A la recherche du taux d’informatisation
optimal
2 février 2002
Nous avons dans une première
fiche examiné des profils d’évolution résultant de principes de gestion
que l’on rencontre dans la pratique, mais qui ne représentent qu’une
approximation imprécise de ce que peut être la dynamique optimale du système
d’information de l’entreprise.
Nous allons tenter de donner un
contenu à cette dernière expression en utilisant des notations analogues à
celle de la fiche précédente et en supposant :
-
que l’entreprise cherche à maximiser la valeur actualisée de son
profit.
-
que la fonction de production de l’entreprise est une fonction de
Cobb-Douglas à rendement constant :
(1) Y = F(S, L) = Sμ Lν
avec μ + ν = 1,
où S est la taille du système
d’information (c’est un stock que l’on peut mesurer par le nombre de
lignes de code source, le nombre de points de fonction ou par toute unité
analogue, peu importe ici) et L le volume du travail employé par
l’entreprise. Nous supposons que le prix p auquel Y est vendu sur le marché
est unitaire. Le salaire annuel est w et le
volume du facteur travail L croît au rythme annuel τ que nous supposons
exogène.
On peut bien sûr utiliser
d’autres spécifications de la fonction de production (notamment la fonction
de production à facteurs complémentaires). Cependant la fonction de
Cobb-Douglas est celle que les économistes utilisent le plus souvent parce
qu’elle est la plus simple, la plus banale qu’il soit possible d’imaginer
– et aussi parce que l’on peut démontrer que si les entreprises d’un même
secteur concurrentiel ont chacune une fonction de production à facteurs complémentaires,
le jeu de la concurrence et de la libre entrée fait que le secteur lui-même,
considéré comme un ensemble, aura pour fonction de production une Cobb-Douglas
à rendement constant.
Lorsque l‘économiste utilise
une fonction de production, il suppose implicitement résolus les problèmes
d’efficacité que pose la mise en œuvre des facteurs : Y sera la production
maximale qu’il est possible d’obtenir en utilisant les quantités S et L des
facteurs (s’agissant du système d’information, on suppose donc que les méthodes
utilisées pour le construire et l’exploiter sont les meilleures, qu’il
s’agisse de la qualité et du contrôle des logiciels ou de la maintenance
etc.) Il reste alors à déterminer la stratégie d’informatisation la plus
efficace compte tenu du coût des facteurs et des buts de l’entreprise, cette
stratégie se réduisant au choix de la série chronologique St.
Si l’on note Nt le
volume des nouveaux développements réalisés lors de l’année t et δ le taux d’obsolescence du SI existant, le volume du SI en
exploitation l’année t est :
(2) St =
St – 1 (1 - δ) + Nt
L’évolution de St
est donc connue si l’on connaît le stock initial S0 et la série
des Nt.
Le coût du système
d’information est :
(3)
Ct = (aSt + bNt)e-kt
(Nous retenons ici une
expression simplifiée du coût, la prise en compte des dépenses de maîtrise
d’ouvrage pouvant se faire simplement).
Nous supposons que
l’entreprise cherche à maximiser la valeur actualisée d’une fonction
d’utilité selon le taux d’actualisation exogène r :
(4) W =
∫(Yt
– wLt - Ct)ξe-rt dt , avec
ξ ≤ 1.
Si ξ = 1, W est la valeur
actualisée du profit. Si ξ < 1, l’entreprise accorde d’autant plus
d’importance au profit que celui-ci est plus bas, ce qui correspond à un
comportement très répandu.
Le problème du niveau optimal
d’informatisation peut être analysé, selon les méthodes de la programmation
dynamique, en termes de « variables d’état », « variables
de contrôle », « équations du mouvement », « état
initial », « état final » et « fonction objectif ».
Associons à toutes les quantités
(S, N etc.) une quantité par personne que nous représenterons par une lettre
minuscule (s = S/L, n = N/L, etc.). Notons τ le taux de croissance de
l’effectif L.
La fonction de production s’écrit
alors :
(5)
y = F(S, L)/L = f(s) = sμ
La variable d’état est alors
le « taux d’informatisation par personne » s.
