L’érudition et l’élégance font rarement bon
ménage mais ici, c’est le cas. Ce livre, composé à partir d’une abondante
documentation, est écrit dans une langue simple, précise, nuancée – et il faut
des nuances lorsque l’on décrit un phénomène aussi complexe que la
communication, lorsque les habitudes, les modes, se succèdent et se superposent.
En abordant une société sous un angle
particulier, ici celui de la communication, on ouvre une sur elle une fenêtre à
travers laquelle le lecteur verra plus de choses, peut-être, que si l’on avait prétendu
tout embrasser (il en est de même avec
La vie sexuelle dans la Chine
ancienne, de van Gulik). Par ailleurs, on l'invite
implicitement à considérer sous cet angle-là sa propre société, et à
mieux la comprendre : en lisant un texte consacré à la communication à
Rome, on pense inévitablement au rôle qu'a aujourd'hui la communication en
France.
D’utiles définitions sont fournies : la
communication, c’est « la volonté de dialoguer avec autrui, de l’informer, voire
de le persuader » (p. 10). L’opinion (opinio) concerne des faits, alors
que la réputation (fama) concerne des personnes (p. 233). L’étymologie de
nos mots est indiquée sans pédantisme : livre vient de liber, écorce,
parce qu’on a écrit d’abord sur de l’écorce (et aussi sur des plaquettes de
bois, codex, ou sur une planche couverte de chaux, album).
Scribere, dont proviennent écrire, schreiben, scrivere,
escribir, escrever et peut-être aussi to write, signifie
originellement gratter, entailler, parce que l’on a d’abord écrit en gravant ou
entaillant une surface (p. 18).
Les Romains ont d'abord, du temps des Rois
et au début de la République, peu utilisé l'écriture. La communication passait
par la parole qui, brève et dense, ne servait qu'à transmettre une information
ou à énoncer un ordre. En l'absence de l'écrit, et donc des livres, la mémoire
était soumise à un vigoureux entraînement. Comme la parole engageait la
responsabilité et la crédibilité de celui qui l'énonçait, elle était grave et
sérieuse ; la tromperie était rare.
Le contact avec la Grèce apporte la
rhétorique : les Romains découvrent que la parole peut servir non seulement à
informer, mais à convaincre et, à l'occasion, à duper. D'abord la rhétorique
leur répugne, et ils refusent qu'elle soit enseignée en latin. Puis
progressivement elle séduit la classe dirigeante, dont l'éloquence conforte
l'autorité, et enfin elle contamine toute la population : hommes, femmes,
enfants, tous les Romains sous l'empire s'exercent à parler habilement, tant
dans la vie privée que dans la vie publique.
Parallèlement, l'écriture s'industrialise :
des ateliers de copistes multiplient les livres, les bibliothèques sont
nombreuses et bien fournies, les archives sont copieuses et classées avec soin.
Si les Romains ne disposaient ni des techniques de l'imprimerie, ni de celles de
l'électronique, la qualité de leurs écrits et leur maîtrise de la parole étaient
supérieures aux nôtres.
Cet enrichissement culturel va de pair avec
l'extension de la domination romaine : pour pouvoir parler avec des peuples
différents et assurer la gestion d'un empire démesuré, il fallait des
administrateurs à l'esprit délié. Il s'accompagne aussi d'un affadissement du
caractère romain : au Romain sobre, austère et droit de la République, succède
le Romain subtil, disert et retors de l'Empire.
Rousseau, dans son Discours sur les
sciences et les arts (1750), avait soutenu que les sciences et les arts sont
responsables de l'amollissement des hommes, de l'hypocrisie mondaine et de la
décadence des mœurs.
Cette thèse a révolté Voltaire et Diderot, elle nous choque, mais l'histoire de
la communication à Rome ne la démentit pas.
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