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Commentaire sur :

Henry Kissinger, Diplomacy, Touchstone 1995

15 juillet 2000


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Turbo Capitalism

Ce gros livre est une histoire de, et une réflexion sur, les diplomaties américaine, européenne et russe depuis le XVIIe siècle.

Kissinger est un partisan du réalisme en diplomatie : il plaide pour que les Américains admettent la "Realpolitik",  fondée sur l'équilibre des forces, chaque pays cherchant à préserver sa sécurité. Il critique donc les fondements idéologiques à prétentions moralisantes de la politique américaine, tout en reconnaissant qu'elle a mobilisé les énergies de la population mieux que ne l'aurait fait, sans doute, une "Realpolitik".

Sa description de la politique soviétique - ou plutôt "russe", tant la continuité impériale est frappante - est d'une précision clinique, ainsi que celle de la politique allemande. On peut tirer une leçon de ces descriptions : quand une nation est militairement ou économiquement puissante, mais que l'histoire ne lui a pas (ou pas encore) donné les moyens politiques de gérer sa force, elle mène, pour se prémunir contre toute agression possible, une politique préventive tellement menaçante pour ses voisins qu'elle rend l'agression inévitable. Ainsi, pour préserver la paix, il faut non pas être faible certes (car cela éveille l'appétit des prédateurs), mais éviter toute exhibition de force.

Le dindon de la farce, c'est selon Kissinger la France par la faute de Napoléon III. La monarchie française avait toujours maintenu la division de l'Allemagne en petits royaumes et principautés. Par idéalisme, et aussi pour renforcer la légitimité de sa dynastie, Napoléon III favorisa l'unité allemande (ainsi d'ailleurs que l'unité italienne) et aida ainsi à se former, à sa frontière, une puissance qui se renforcera en gagnant une guerre contre la France - et, au passage, le détruira lui-même avec sa dynastie.

L'arme nucléaire a paralysé les grandes puissances en accroissant jusqu'à l'infini le coût d'un affrontement armé direct. Kissinger ne dit pas - mais c'est une évidence - que sa dissémination comporte un risque certain à date aléatoire : tôt ou tard, un dirigeant au désespoir cherchera à détruire un monde qui ne se plie pas à sa volonté. L'arme nucléaire réduit le risque de court terme mais ne fait ainsi que retarder une échéance monstrueuse et inévitable. La paix qu'elle apporte est analogue à la prospérité des années 20, avant la crise financière.

Kissinger, par une erreur de perspective assez courante mais qui étonne chez cet homme cultivé, croit inédites les situations historiques résultant de l'arme nucléaire et de la mondialisation. C'est ignorer que dans le passé chaque civilisation se considérait comme un monde en soi : pour un Carthaginois, la fin de Carthage fut la fin du monde.

Autre lacune du livre, l'absence de toute mention - et de toute analyse - de la politique des États-Unis envers l'Amérique latine. Le Chili n'est mentionné qu'en passant, il n'est pas question d'Allende. Le paradoxe qui fait des États-Unis une puissance coloniale, alors qu'ils se croient ou se disent anticolonialistes, n'est pas effleuré.

La guerre du Vietnam est décrite à fond. Le témoignage sur les négociations avec les Vietnamiens - durs à cuire qui refusent tout compromis et n'acceptent rien de moins que la victoire totale sans conditions - reflète la stupeur des Américains. Faisons les comptes et comparons : 50 000 morts américains, 3 millions de morts vietnamiens, soit 60 pour un ; un prélèvement de 0,02 % sur la population américaine, de 4 % sur la population vietnamienne, proportion 200 fois plus élevée... face à un adversaire qui accepte de tels sacrifices, comment les Américains pouvaient-ils vaincre ? Kissinger a bien perçu le fossé culturel qui séparait les Américains des Vietnamiens, comme en atteste son portait de Diem.

L'effondrement de l'empire russe a mis un terme à un monde bipolaire ; un monde multipolaire se met en place, où les Etats-Unis seront un pôle parmi d'autres avec l'Europe, la Russie reconstruite, la Chine, l'Inde etc. Kissinger invite les Américains à accepter cette évolution inévitable, mais en même temps il refuse la fin de la domination américaine. Un des drames de l'histoire, c'est que le pays qui domine les autres économiquement et militairement est aussi psychologiquement le plus faible, car il est devenu incapable de supporter l'insécurité que les autres pays ont dû apprendre à gérer en raison même de sa domination. La fin d'un empire est un épisode plein de dangers.

Le XXIe siècle demandera beaucoup d'habileté aux diplomates, beaucoup de diplomatie aux politiques, et une articulation bien maîtrisée entre démonstration de force et recherche de compromis.