Roger Wybot (1912-1997) a
organisé la DST en 1944. Il en sera éjecté par de Gaulle en 1958. Le livre,
rédigé par un journaliste, met en forme son témoignage.
Wybot était méthodique et
rationnel. Il s’intéressait beaucoup à la psychologie et à la psychanalyse. Cela
le rendait incommode à certaines personnes. Ainsi son premier entretien avec de
Gaulle à Londres, en 1941, s’est mal passé : se faisant un devoir de démolir les
illusions du général sur l’opinion des Français, Wybot déchaînera sa fureur.
Bien que gaulliste, il n’avait pas le caractère qu’il fallait pour être l’un des
favoris du général. Ils ne se sont jamais bien entendu.
La DST, sous Wybot, révèle des
« affaires » pénibles : affaire des généraux en 1949, affaire des fuites en
1954. Étant gamin à l’époque, je me rappelle en avoir lu des comptes rendus
incompréhensibles dans les journaux. Le livre éclaire ces affaires et révèle
certains des ressorts de notre société.
Pour les interrogatoires Wybot
n’utilise pas la torture qu’il juge inefficace autant qu'indigne : ce sont des
parties d’échec où la seule force mise en oeuvre est celle de l’intellect. Son bureau
est équipé de micros et la conversation est enregistrée à l’insu du suspect.
Des inspecteurs la suivent à
distance et font une recherche documentaire dont ils apportent les résultats
à Wybot qui calme, froid et objectif, demande au suspect de s’expliquer
sur des faits avérés. Celui-ci, d’abord rassuré par l’absence de pression
physique, parle d'abondance. Inévitablement il se contredit,
puis s’enferre et finalement avoue – à moins que son innocence n’éclate. Tout
est enregistré par procès-verbal dûment signé.
Wybot n’est certes pas un tendre, mais
il n’a jamais confondu les genres. Ce n’est pas lui qui
aurait engagé des chars lourds
et des hélicoptères dans des opérations de maintien de l’ordre, manoeuvre
affligeante dont nous sommes trop souvent témoins à la télévision.
Ceux qui sont chargés de la lutte
antiterroriste méditeront la méthode qu’il a utilisée contre le FLN (pp.
449-451) :
« Je développe mon système
d’infiltration des réseaux du FLN par des agents à nous. Les hommes que nous
glissons dans le dispositif adverse, souvent à des postes subalternes, nous les
aidons à conquérir progressivement de l’importance au sein de la rébellion. Nous
leur permettons par exemple de passer des armes, de l’argent pour le FLN. Leurs
convois clandestins sont protégés par la DST alors que les transports d’armement
d’autres chefs fellagas sont bloqués, saisis.
« Avec notre accord et la
complicité de l’armée française, nos agents FLN montent également des opérations
bidon, de manière à se couvrir de gloire aux yeux de l’état-major du Caire et de
Tunis. Chaque fois, nous organisons tout nous-mêmes pour rendre le coup de main
rebelle totalement crédible.
« Au fur et à mesure, nous
déblayons le terrain devant eux. Leurs camarades se font prendre, leurs chefs
jouent également de malchance. Ce qui leur permet de grimper dans la hiérarchie
clandestine, de remplacer ceux que nous choisissons d’éliminer. Certains de ces
agents doubles vont atteindre les plus hauts échelons dans l’état-major FLN. Il
nous est arrivé de manipuler des chefs et des chefs adjoints de willayas (…)
« Grâce à ce noyautage de
l’adversaire, j’ai pu tenir à jour, dès la première minute, tout l’organigramme
de la rébellion, surtout en métropole. Dès qu’un attentat FLN est commis, je
sais qui l’a perpétré. Si je veux en arrêter les auteurs, je n’ai qu’un signe à
faire. (…) Mais ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement d’appréhender
quelques terroristes algériens. La plupart du temps, je les laisse courir un
peu, en les surveillant discrètement, enregistrant leurs contacts, leurs
cachettes. Ma tactique c’est de lancer, de temps à autre, de vastes coups de
filet décapitant partiellement leur organisation. Volontairement, je laisse
toujours échapper quelques proies que je fais filer. J’attends que les willayas
démantelées se reconstituent avec du sang neuf, puis je frappe à nouveau.
« Ce qui me permet, à tout
moment, de contrôler l’état major ennemi, parfois d’en dresser les chefs les uns
contre les autres. Par exemple, lors de certaines arrestations massives,
j’épargne les éléments les plus durs, mais de manière à faire peser sur eux un
climat de suspicion. Leurs amis se posent des questions, s’étonnent qu’ils aient
pu s’échapper si facilement. Ils seront dénoncés comme indicateurs de police par
les agents doubles que j’ai mis en place moi-même, et se feront éliminer comme
« traîtres »… |