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La stupidité des va-t-en-guerre

21 août 2006

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Pour lire un peu plus :

- Honte
- Mémoires de Fouché
- Roger Wybot et la bataille pour la DST
- Vaincre le terrorisme

La bêtise, lorsqu’elle s’associe à la puissance, inspire de la honte comme si l’on était sali par un risque de contagion. Quiconque a pratiqué le métier des armes, étudié l’art de la guerre, lu et médité les meilleurs auteurs, ne peut que ressentir un malaise devant l’emploi à contre temps des chars, bombardiers, hélicoptères et missiles.

Car la lutte contre le terrorisme, quand terroristes il y a, n’est pas d’abord l’affaire de l’armée mais celle de la police : ses méthodes les plus efficaces relèvent des techniques policières[1] que Fouché et Roger Wybot ont utilisées : infiltration, retournement, manipulation, intoxication, opérations ciblées visant à semer la discorde chez l’ennemi[2].

Ces méthodes sont énergiques et moralement pénibles – on ne fait pas de mamours à l’ennemi, on recourt abondamment au mensonge – mais beaucoup moins meurtrières et surtout plus discrètes que l’emploi d’armes puissantes qui, conçues simplement pour tuer, provoquent de ces « pertes collatérales » qui seront pour l’ennemi le meilleur des recruteurs.

Les militaires israéliens disent avoir été surpris par l’organisation du Hezbollah, la qualité de ses retranchements, la puissance de ses armes. « The heavy feeling that in the echelons above us there is nothing but under-preparation, insincerity, lack of foresight and inability to make rational decisions, leads to the question : Were we called up for nothing[3] ? », disent les réservistes. De deux choses l’une : ou bien les services de renseignement israéliens n’ont pas été écoutés par les chefs de l’armée, ou bien (ce qui serait pire) ils n’avaient pas infiltré le Hezbollah. Dans les deux cas, bêtise et négligence impardonnables !

*     *

Le recours à la force pure, quand il est stupide, est un indice qu’il faut interpréter. La stratégie la plus énergique en apparence est en fait mollement et paresseusement suicidaire. Tout s’est passé ici comme si, « foutu pour foutu », on faisait ce qu’il faut pour provoquer une catastrophe que l’on sait ou que l’on croit inéluctable.

Elle semble aujourd’hui en route. La destruction des infrastructures du Liban est, comme l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914, de ces événements qui déclenchent une avalanche. Les va-t-en-guerre vont finir par allumer la troisième guerre mondiale, si ce n'est déjà fait.

*     *

Les Français ont cent fois raison d’exiger, avant d'envoyer de nombreuses troupes au Liban, que l’ONU explicite leur mission et indique les conditions dans lesquelles l’usage de la force leur sera autorisé. Croire qu’il puisse suffire de « déployer » des milliers de soldats pour régler le problème, c’est une erreur de bureaucrate : si on leur interdit d’utiliser leurs armes, ces soldats ne pourront être que les témoins passifs des exactions qui se commettront sous leurs yeux, ils ne seront que des otages ou des victimes. Ceux qui se gaussent de l’attitude réticente de la France[4] devraient prendre le temps d'y réfléchir.

Que devront faire ces soldats de leur puissance de feu si le Hezbollah, jouant au chat et à la souris, recommence à tirer des missiles sur Israël ? Si les Israéliens, comme ils l’ont déjà annoncé, attaquent de nouveau le Liban ? Qu’il soit difficile et, en fait, impossible de répondre officiellement à de telles questions, cela témoigne de l’impasse dans laquelle on se trouve.

La force ne pourrait d’ailleurs être ici efficace qu’en appoint d’une stratégie qui doit être d’abord non pas militaire mais policière, diplomatique, et habile en outre à désamorcer les manœuvres des va-t-en-guerre – dont les plus virulents sont, comme toujours, des gens qui, comme George W. Bush, Ehoud Olmert et Amir Peretz, n’ont acquis aucune expérience personnelle dans l’art de la guerre.


[1] Jacques Lantier, Le temps des policiers, Fayard 1970.

[2] Les spécialistes américains du renseignement et de la lutte contre le terrorisme en sont conscients, mais l’administration Bush ne les écoute pas : Terence J. Daly, « Killing Won’t Win this War », The New York Times, 21 août 2006.

[3] Yuval Yoaz, Gideon Alon et Aluf Benn, « As reservists' protest grows, PM seeks to stave off state probe », Haaretz, 21 août 2006.

[4] « Waiting for Jacques », éditorial du New York Times, 21 août 2006.