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Savoir parler

22 juillet 2001

Le système d’information de l’entreprise remplit deux fonctions : (1) il aide dans son travail l’opérateur qui assure la production de valeur ajoutée, que ce soit en première ligne ou au back-office ; (2) il fournit des données qui alimenteront des réflexions sur le positionnement et l’efficacité de l’entreprise. Dans ce second cas, le SI ne s’arrête pas aux données structurées, aux écrans d’ordinateur. Il reste à faire partager les conclusions des études, à mettre des options en débat, et pour cela il faut présenter des statistiques à des êtres humains qui parlent et comprennent un autre langage que celui de l’ordinateur.

Platon a critiqué les rhéteurs qui, dit-il, s’occupent plus de l’art de convaincre que de la vérité. Mais la vérité, à supposer qu’on la connaisse, peut-elle pour circuler se passer de rhétorique ? L’évidence ne se soutient pas elle-même, la démonstration est dans l'entreprise la forme la plus faible de l’argumentation. J’ai observé de grands communicateurs : François du Castel à France Telecom, Anicet Le Pors à la Fonction publique, Christian Blanc à Air France, Pierre Musso à la Datar, Michel Bernard et Lionel David à l’ANPE etc. Ils m'ont fait entrevoir quelques principes que je m'efforce de suivre lors des colloques ou conférences.

Ces principes seront superflus dans deux cas :

1 - Si l'exposé ressasse les slogans de l’entreprise (" mettre le client au cœur de l’entreprise ", " accroître la part de marché ", " utiliser à fond les nouvelles technologies ", " s’étendre à l’international ", " réduire les coûts ", " conforter la bottom line " etc.) il n'y a aucune difficulté : ces slogans sont familiers à l’auditeur qui les boit comme du petit lait, mais sans leur accorder beaucoup d'importance.

2 - Après la liturgie, le sermon : un consultant exalté conjure les auditeurs de se convertir à une nouvelle panacée au nom anglais (ERP, EAI, CRM, SCM, datamining, telemarketplace etc.) ; l'auditeur écoute d'une oreille et songe à ses propres affaires pendant que l'orateur se démène.

Je suppose donc ici que vous avez soigneusement étudié une question pratique, que vous la jugez importante pour l’entreprise, que vous êtes parvenu à des conclusions qui vous semblent claires, et que vous cherchez à les partager avec vos collègues et dirigeants. C'est un exercice délicat.

Le contenu

Il est difficile de faire passer des idées claires dans un exposé : si vous en faites passer une ou deux, ce sera bien. L’auditeur gardera le souvenir d’un graphique simple, d’une phrase qui l'a frappé. Les énumérations qu’encouragent les listes à puces de PowerPoint sont inefficaces.

Pour convaincre, il ne suffit pas de se faire comprendre : il faut que l’auditeur adhère à ce qu’il a compris. Citer des précédents, des " benchmarks ", dire ce que les concurrents ont su faire, comparer coûts et enjeux, cela crédibilise le propos. Il ne s’agit pas de démontrer, mais d’illustrer : laissez son libre arbitre à l’auditeur, il n’adhèrera que mieux à vos conclusions.

L’exposé vise essentiellement à partager une conviction, une impression, une ambiance. Ces choses-là étant plus complexes que des idées claires, la volonté est impuissante à les communiquer ; il s’agit de susciter une situation où elles passeront sans que vous ayez à faire acte de volonté. Votre efficacité dépend de votre " naturel " et tout l’art réside dans la construction de ce naturel. Si vous avez réussi à communiquer votre conviction, vous n’aurez pas besoin de démontrer quoique ce soit : les auditeurs savent raisonner et ils auront tôt fait de parcourir le chemin vers l’évidence.

Attitude

Il faut préparer votre exposé : se renseigner sur la composition et les attentes du public, sur les interventions des orateurs précédents. Même si vous connaissez le sujet par cœur et réutilisez des transparents déjà faits, la préparation demandera au moins trois fois la durée de l’exposé. Mais quand vous parlerez, oubliez la préparation et improvisez : un exposé, c’est une improvisation préparée.

