La bêtise, lorsqu’elle
s’associe à la puissance, inspire de la honte
comme si l’on était sali par un risque de contagion. Quiconque a pratiqué le
métier des armes, étudié l’art de la guerre, lu et médité les meilleurs auteurs,
ne peut que ressentir un malaise devant l’emploi à contre temps des chars,
bombardiers, hélicoptères et missiles.
Car la lutte contre le
terrorisme, quand terroristes il y a, n’est pas d’abord l’affaire de l’armée
mais celle de la police : ses méthodes les plus efficaces relèvent des techniques
policières
que Fouché et
Roger Wybot ont utilisées : infiltration, retournement, manipulation,
intoxication,
opérations ciblées visant à semer la discorde chez l’ennemi.
Ces méthodes sont énergiques et
moralement pénibles – on ne fait pas de mamours à l’ennemi, on recourt
abondamment au mensonge – mais beaucoup moins meurtrières et surtout plus
discrètes que l’emploi d’armes puissantes qui, conçues simplement pour tuer,
provoquent de ces « pertes collatérales » qui seront pour l’ennemi le meilleur
des recruteurs.
Les militaires israéliens
disent avoir été surpris par l’organisation du Hezbollah, la qualité de ses
retranchements, la puissance de ses armes.
« The
heavy feeling that in the echelons above us there is nothing but
under-preparation, insincerity, lack of foresight and inability to make rational
decisions, leads to the question : Were we called up for nothing ?
», disent les réservistes. De
deux choses l’une : ou bien les services de renseignement israéliens n’ont pas
été écoutés par les chefs de l’armée, ou bien (ce qui serait pire) ils n’avaient pas
infiltré le Hezbollah. Dans les deux cas, bêtise et négligence impardonnables !
* *
Le recours à la force pure,
quand il est stupide, est un indice qu’il faut interpréter. La stratégie la plus
énergique en apparence est en fait mollement et paresseusement suicidaire. Tout s’est passé ici
comme si, « foutu pour foutu », on faisait ce qu’il faut pour provoquer une
catastrophe que l’on sait ou que l’on croit inéluctable.
Elle semble aujourd’hui en
route. La destruction des infrastructures du Liban est, comme l’assassinat de
l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914, de ces événements qui
déclenchent une avalanche. Les va-t-en-guerre vont finir par allumer la
troisième guerre mondiale, si ce n'est déjà fait.
*
*
Les Français ont cent fois
raison d’exiger, avant d'envoyer de nombreuses troupes au Liban, que l’ONU
explicite leur mission et indique les conditions dans lesquelles l’usage de la
force leur sera autorisé. Croire qu’il puisse suffire de « déployer » des
milliers de soldats pour régler le problème, c’est une erreur de bureaucrate : si on leur interdit
d’utiliser leurs armes, ces soldats ne pourront être que les témoins passifs des
exactions qui se commettront sous leurs yeux, ils ne seront que des otages ou
des victimes. Ceux qui se gaussent de l’attitude réticente de la France
devraient prendre le temps d'y réfléchir.
Que devront faire ces
soldats de leur puissance de feu si le Hezbollah, jouant au chat et à la souris,
recommence à tirer des missiles sur Israël ? Si les Israéliens, comme ils l’ont
déjà annoncé, attaquent de nouveau le Liban ? Qu’il soit difficile et, en fait,
impossible de répondre officiellement à de telles questions, cela témoigne de
l’impasse dans laquelle on se trouve.
La force ne pourrait d’ailleurs
être ici efficace qu’en appoint d’une stratégie qui doit être d’abord non pas
militaire mais policière, diplomatique, et habile en outre à désamorcer les manœuvres
des va-t-en-guerre – dont les plus virulents sont, comme toujours, des gens
qui, comme George W. Bush, Ehoud Olmert et Amir Peretz, n’ont acquis aucune
expérience personnelle dans l’art de la guerre.
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