Pour une validation authentique
19 mai 2000
Avez-vous vu comment se passe la validation des
spécifications générales (ou encore "fonctionnelles") d'un système
d'information ?
Les spécifications générales sont un document
que le client ("maître d'ouvrage") fournit au maître d'œuvre, et
qui indique à celui-ci très exactement ce que doit faire l'outil informatique
qu'on lui demande de réaliser.
Si le maître d'ouvrage utilise les méthodes les
plus récentes, il aura modélisé son activité en utilisant le modèle UML
("Unified Modeling Language", voir "Le langage
UML").
Le modèle UML décrit la façon dont le système
d'information va s'articuler avec les processus professionnels qu'il équipe. Si
l'on pense, comme la plupart des dirigeants, que le SI est
"stratégique", il faut en tirer une conclusion pratique immédiate :
l'adéquation du modèle au métier est un enjeu d'importance. Lorsque l'on
prépare le modèle, on l'adapte aux besoins des utilisateurs en
associant ceux-ci à sa conception (des "experts métiers" venus du
terrain participent à l'équipe de modélisation) ; mais il faut vérifier par
ailleurs que la représentation du métier fournie par le modèle est
conforme à la stratégie de l'entreprise, c'est-à-dire à son positionnement
sur le marché, à ses méthodes de gestion, à ses projets, en un mot à sa
"personnalité". Cette vérification doit être faite par les
stratèges eux-mêmes, par les dirigeants (PDG, DG, DGA,
directeurs etc.) C'est cette vérification que l'on appelle
"validation".
Cependant les choses se passent souvent de la
façon suivante :
- le modèle prend la forme d'un classeur de
quelques centaines de pages, hérissé de graphiques et d'acronymes, rédigé
dans le français particulier à l'informatique (où tout texte est un
"livrable", tout donneur d'ordre un "commanditaire", toute
méthode une "méthodologie", tout problème une
"problématique" etc., voir "Crise du langage"). Le décideur
y trouve divers types de diagrammes : de classes, de cas d'utilisation, de
séquences, d'interaction, d'activité, d'état, de composants, de déploiement
etc.
Ni les cases, ni les flèches de ces diagrammes ne peuvent être
compris par quelqu'un qui n'en a pas acquis l'habitude.
- on donne le modèle au dirigeant le vendredi en lui demandant de l'avoir validé le lundi, parce que l'on a pris du
retard et qu'il faut qu'il signe vite.
- les techniciens se disent in petto avec malice " Perrin Dandin, tu as voulu être
dirigeant ; eh bien si tu veux comprendre, tâche moyen d'y passer ton week-end
et bonne chance !"
- le dirigeant signe, parce que (1) il ne veut
pas être celui qui ralentit la procédure, (2) il ne veut pas avouer qu'il n'y
comprend rien. Tout au plus posera-t-il une question de détail pour faire
preuve de vigilance.
- les équipes se mettent au travail en se
fondant sur les spécifications ainsi "validées", passent aux spécifications
détaillées, puis aux spécifications techniques, à la réalisation,
aux tests, à la recette, au site pilote, au déploiement ... et
alors le dirigeant constate, quelques mois après la "validation", que
le produit n'est pas conforme à la stratégie de l'entreprise. Alors il faudra
soit admettre que la stratégie boîte parce qu'elle est mal outillée, soit tout refaire à grands frais.
Plusieurs choses sont choquantes dans ce
scénario.
- D'abord, le mépris avec lequel les techniciens traitent le
dirigeant. Ce mépris ne s'exprime pas par des paroles insultantes et il peut
même s'accommoder de l'obséquiosité. Mais l'une des pires insultes que l'on
puisse adresser à un être humain, c'est de lui donner un travail que l'on sait impossible en le défiant de révéler son
incompétence.
- Ensuite, la faiblesse du dirigeant qui n'ose pas protester et accepte
de galvauder sa signature en l'appliquant
à des documents qu'il n'a pas compris.
- Enfin, la conception de l'entreprise qui
sous-tend ce processus : la validation, lorsqu'elle est de pure forme, ne représente rien de sincère et n'engage personne.
Une validation authentique, c'est la validation
d'un document que le dirigeant peut lire et comprendre ; il peut en demander la
correction s'il lui semble ne pas correspondre à la stratégie de l'entreprise
(c'est là que réside la valeur ajoutée de la validation) ; il y
apposera une signature par laquelle il se sentira engagé. Alors le risque d'une
inadaptation du processus à la stratégie est réduit ainsi que le
risque d'un désaveu ultérieur de la validation.
Il faut donc trouver le moyen, lorsque l'on a en
mains un modèle UML, de le transcrire en un texte qui le représentera
fidèlement tout en étant lisible par le dirigeant. L'exercice n'est pas facile mais il est possible. Je propose que l'on procède de la façon
suivante :
- rédiger une synthèse en français, sur quatre ou cinq pages, expliquant (1) ce que l'on a voulu modéliser, (2) la façon
dont on s'y est pris, (3) les modifications que l'on a apportées au processus
en le modélisant, (4) les choix que l'on a fait, (5) les questions qui ont
été laissées
pendantes par souci de simplicité ;
- faire valider la fidélité de cette synthèse
par une personne qui connaît parfaitement le modèle (le "vérificateur"
; il est préférable que le vérificateur ne soit
pas la même personne que le responsable du modèle car il est difficile, pour
celui qui a supervisé les détails d'une production
technique, d'en vérifier une présentation synthétique) ;
- présenter les cases sur lesquelles doivent
figurer les signatures de la façon suivante :
Le "modèle", c'est alors l'ensemble
constitué par le modèle formel et la synthèse. Le modèle formel est signé
par le responsable du modèle et par le vérificateur ; la synthèse est signée
par le vérificateur et par le dirigeant. On communique au dirigeant la synthèse et le modèle
formel. Il peut se reporter
à ce dernier s'il veut voir un détail, mais il ne signe que la synthèse, seul document qu'il sera censé avoir lu et qui l'engagera.
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