Mais comment faire communiquer des ordinateurs (hosts)
différents, alors que chacun a ses propres caractéristiques physiques, son
propre système d’exploitation etc. ? Une expérience avait été réalisée en 1965
par le psychologue Tom Marrill qui, sous l’influence de Licklider, avait proposé
à l’ARPA de faire communiquer via une liaison full-duplex à quatre fils deux
ordinateurs de type différent situés l’un à Lincoln, l’autre à Santa Monica. A
cette occasion Marrill mit au point une procédure qui permet de grouper les
caractères dans un message, de les envoyer sur la ligne, de vérifier si le
message est arrivé, enfin de le retransmettre s’il n’y a pas eu d’accusé de
réception. Pour désigner cette procédure, il retint le mot « protocole ».
Mais comment faire communiquer non pas deux
ordinateurs, mais un réseau de plusieurs ordinateurs ? S’il fallait définir un
protocole pour chaque couple d’ordinateurs, on serait confronté à une complexité
quadratique. Wes Clark proposa de concevoir un petit ordinateur spécialisé,
l’IMP (« Interface Message Processor »), qui seul serait mis en réseau et serait
interfacé avec chaque ordinateur : le problème était ainsi ramené à la
complexité linéaire. Le réseau des IMP fut baptisé « sous-réseau » (subnetwork)
pour le distinguer du réseau des ordinateurs eux-mêmes.
Restaient à régler les problèmes propres au
sous-réseau : éviter qu’un même paquet ne soit renvoyé sans fin d’un IMP à
l’autre, éviter que des paquets ne soient perdus en raison du débordement d’une
mémoire (buffer) etc.
Réseau et sous-réseau
(extrait de V. G. Cerf and R. E. Kahn, "A
protocol for Packet Network Intercommunication"
IEEE Trans. Comm. Tech., mai 1974)
Larry Roberts, ayant découvert les travaux de
Davies et Baran à une réunion de l’ACM à la fin de 1967, introduisit la
commutation de paquets dans l’appel d’offres qu’il lança pour l’IMP en juillet
1968. Le sous-réseau devait transférer les bits de façon fiable d’un IMP à
l’autre ; le temps de transit moyen à travers le sous-réseau ne devait pas
dépasser la seconde et il devait pouvoir fonctionner de façon autonome,
indépendamment des ordinateurs qu’il reliait.
Roberts consulta 140 entreprises. IBM et Control
Data répondirent qu’il était impossible de construire un tel réseau car il
coûterait trop cher. Finalement BBN (Bolt Beranek and Newman), petite entreprise
de Cambridge, sera retenue le 8 septembre 1968. BBN reçut la commande au début
de 1969. Sa solution s’appuyait sur le mini-ordinateur DDP-516 d’Honeywell (450
kg, la taille d'un réfrigérateur).
Chaque site équipé d’un IMP devra produire
lui-même, selon les spécifications fournies par BBN, l’interface entre l’IMP et
son ou ses ordinateurs (on pouvait raccorder jusqu’à quatre ordinateurs à un
même IMP). La mission des IMP étant seulement d’assurer le transport fiable des
bits, les ordinateurs devront régler deux à deux leurs problèmes de log-in,
transfert de fichiers et traitement de texte.
Pour configurer l’IMP, BBN préféra le logiciel :
une solution matérielle, concrétisée par le câblage, aurait rendu plus rapide
l’exécution des tâches simples mais elle aurait été plus difficile à modifier
par la suite.
Le premier IMP est installé à l’UCLA le 30 août
1969 pour raccorder un Sigma 7 ; le deuxième IMP est installé au SRI le 1er
octobre pour raccorder un SDS 940. L’IMP n° 3 est installé à l’UCSB le 1er
novembre, le n° 4 à l’université d’Utah en décembre. Un « Network Measurement
Center » est mis en place à l’UCLA, sous la direction de Leonard Kleinrock,
spécialiste de la modélisation et de la simulation des réseaux qui avait ainsi
l'occasion de tester ses théories en vraie grandeur.
A la fin de 1969, le premier réseau d'ordinateurs
a l’allure suivante :
On remarque que l'université de l’Utah n’est
accessible qu’en passant par le SRI, dont l’IMP joue donc le rôle d’un routeur.
Les budgets de l'ARPA en 1970 furent comprimés en
raison de la guerre du Vietnam, mais les crédits accordés à la recherche en
informatique ne furent pas rationnés.
En mars 1970, le premier circuit
trans-continental est installé vers BBN qui sera le 5ème nœud du
réseau. Cela permettra à BBN d’assurer depuis Cambridge la supervision du
réseau (télémaintenance, télédistribution des mises à jour par réplication et
dissémination). Des indicateurs de qualité étant produits automatiquement par
les IMP, BBN pourra détecter les pannes du réseau d’AT&T avant les agents d’AT&T
eux-mêmes, ce que ceux-ci auront un peu de mal à accepter.
A l’été 70, le réseau s'étend au MIT, à RAND, SDC
et Harvard. Par la suite le réseau s’enrichit d’un nœud par mois. BBN utilisera
à partir de 1971 pour les IMP un Honeywell 316, machine plus légère que le 516
et à partir de laquelle est mis au point un TIP (« Terminal IMP ») qui permet de
connecter des terminaux au réseau (un TIP peut servir jusqu’à 63 terminaux).
En 1971, le réseau relie 19 ordinateurs et 3 TIP.
Pour le désigner, l’expression Arpanet, ou Net tout court,
apparaît en août 1972.
Voir Problèmes de mise
en place. |