Nos grands oncles et nos
grands-pères, que l’on a envoyés en 14-18 se faire démolir, étriper et écraser
par les obus et les mitrailleuses, ont éprouvé une peur affreuse. Ils l’ont
surmontée pour faire ce que l’on attendait d’eux. Mais après les combats, par
pudeur ou par crainte de ne pas être compris, ils ont servi à « l’arrière » les
récits héroïques dont celui-ci était gourmand.
Chevallier a eu, lui, le
courage de parler de sa peur. Son témoignage fait revivre ces jeunes hommes dont
le corps, le psychisme ont été brisés. L’écriture, d’une correction tendue et
voulue, devient éclatante de fraîcheur lorsqu’il cite les propos des soldats dans une
langue orale aussi tonique que si elle datait d’hier.
Chevallier, simple soldat,
évoque le courage des officiers subalternes qui partageaient la vie et les
risques de la troupe, et aussi l’ineptie criminelle du commandement. Les
généraux français, dressés à la routine de la vie de garnison, à l’artifice des
manœuvres ou aux facilités tactiques de la guerre coloniale, ne comprenaient
rien à cette guerre industrielle. Leur conception rigide
de la discipline les empêchait d’entendre les témoignages et de réfléchir à la
stratégie :
c’est ainsi qu’ils ont mené une génération à l’abattoir. Une de mes relations
d'affaire, général d’armée aérienne, m’a dit un jour : « On aurait dû fusiller les
généraux de la guerre de 14 ».
Les soldats, entre eux, se
nommaient « les bonhommes ». Cette appellation sympathique s’appliquait
également à ceux d’en face, coincés eux aussi entre l’ennemi et des gendarmes.
Chevallier décrit des combats
d’une violence désespérée après lesquels on éprouvait de la compassion envers
les prisonniers – voire même de l’envie, car pour eux la guerre était finie.
Il n’est rien de tel pour jouer
le va-t-en guerre que celui qui ne s’est jamais battu : généraux bons à passer
des revues, civils héroïques sans risque, politiciens militaristes.
Ces matamores ont été en 1930 scandalisés par le témoignage de Chevallier : il
fallait que le soldat français fût conforme à l’image du héros. Mais ceux qui avaient
fait la guerre au front, par contre, s’y sont reconnus : « Oui, ont-ils dit,
c’est bien ainsi que les choses se passaient ».
|