Économie du système
d’information et urbanisation
(In English)
(Intervention au colloque
« Urbanisme des systèmes d’Information », Sorbonne, 24 juin 2002)
Pour évoquer en quelques mots
l’économie du système d’information, nous allons définir
le service qu’il rend à l’entreprise, puis parler de son coût et de sa
rentabilité ; nous conclurons par quelques règles simples à l’usage
des dirigeants.
Le système d’information : un langage
Quel est le service que le système
d’information rend à l’entreprise ? voici la définition la plus féconde :
le système d’information, c’est le langage de l’entreprise (le
langage qui se parle dans l'entreprise, et non un langage
de programmation). Les référentiels
définissent les concepts selon lesquels elle décrit ses clients, ses produits,
son organisation et ses procédures. Ce langage est en outre outillé par
un automate programmable omniprésent qui assiste le travail mental de
l’utilisateur en lui fournissant des moyens de classement, tri et traitement
des données.
L’informatique ne traitait
dans les années 70 que des données structurées ; aujourd’hui elle équipe
la totalité du processus de conception et de production. Elle traite et classe
des textes en langage naturel, le courrier, la documentation, bref tout ce qui
s’écrit dans l’entreprise. Seuls lui échappent les textes effaçables,
les conversations orales et les notes manuscrites. La gestion des habilitations
est devenue indispensable : elle l’outille aussi.
Lorsque le système
d’information est bien conçu, l’entreprise bénéficie d’un langage de
qualité pour éclairer son positionnement, faire fonctionner ses procédures et
évaluer son action. Elle maîtrise la communication multimédia entre ses
agents et avec ses clients, ainsi que l’interopérabilité avec les systèmes
d’information de ses partenaires. Alors le système d’information élucide
l’entreprise : il l’éclaire de sorte qu’elle rayonne l’information
nécessaire aux acteurs. On entend prononcer dans l’entreprise des phrases
comme : « on sait ce qu’on a à faire », « c’est bien
organisé », « la boîte marche bien », « on est bien dirigés ».
Le système d’information a
été souvent défini non par sa finalité, mais par les moyens que sont
les ordinateurs, les programmes et les réseaux. On a cru que le système
d’information, c’était de l’informatique. Mais la conception du langage
de l’entreprise relève d’abord de la responsabilité des métiers, des
« maîtrises d’ouvrage ».
La réflexion sur la qualité
du langage pose des questions philosophiques délicates et par ailleurs, quand
on structure et outille un langage, on définit une organisation. Il en résulte
des réticences, des blocages à la fois intellectuels et sociologiques. La
trivialité du « business is business » ne suffit plus pour y voir
clair. Nos entreprises avancent donc lentement et maladroitement, à reculons,
comme une personne qui serait poussée par une main posée sur sa poitrine et
qui trébucherait sur des obstacles qu’elle ne peut pas voir.
Un actif au coût mal maîtrisé
Le système d’information est
pour l’entreprise un actif, un équipement, même s’il est d’un
type très particulier. Les applications forment un portefeuille qu’il
faut gérer au même titre que les autres composantes du capital fixe.
Cependant les conventions
comptables et fiscales masquent cette réalité. Les dépenses de développement
étant considérées comme des frais d’exploitation, le système
d’information n’apparaît pas au bilan. L’AFAI
est en train de construire la nomenclature qui permettra de connaître la
fonction de coût du système d’information, mais jusqu’ici elle
n’existait pas.
Les contraintes fiscales ne
sont pas seules responsables. Dans beaucoup d’entreprises la connaissance du
coût du système d’information est partielle : seules les dépenses de
l’informatique sont mesurées et non celles de la maîtrise d’ouvrage qui
représentent entre le quart et le tiers du coût informatique. Certaines
entreprises se laissent surprendre : leur budget informatique étouffe sous
l’accumulation des dépenses de maintenance et le coût d’usage du réseau
de PC.
L’attention des dirigeants se
concentre souvent sur les projets et non sur le fonctionnement de
l’entreprise autour du système d’information. C’est comme si, dans une
ville, on s’intéressait aux chantiers et non à la vie, au travail et à la
circulation des habitants ! Cela suscite l’inflation. Un projet est
d’autant plus visible qu’il est plus coûteux et non qu’il est plus utile.