Vous serez écouté à proportion de l’attention que vous accordez au public. Regardez les auditeurs, parcourez la salle des yeux. Ne gesticulez pas, ne montrez pas d’énervement. Tâchez de paraître calme, posé, détendu, même (et surtout) si vous ne ressentez rien de tout cela. Prenez une attitude modeste, vous serez mieux écouté que si vous jouez au prétentieux ou si vous paraissez souffrir d'une hypertrophie du moi.

Ne mettez pas les mains dans vos poches, cela vous donnerait la silhouette d’une momie. Utilisez-les sobrement pour souligner votre propos. Au moment crucial de l’exposé ayez un geste énergique (bras levé, main tendue etc.), il réveillera l'attention. Les micros que l’on tient à la main masquent le visage et gênent le mouvement : préférez le micro cravate ou, si la salle le permet, passez vous de micro. Parfois, il est vrai, on n’a pas le choix.

Les transparents

Au fil des exposés, on se constitue un stock de transparents que l’on réutilise. A chaque fois il faut les adapter au public et à la circonstance. Supprimez ceux qui ne sont pas indispensables. Dosez le nombre de transparents selon la durée de l'exposé en comptant trois minutes par transparent. Mettez peu de texte dans chaque transparent : ils doivent être lisibles depuis le fond de la salle. Mettez-y des phrases courtes qui résument ce que vous voulez dire. Si possible, présentez un dessin plutôt que du texte. Évitez de surcharger le dessin, faites-le schématique.

N’utilisez pas de rétroprojecteur, mais un vidéoprojecteur de qualité relié à votre PC portable : l’image est meilleure, et vous pourrez adapter les transparents au dernier moment pendant les exposés précédents. L'idéal est d'avoir votre propre matériel. Pendant la projection, placez l’écran de votre PC portable dans la direction du public, de sorte que vous puissiez voir vos transparents sans vous tourner vers l'écran mural et sans quitter le public des yeux. Les transparents servent de pense-bête et vous aident à suivre le fil de votre exposé. Ne lisez pas leur texte à voix haute, ce serait du temps perdu. Commentez, illustrez, développez. Si vous avez déjà commenté le contenu d’un transparent, sautez-le, on vous en saura gré. Ne projetez pas de transparents en anglais devant un public francophone, ce serait une goujaterie. Évitez les animations PowerPoint et les effet sonores qui fatiguent l’auditeur.

La parole

L’auditeur est sensible au son de la voix et à la qualité de l’élocution. Il vaut mieux parler un peu doucement que trop fort. Si dans l’auditoire deux personnes parlent entre elles, ne forcez pas la voix pour couvrir le bruit, parlez au contraire de plus en plus doucement : leurs voisins les feront taire. Ne bafouillez pas, ne trébuchez pas ; évitez les tics (raclements de gorge, " hein ", " voilà ", " alors " , " euh " etc.) Maintenez un débit constant. Toutefois si l’auditoire est pendu à vos lèvres vous pouvez vous arrêter quelques secondes et faire semblant de chercher vos mots (ou les chercher pour de bon) : la phrase que vous prononcerez ensuite se gravera dans les mémoires.

Il est bon que l’auditeur ait l’occasion de rire quelques fois durant votre exposé. Évitez la plaisanterie d’introduction : elle sent son procédé et agace. Le vocabulaire anglais (on devrait plutôt dire le pidgin continental) et le vocabulaire technique sont passés de mode. Évitez-les sauf si le sujet l’impose, et alors utilisez-les sans vous excuser.

Parlez un français simple, correct mais sans platitude. L’énergie du vocabulaire ne réside pas dans son niveau de tension (superlatifs, invectives) mais dans les variations de ce niveau. Un discours riche en superlatifs est comme un haut plateau où l’on ne distingue aucun relief. Il faut réserver le superlatif, les termes familiers ou même vulgaires pour un sommet de tension.

Si vous commettez une gaffe, faites comme si de rien n’était et enchaînez. La plupart des auditeurs ne s’apercevront de rien.

Les prédicateurs savent qu’un sermon ne doit pas durer plus d’un quart d’heure. Respectez exactement la durée de parole qui vous a été attribuée. On vous en saura gré et on vous demandera peut-être d’en dire davantage : même alors, parlez peu longtemps. Si les auditeurs ouvrent le journal, grattent leurs pieds sur le sol, se lèvent pour aller et venir, changez de sujet ou terminez votre exposé en douceur.

Ne commencez pas par " je serai bref " : cela annonce toujours un exposé trop long.