Le réseau télécoms était adapté à la conversation téléphonique mais non à la communication entre
ordinateurs. Il offrait aux interlocuteurs un circuit bidirectionnel à 4 kHz
établi en début de communication et maintenu pendant la durée de
celle-ci. Les ordinateurs, qui échangent non des conversations mais des bouffées
de données, n’avaient pas besoin d’un circuit permanent ; par contre ils avaient
besoin que la transmission fût protégée contre les perturbations provenant de
l’environnement hertzien et contre les micro-coupures, peu sensibles en téléphonie
mais destructrices quand il s’agit de transmettre un flux de données.
La commutation de paquets a été
inventée séparément par Paul Baran, un américain, (1926-) et Donald Davies
(1924-2000), un britannique. Le réseau transmet non plus des sons, mais des bits,
ce qui permet d’utiliser des répéteurs informatiques qui éliminent les défauts
de transmission. Le message est découpé en paquets de taille uniforme contenant
l’information nécessaire à leur routage. Enfin, en raison du caractère
discontinu du flux de données, un même ressource de transmission peut être
utilisée pour plusieurs communications simultanées.
Baran avait étudié la
vulnérabilité du réseau à une attaque nucléaire, question cruciale pour les
militaires dans la période de guerre froide des années 60. Il avait découvert
que l’on pouvait obtenir une robustesse élevée avec un réseau maillé
comportant une redondance relativement faible (il faut relier chaque nœud au
réseau par trois ou quatre liens au lieu d’un seul, et équiper chaque nœud d’une
table de routage adaptative). Les travaux de Baran sont à l’origine de la
légende selon laquelle l’Internet aurait été conçu pour répondre à des besoins
militaires : parmi tous les chercheurs qui ont contribué à la mise au point de
l’Internet, il semble cependant être le seul à avoir eu cette préoccupation.
AT&T était hostile aux idées de
Baran. Il faut se rappeler qu'à cette époque (début des années 60) les
commutateurs du réseau téléphonique étaient électromécaniques, la commutation
électronique ne devant intervenir que dans les années 70 ; le circuit établi
entre deux interlocuteurs avait donc une continuité et une réalité physiques en
quelque sorte palpables. Les ordinateurs relevaient d'un autre univers technique
que celui des télécoms. « Ils se comportaient comme s’ils savaient tout, et que
ceux qui n’appartenaient pas au Bell System ne savaient rien », dira Baran.
« Quelqu’un d’extérieur ne pouvait pas comprendre la complexité de leur système.
Et voilà qu’un idiot s’amène : il ne comprend visiblement pas comment le système
fonctionne et il prétend que les choses sont simples ! »
Cette phrase illustre les
obstacles que rencontrera la mise en réseau des ordinateurs. Les grands du
secteur, qu’il s’agisse d’AT&T ou d’IBM, s’opposeront à une innovation qu’ils
ne croient pas réalisable ou dans laquelle ils voient une menace. La
commutation de paquets rencontrera la même hostilité que le temps partagé.
Voir Le
premier réseau d'ordinateurs.
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