31 octobre 2002
Le terroriste a toujours un but (cf. Une
guerre, de Dominique Lorentz) : il s'agit de faire céder le politique du
pays cible pour qu'il livre une rançon, abandonne un territoire, libère des
prisonniers, s'avoue vaincu dans une guerre etc.
Les attentats sont des moyens au service de ce
but. La cible, ce ne sont pas les victimes - elles ne sont qu'un instrument -
mais le moral de la population. Le terroriste fait pression sur celui-ci
pour que la population, à son tour, fasse pression sur le politique et le
contraigne à obéir au terroriste. Le mécanisme est le suivant :
Dire que
le terroriste a toujours un but, c'est rompre avec une thèse fallacieuse :
celle qui entend expliquer, voire justifier, le terrorisme par le « désespoir » du
terroriste. Le commanditaire d'une action terroriste peut bien sûr utiliser des
personnes désespérées comme exécutants, mais il est lui-même un calculateur
et un organisateur. C'est lui qui fournit les armes, désigne
les cibles et pousse l'exécutant à l'action. Le vrai terroriste, c'est le
commanditaire plus que l'exécutant.
Très
souvent, le commanditaire représente un État qui a choisi cette forme de « négociation ».
De plus
en plus souvent il se réclame d'une religion. Mais le fanatique qui
appelle à la haine, au meurtre, au mépris envers l'autre, blasphème le Dieu
qu'il invoque. Le diable, théologien érudit, sait appuyer le pire blasphème
par l’autorité des Écritures. Le respect
envers l’humanité de tout être humain est la pierre de touche pour distinguer le croyant du
fanatique : « C’est au fruit que l’on
reconnaît l’arbre ».
Quand les médias montrent les corps sanglants
des victimes, les ruines des immeubles, les sauveteurs qui s'activent, l'émotion
s'éveille et la terreur se répand. Les médias sont ainsi les auxiliaires
involontaires sans doute, mais efficaces, du terroriste. Chacun se sent menacé, chacun
tremble pour ses proches. Le terroriste se délecte du désespoir des familles
des victimes, de l'indignation des dirigeants et de l'annonce des représailles
: mal ciblées, elles risquent peu de l'atteindre et lui amèneront des recrues.
Tout cela montre qu'il a réussi à terroriser, et il continuera les
attentats jusqu'à ce que le politique cède.
Pour désarmer le terrorisme, il faut rompre
l'enchaînement du mécanisme :
- soit la population ne se laisse pas terroriser ;
- soit la population, bien que terrorisée, n'exerce pas de pression sur le
politique ;
- soit le politique résiste à la pression de la population et refuse de céder,
mais cette position est intenable à la longue sous un régime de démocratie élective.
Désarmé, le terrorisme devient dérisoire et s'éteint
de lui-même.
Les principaux moyens de la lutte contre le
terrorisme sont d'abord et surtout le sang-froid de la population, puis son endurance,
enfin la fermeté
des politiques. On doit bien sûr les compléter par la compréhension et le désamorçage
des causes du terrorisme, puis par sa prévention (renseignement, infiltration
etc.), enfin par la recherche et le châtiment des commanditaires : ce ne sont là cependant que des moyens secondaires.
Lorsque Ariel Sharon a dit « la négociation
sera interrompue s'il se produit un attentat », il a mis la décision entre
les mains des extrémistes qui ne veulent ni la négociation, ni la
paix, mais la poursuite du conflit jusqu'à l'explosion finale. Supposons (pure
hypothèse) que Yacer Arafat désire sincèrement la paix. S'il suffit d'un
attentat pour interrompre les négociations, que pourra-t-il faire pour empêcher
les extrémistes de son camp de les interrompre au moment qu'ils auront choisi ? Si en outre tout attentat
suscite une riposte au ciblage imprécis, le terrorisme se renforcera indéfiniment.
Comme toute stratégie consiste en la poursuite d'un but dans un univers
incertain, on peut déchiffrer celle de Sharon : sous le masque
ostensible de l'énergie se lit la phrase défaitiste qui commence par
: « Foutu
pour foutu »...
Il faudrait faire entendre aux terroristes le message
suivant : « Vous pouvez faire sauter des bombes, tuer des gens, cela ne
nous empêchera pas de vaquer posément à nos occupations comme ont su le faire les Londoniens
pendant le Blitz : vous ne nous ferez pas perdre notre sang-froid ». Bref
face au terrorisme il faut faire comme si l'on était indifférent même
et surtout si, bien sûr, on n'est pas indifférent.
Ce sang-froid, ce refus de l'émotivité,
sont certes difficiles. Sont-ils possibles ? oui, si l'on a le sens des
proportions. En France, l'automobile a en
2000 tué 7 600 personnes et en a blessé 162 100 .
Sur les 552 000 décès de l’année 1985, 60 000 étaient attribuables
au tabac .
L'automobile, le tabac, font dans tous les pays beaucoup plus de dégâts que le
terrorisme, même en Israël. Si
nous avions vraiment le respect de la vie humaine, nous briderions les moteurs
de nos voitures, nous saurions gérer notre consommation d'alcool et
de tabac, et le terroriste saurait qu'il n'a rien à gagner en s'attaquant à
une population aussi lucide.
Il est vrai que nous n'accordons pas le même
poids aux diverses causes de mortalité : le terrorisme nous paraît moralement
odieux (il l'est) alors que nous considérons les accidents de voiture comme une
fatalité. Cependant les accidents de voiture sont eux aussi moralement odieux,
puisqu'on aurait pu les éviter en respectant la vitesse autorisée et en
s'abstenant de conduire après avoir trop bu : qu'un enfant meure dans un
accident ou dans un attentat, sa mère aura autant de chagrin. Quant à l'abus
du tabac, il révèle notre mollesse.
Revenons aux médias. Ils excitent l'émotion de la population en montrant à satiété les images des
attentats, en évoquant la menace . Ils se font ainsi les meilleurs assistants du terroriste. On va me
dire : « Tu veux censurer les médias ». Je réponds : « Chacun
doit se savoir responsable des conséquences de ses actes. Le journaliste qui
facilite la tâche du terroriste en sacrifiant au sensationnel doit être condamné par
l'opinion, si ce n'est par les tribunaux ». On revêt trop facilement le commerce du
sensationnel du noble manteau de la liberté d'expression.