J’ai vu des gens payer 10 millions pour une application qu’il aurait été
possible de produire pour 500 000 F avec un progiciel de groupware. 500 000 F,
c’était trop modeste pour apparaître dans le grain de la photo alors que les
10 millions, étant visibles, se prêtaient à la discussion.
Plus un projet est gros, plus
son risque d’échec est élevé. D’après le Standish Group 31 % des grands
projets informatiques échouent totalement. Nous ne supporterions pas un tel
taux d’échec dans le BTP ou l’industrie : la maîtrise du système
d’information manque de maturité.
Une rentabilité difficile à évaluer
Mesurer la rentabilité d’un
système d’information, cela équivaut à mesurer la rentabilité d’un
langage de qualité et d’une organisation correcte. Or si tout le monde sait
qu’une entreprise mal organisée est inefficace, on n’applique pas pour
autant le calcul de rentabilité à un effort d’organisation.
Prenons cependant quelques repères.
Aucun transporteur aérien ne peut vivre sans système de réservation, sans
segmentation tarifaire et sans supervision ; aucun opérateur télécoms ne
peut vivre sans commutation électronique ou sans système de facturation ;
aucune banque, aucune compagnie d’assurance ne peuvent vivre sans une gestion
informatique des comptes de ses clients. Dans ces diverses entreprises, la
rentabilité du système d’information est infinie.
Des économètres nient
cependant cette rentabilité, mais ils raisonnent sur des moyennes alors
qu’ils devraient observer les plus habiles, ceux qui donnent l’exemple aux
autres et qui seront copiés demain. La statistique ne permet d’évaluer la
rentabilité d’un actif que lorsque son utilisation a mûri et que les bonnes
pratiques se sont répandues.
La théorie économique indique
qu’il existe pour chaque entreprise un taux d’informatisation optimal ainsi
qu’une définition optimale du portefeuille applicatif. L’entreprise peut
s’en approcher par tâtonnement si elle suit quelques règles simples.
Un enjeu pour les dirigeants
Ces règles se résument en
trois mots clés : pertinence, sobriété, cohérence.
La pertinence, c’est
l’adéquation aux besoins des métiers. Elle s’acquiert par l’écoute des
praticiens et le benchmark auprès d’entreprises analogues, ainsi que par l’évaluation
des applications en cours d’exploitation. Il s’agit d’une démarche expérimentale ;
elle procède au rebours du dogmatisme que l’on rencontre parfois à la
direction générale.
La sobriété est le
complément nécessaire de l’écoute. Si l’on suit à la lettre la demande
des utilisateurs, on produit des systèmes peu efficaces. Il faut prioriser, élaguer, simplifier le plus possible.
C’est en partie parce que nos
systèmes d’information sont trop lourds qu’il faut si souvent les remettre
en chantier.
La plupart des systèmes
d’information sont soumis à une entropie qui dégrade leur qualité sémantique :
on le voit bien quand on est confronté à des statistiques incohérentes. La cohérence
s’obtient en articulant les applications au référentiel et en plaçant les
données au centre du système d’information. C’est le principe même des
ERP.
Surmonter une crise d’adaptation
Ces trois critères illustrent
la responsabilité des maîtrises d’ouvrage. Les échecs informatiques ont tous
été provoqués par des maîtrises d’ouvrage versatiles, incapables de définir
leurs priorités, traversées par des conflits dérisoires. Elles ont manqué de
professionnalisme.
La technique permet
aujourd’hui beaucoup de choses à condition que l’entreprise respecte
la compétence des informaticiens et sache les écouter. La modélisation du
système d’information est délicate, mais là aussi méthodes et compétences
existent. Le plus grand obstacle est ailleurs.
On dirait que la lutte des
classes a été remplacée dans nos entreprises par la lutte des castes.
Le corporatisme, la défense des plates-bandes prennent souvent le pas sur
l’intérêt commun. Ce n’est pas une fatalité. Nos entreprises traversent
en fait une crise d’adaptation, une crise d’assimilation et de compréhension
des enjeux du système d’information. Le but d’un colloque comme celui
d’aujourd’hui est d'éclairer ces enjeux et de tracer la voie vers la résolution
de ces difficultés.
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