulte
que les dépenses de maîtrise d’ouvrage sont une fraction des dépenses
consacrées à l’exploitation et à la maintenance du stock des applications
existantes, plus une moyenne mobile des dépenses consacrées à la production
des nouvelles applications :
At
= αatSt +
βbt - 1Nt -
1 + γbtNt
+ εbt + 1Nt
+ 1
Lorsque
le régime de croisière est atteint, les dépenses de la maîtrise d’ouvrage
représentent dans les divers cas que nous avons considérés les pourcentages
suivants par rapport aux dépenses informatiques :
-
St constant : 19,2 % ;
-
Nt constant : 19,2 % ;
-
btNt constant : 16,2 % ;
-
part constante des nouveaux développements dans le budget informatique :
16,3 % ;
-
budget informatique constant : 16,5 %.
Conclusion
A l’issue de cet exercice,
nous voyons que l’application de règles de gestion simples à
l’informatique peut entraîner des effets imprévus :
-
volumes constants :
-
constance du volume du stock St des applications : les réalisations
nouvelles ne font que compenser l’obsolescence ; le budget informatique décroît
au rythme du prix des unités d’œuvre.
-
constance du volume du flux Nt des nouveaux développements :
le stock des applications tend vers une valeur limite S* ; après quoi le
budget informatique décroît au rythme du prix des unités d’œuvre.
-
valeurs constantes :
-
constance de la valeur du flux btNt des
nouveaux développements : le budget informatique tend vers une limite C*.
Cette politique a donc un effet stabilisateur – toute la question étant de
savoir si la dépense C* est optimale ou non.
-
part constante des nouveaux développements dans le budget : le
budget informatique a une évolution exponentielle, explosive ou implosive selon
les valeurs des coefficients. Cette politique est donc déstabilisante.
-
budget total constant : si le budget informatique est constant, les
parts consacrées aux nouveaux développement et à la maintenance tendent
toutes deux à se stabiliser. Cette politique est par nature stabilisatrice en
termes budgétaires, mais elle peut avoir des effets extrêmes selon les
coefficients (il peut par exemple arriver que les dépenses consacrées aux
nouveaux développements soient totalement laminées). On retrouve donc ici la même
question que ci-dessus : il faudrait pouvoir définir le budget
informatique optimal de l’entreprise.
Nos simulations ont exploré
les conséquences de règles de gestion appliquées de façon mécanique. Dans
la pratique, une entreprise saura modifier ses règles pour éviter la
catastrophe : derrière la succession des règles se profile la recherche
implicite d’un optimum.
δ est l’inverse de la durée de vie d’une application (δ
est donc nul si l’on suppose la durée de vie infinie).
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