La série télévisée intitulée
« Napoléon » était moyennement intéressante, mais elle intriguait par la place
qu’elle accorde à Caulaincourt (1772-1827), grand écuyer de l’Empereur : les historiens qui
ont contribué à cette série se sont appuyés sur ses mémoires. Elles n’ont été
publiées qu’en 1933 ; il est difficile de les trouver et c’est dommage, car
elles mériteraient une réédition.
Caulaincourt avait été
ambassadeur en Russie. Ce pays l’avait fasciné, ainsi que la personnalité du
tsar Alexandre. Il fit son possible pour dissuader Napoléon d’attaquer la
Russie mais l’Empereur ne voulut rien entendre : « Alexandre vous a séduit,
vous êtes devenu un Russe », disait-il. Caulaincourt supportait mal de voir sa
loyauté mise en doute.
Étant grand écuyer, il
accompagne Napoléon lorsque celui-ci abandonne l’armée de Russie pour revenir à
Paris. Il note chaque jour les incidents. Napoléon et lui circulent incognito
d’abord en voiture, puis en traîneau à cause de la neige. Lorsque le traîneau
traverse la Prusse, pays allié mais soumis, l’Empereur interroge Caulaincourt :
« Si les Prussiens nous arrêtaient, que nous feraient-ils ? » « Ne sachant que
faire de nous, ils nous tueraient ».
Prêts à vendre chèrement leur peau, les deux hommes vérifient leurs pistolets.
Mais Napoléon envisage une autre hypothèse : « Craignant que je ne m’échappe ou
de terribles représailles, les Prussiens me livreraient aux Anglais. Vous
figurez-vous, Caulaincourt, la mine que vous feriez dans une cage de fer, sur la
place de Londres, enfermé comme un malheureux nègre qu’on y dévoue à être mangé
par les mouches, parce qu’on l’a enduit de miel ? ». Et de rire…
Les journées sont longues dans
le traîneau, Napoléon cause sur tout et sur tous. Ces entretiens, notés sur le
vif, sont sur sa façon de penser un témoignage précieux. Il ne donne pas une
haute idée de son jugement. Napoléon croit par exemple possible de mater les
Espagnols par la force. Il croit que l’armée laissée en Russie va se tirer
d’affaire. Il estime être seul capable de « voir les choses de haut ». Il
s’indigne contre ceux qui, en soutenant la tentative de Mallet, se sont montrés
infidèles à sa dynastie – comme si une dynastie aussi récente pouvait susciter la
fidélité !
Lorsque Napoléon et
Caulaincourt arrivent à Paris ils ont du mal à se faire reconnaître par le poste
de garde des Tuileries tant ils sont sales, barbus et hirsutes dans leur tenue
de voyage.
* *
Caulaincourt avait arrêté le
duc d’Enghien en Allemagne. Il n’était pour rien dans son exécution mais après
la Restauration l’opinion lui en fit porter la responsabilité. Il mourut
désespéré.
C’est un homme à l’esprit
clair, droit, loyal, un soldat compétent et un organisateur énergique.
Lorsqu’il était en désaccord avec Napoléon, ce qui arrivait souvent, il se
faisait un devoir de le lui dire et il se faisait rembarrer durement.
Napoléon apparaît, à travers
ces mémoires, comme un hyperactif infatigable et insatiable, excellent capitaine
sur le champ de bataille mais médiocre stratège, poussé en avant par son
caractère jusqu’à la catastrophe inévitable.
|