Supposons d’abord que k = 0
(le prix des unités d’œuvre est constant). Dans ce cas, le coût de
l’informatique par personne est :
(6) ct =
ast + bnt
La variation du stock
informatique par personne entre l’année t et l’année t + 1 est égale au
volume des nouveaux développements par personne, moins la perte due à
l’obsolescence, moins l’effet de la croissance du nombre des personnes :
(7) dst/dt = nt
– (δ + τ)st
Le profit par personne l’année
t est, en notant w le coût d’une personne :
(8) πt
= yt – w - ct
en éliminant nt
entre ces relations, on obtient l’équation du mouvement :
(9)
ds/dt = [f(s) - w – π]/b – λs,
avec λ = a/b + δ + τ,
L’état initial est caractérisé
par le niveau s0 du taux d’informatisation à l’instant initial t0.
Du point de vue de l’entreprise, la variable de contrôle est le profit par
personne π ; le problème est de choisir un sentier π(t) sur
l’intervalle (t0, t1).
Toute trajectoire π
satisfaisant l’équation du mouvement et la condition 0
≤ π ≤ f(s) - as - w étant possible, le problème est de choisir parmi les trajectoires
possibles celle qui maximise la fonction objectif.
On trouvera en annexe
le raisonnement qui conduit au taux d’informatisation optimal s* :
(10)
s* = {µ/[a + b(r + δ +
τ(1 – ξ))]}1/(1 - µ)
les autres valeurs
stationnaires s’en déduisent :
(11) y* = s*μ ; n* = (δ
+
τ)s* ; c* = s*[a + b(δ
+ τ)].
Le
profit par personne est π* tel que :
(12)
π*
= f(s*) - c* - w
On appelle l’équilibre en
(s*, π*) “ sentier de croissance équilibré ”. Le long de ce
sentier, la production totale Y, le profit total et le stock total S croissent
tous au taux τ du nombre Lt des personnes.
Simulations numériques
On prend pour paramètres
les valeurs st et on maximise la valeur actualisée de l’utilité
calculée sur l’ensemble de la période considérée.
Prenons les valeurs suivantes
des coefficients :
µ
= 0,5 ; d
= 0,1 ; r = 0,1 ; x
= 0,8 ; a = 0,5 ; b = 1 ; τ = 0 ; w
= 0,2.
Si k = 0, on trouve s* =
0,5102. Supposons que les valeurs initiales et finales sont s0 =
0,3 et s1 = 0,7. La simulation sur 20 ans fournit la série st
optimale suivante, dont l’allure fait bien apparaître le phénomène du péage :
Si l’on suppose que ξ
= 1 (la fonction objectif est le profit actualisé), on trouve que le phénomène
du péage est brutal : le taux d’informatisation rejoint la valeur s* dès
l’année 1 et ne s’en écarte que la dernière année :
La simulation numérique permet
de traiter des problèmes qui n’ont pas de solution analytique. Supposons par
exemple que le coût unitaire du système d’information diminue en posant k =
10 %. Si nous conservons les mêmes valeurs de s0 et s1,
nous obtenons l’évolution suivante de st :
Il est intéressant
d’examiner la part du budget informatique dans la valeur de la production ;
on trouve alors un résultat important : cette part est constante, sauf
vers la fin de la période :
Ce résultat évoque un phénomène
de péage, la variable d’état étant alors non le taux d’informatisation
mesuré selon le volume par personne st mais la part du budget du SI
dans le chiffre d’affaires. On peut, par tâtonnement, trouver la trajectoire
optimale qui maintient ce rapport à peu près constant (il est exactement
constant si ξ = 1). On voit alors que le taux d’informatisation optimal
st suit une trajectoire exponentielle.
La simulation numérique nous
apporte donc, outre une visualisation du phénomène du péage, les constats
suivants :
-
le phénomène du péage est d’autant plus brutal que ξ
est plus élevé (c’est-à-dire que l’entreprise raisonne en terme de profit
actualisé) ;
-
lorsque le coût du SI baisse de façon exponentielle (k > 0) la
variable d’état qu’il convient de contrôler est non le taux
d’informatisation st, mais le rapport ct/yt
entre le coût du SI et le chiffre d’affaire, et le taux d’informatisation
optimal croît de façon exponentielle.
Bibliographie
Jean-Louis Peaucelle, Informatique
rentable et mesure des gains, Hermès 1997
Peter
G. W. Keen, Shaping the Future, Business
Design through information technology, Harvard Business School Press 1993
Jacques Printz, Puissance
et limites des systèmes informatisés, Hermès 1998
Michael
D. Intriligator, Mathematical Optimization
and Economic Theory, Prentice-Hall
1971
« Turnpike theorem » ; cf. Michael
D. Intriligator, Mathematical
Optimization and Economic Theory, Prentice-Hall
1971, p. 435.
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