RECHERCHE :
Bienvenue sur le site de Michel VOLLE
Powered by picosearch  


Vous êtes libre de copier, distribuer et/ou modifier les documents de ce site, à la seule condition de citer la source.
 GNU Free Documentation License.

Crise de l’entreprise et crise du langage

Lorsqu'il y a crise de l'entreprise, cela se manifeste par un symptôme qui ne trompe pas : le langage parlé dans l'entreprise se dégrade. Il suffit donc d'observer le langage pour confirmer le diagnostic de crise. Si le vocabulaire est pollué par des synonymies et homonymies, si les données que fournit le système d'information sont ambiguës - ou, ce qui revient au même, s’il faut des redressements préalables pour les utiliser  - les réunions sont encombrées de discussions stériles et l’incertitude sur les faits entraîne la légèreté des décisions. On observe aussi des illogismes et de l'inflation :


Manifestations de la crise du langage

  • quand les mots "sérieux", "professionnalisme", "méthodologie", "rigueur" reviennent souvent, c’est signe que ces qualités font défaut : quelqu’un de sérieux ne perd pas de temps à les prononcer.
  • ceux qui ont peur d'être en position de faiblesse si on les comprend cherchent à se protéger par du jargon (débauche d'acronymes, d'anglicismes, de noms propres).
  • certains, pour impressionner, remplacent le mot propre par un terme abstrait ("méthodologie" pour méthode, "problématique" pour problème, "technologie" pour technique, "générique" pour général, "spécifique" pour particulier ou pour local, "commanditaire" pour donneur d'ordres, "ordonnancement" pour mise en ordre, etc.). Les dégâts sont ici plus graves que ceux causés par le jargon, car c'est le vocabulaire courant lui-même qui est dégradé.
  • le recours systématique au superlatif ("très grave", "très important", "très sérieux"), voire au superlatif au carré ("c'est très très important") aplatit le langage, le manque de contraste interdisant la perception des priorités.
  • certaines expressions s’autodétruisent : "principes concrets", "schéma exhaustif", "synthèse détaillée", etc. Ces bombes sémantiques ont pour détonateur une contradiction entre substantif et adjectif (nécessairement un "principe" est abstrait, un "schéma" sélectif, etc.) ; en disloquant la phrase elles fissurent l’ensemble du discours. Sur le plan politique, une expression comme "Fédération d'Etats-Nations" a des effets analogues. De même, on utilise souvent l'expression "pilotage stratégique" : or le "pilotage", qui implique action et réaction à court terme, est par nature tactique ; il faudrait dire "pilotage opérationnel" et "management stratégique". 
  • la dégradation des concepts accompagne celle du langage. On dit "organisation" mais on dessine un organigramme ; "processus" sans définir livrables, acteurs ni délais ; "qualité" (ou mieux "méthodologie de démarche qualité") sans indiquer de critères d'évaluation.
  • on confond données comptables (biaisées notamment par le principe de prudence) et indicateurs économiques ; gestion (suivi de l’opérationnel) et expertise ; observation (constat des faits) et explication (utilisation d’un modèle) ; donnée statistique (sur une population) et donnée individuelle ; etc.

La "langue de bois" empêchant l'évaluation pondérée des problèmes, il faut un bouc émissaire. Son exécution (mise au placard, dépression puis départ) se prépare dans son dos avec jubilation. Elle procure une détente momentanée mais ne résoud rien : il faut alors une nouvelle victime expiatoire. Les énergies s'usent dans la destruction des personnes.

Il ne suffit pas de corriger le langage pour sortir de la crise, mais cela y contribue.