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Honte

11 octobre 2001

Raisonner juste, dans l'urgence et devant le danger, comprendre la situation à partir d'une vue partielle et d'une information fallacieuse, penser non seulement les exigences tactiques de la bataille mais les implications stratégiques du conflit, voilà ce que sait faire d'instinct le grand militaire. Leclerc et T. E. Lawrence en furent de lumineux exemples. Napoléon fut un général habile sur le champ de bataille, mais seul un stratège médiocre pouvait attaquer simultanément la Russie et l'Espagne et organiser le blocus continental. Les généraux allemands de la guerre de 40 étaient de bons techniciens qui se mirent au service d'une stratégie stupide.

Lisons Leclerc sur l'Indochine (8 janvier 1947) : "Devant une telle situation, la solution complexe, et probablement longue à venir, ne pourra être que politique : en 1947, la France ne jugulera plus par les armes un groupement de 24 millions d'habitants qui prend corps et dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationaliste". Lisons Lawrence ("Les sept piliers de la sagesse", chapitre XXXIII): "Supposez que nous soyons (comme nous pouvons le devenir) une influence, une idée, une espèce d'entité intangible, invulnérable, sans front ni arrière et qui se répande partout à la façon d'un gaz. Les armées ressemblent à des plantes immobiles, fermement enracinées, nourries par le canal de longues tiges qui montent de leurs pieds à leurs têtes. Nous pouvons être une vapeur, un esprit soufflant où nous voudrons."

Il n'est pas donné à tout le monde de posséder l'intelligence militaire. Par contre la stupidité militaire est répandue. C'est pourquoi beaucoup de gens ignorent que l'intelligence militaire est la forme la plus élevée de l'intelligence (j'utilise le terme dans son sens français, non dans le sens anglais qui se traduit par "renseignement").

Le spectacle de la stupidité militaire emplit de honte ceux qui en sont témoins car il éveille la crainte d'une contagion. Cette honte, nous Français l'éprouvons devant les deux guerres mondiales - la première "gagnée" par le sacrifice d'une génération de jeunes hommes et de celle de leurs enfants, la seconde impréparée dans un climat de désarroi et de trahison. Nous l'avons éprouvée aussi pendant les guerres d'Indochine et d'Algérie.

Si vous n'êtes pas un assassin, si vous ne voulez ou ne pouvez pas exterminer l'adversaire, respectez-le : il sera après le conflit un partenaire, un client, voire un camarade. Pour vaincre, il faut comprendre ; pour comprendre, il faut écouter, observer, en un mot respecter. Dans une guerre où le génocide est interdit, celui qui ne respecte pas l'adversaire sera finalement vaincu. Celui qui veut vaincre doit éviter d'humilier l'autre. 

L'humiliation est une torture qui transforme l'homme paisible en combattant fanatique. Avez-vous connu l'humiliation ? avez-vous reçu de ces regards qui vous traversent sans vous percevoir, subi des moqueries envers votre accent, votre aspect physique, votre habillement, vos manières ? vous a-t-on battu, insulté ? vous a-t-on refusé des droits naturellement accordés à d'autres ? vous a-t-on fait comprendre que vous étiez placé au delà de la frontière qui sépare les élus des réprouvés ? alors vous savez combien il est difficile de surmonter la honte écrasante, la haine, que l'humiliation suscite. Certes celui qui n'a plus rien à perdre est en un sens libre, et au fond de l'humiliation il peut donc trouver la sagesse. Mais c'est après un effort sur soi-même dont l'homme jeune est incapable. Celui-ci se vengera d'abord, puis éventuellement il réfléchira ensuite.

Dès que l'on prononce la phrase "Ces gens là ne comprennent que la force", on prend le chemin de la défaite. Israël, hélas, est en train de perdre la guerre. Je vois venir l'émigration massive des Israéliens qui seront poursuivis par les crimes de Tsahal comme les pieds-noirs furent poursuivis par les crimes de notre armée et surtout de l'OAS, vision terrible car j'aime Israël de tout mon cœur - tout en le désapprouvant quand il est assez stupide pour mépriser les Arabes. Les Américains, après quelques jours pendant lesquels on a pu espérer de l'intelligence, s'acheminent vers la défaite stratégique, politique, à grand renfort de gesticulations tactiques. 

Le bombardement du pays le plus pauvre du monde par le pays le plus riche du monde est indécent. Des bombardiers furtifs, à deux milliards de francs pièce, font exploser des gourbis en pisé que les talibans ont quittés depuis longtemps. Ces avions, ces bateaux, ces hélicoptères, sont inopérants pour une guerre du renseignement, de l'action secrète, de la finance, qui doit se faire en se tenant loin du terrain tout en appuyant les adversaires afghans des talibans.

Les bombardements sont peu efficaces sur le plan militaire. Ils ne servent qu'à soulager l'opinion publique en lui donnant l'illusion de la force. Ils n'ont pas mis le Vietnam du Nord à genoux. Pendant la dernière guerre mondiale, ils n'ont pas véritablement affaibli l'Allemagne (ils ont usé la Luftwaffe, résultat qui aurait pu être obtenu sans détruire les villes, sans massacrer des civils et sans sacrifier autant d'aviateurs ; et ils ont renforcé le régime nazi en soudant la population autour des autorités).

Il est inconcevable que des militaires expérimentés tombent dans le piège tendu par des terroristes et prennent ainsi le risque de se mettre sur les bras des millions de jeunes gens irréfléchis peut-être, mais pas moins dangereux pour autant. Il est ridicule que notre pays, qui a pourtant appris à ses dépens ce qu'est la guerre dans un pays pauvre, réclame de s'associer à une opération dont l'échec final est certain. Déjà la France n'a pas eu à se féliciter de sa participation à la guerre du Golfe.

NB : cette fiche ayant suscité des contresens, je l'ai complétée par une autre intitulée "Fierté".