Commentaire sur :
François Kersaudy,
Winston Churchill, Tallandier 2000
20 mars 2003
Churchill est le descendant de
Marlborough (le Malbrouque de la chanson, ce général anglais qui remporta
plusieurs victoires sur les Français). Son père est un politicien étincelant ;
sa mère est la fille d’un riche Américain. Dans cette famille, on boit
beaucoup, on est volontiers débauché et on meurt jeune. Son père, le considérant
comme un crétin, répond par du mépris à son admiration affectueuse. Il
mourra jeune lui-même, emporté par la syphilis.
Churchill, certain de mourir
jeune lui aussi, désireux de prouver sa valeur malgré le mépris de son père,
sera un jeune homme pressé, et toute sa vie un buveur et fumeur impénitent.
Pendant ses études, il ne se distingue que par son goût pour la bagarre et sa
maîtrise de la langue anglaise. Officier, le danger lui procure un plaisir
qu’il recherche assidûment : il se battra à Cuba, aux Indes, en Afrique
du Sud ; en même temps, il travaille comme journaliste : sa plume lui
procurera, sa vie durant, une part substantielle des revenus nécessaires à un
style de vie de grand seigneur, toujours accablé de dettes, toujours
rebondissant.
Pendant la guerre de 14-18,
entre deux postes ministériels, il se fait affecter en première ligne, dans
les tranchées de France, à la tête d’un bataillon. Les soldats apprécieront
beaucoup ce commandant infatigable, courageux, efficace et bon vivant, qui
humait avec volupté l’odeur de la poudre.
Il se lance sur les traces de
son père dans la vie politique. Son éloquence fait merveille à la chambre des
Communes. Il occupe des fonctions ministérielles où il réussit brillamment.
Kersaudy dit, de façon plausible, que les erreurs stratégiques qu’on lui
impute – les Dardanelles pendant la première guerre, la Norvège pendant la
seconde – sont dues plutôt aux conditions déplorables de la prise de décision
au sein du gouvernement anglais qu’à son action personnelle. Cependant
Churchill irrite par ses changements d’étiquette – conservateur, puis libéral,
puis conservateur de nouveau -, par sa faconde aussi ; ses adversaires et
la presse l’attaquent sans relâche. Dans les années 30, il est considéré
comme un homme politique fini.
Cependant il s’est rendu
en Allemagne en 1932 pour visiter le site de la bataille de Blenheim,
gagnée par Marlborough dont il écrivait une biographie. Cela lui donna
l’occasion de découvrir les nazis. Lorsque Hitler accéda au pouvoir l’année
suivante, Churchill était en Europe l’homme qui pouvait le mieux évaluer la
portée et les conséquences de cet événement. Grâce à ses contacts dans le
corps diplomatique, et au montage d'un étonnant service de renseignement
personnel, il devint l'homme qui dans le monde connaissait le mieux l'Allemagne
nazie, sa nature profonde, ses ambitions et ses réalisations. A coup de rapports, de
discours, d’articles, il se battit contre la politique pacifiste du
gouvernement anglais, mais en vain.
Churchill était, par goût
comme par métier, un expert des questions militaires. On lui doit l’impulsion pour
la construction des premiers chars, pour le développement de la Royal Air
Force, pour les recherches sur les radars, pour le perfectionnement de la marine
de guerre. Il avait de sérieuses connaissances techniques appuyées sur une
prodigieuse mémoire des détails. L’opinion et les hommes politiques,
longtemps hostiles, se tournèrent vers lui en 1939 lorsqu’il fallut enfin se battre.
Face aux nazis, sa détermination
était sans faille. Il se mit au travail à sa façon, volcanique : un flot
d’idées parfois géniales, parfois loufoques sortaient de ce cratère mental,
des collaborateurs s’activant jusqu’à l’épuisement pour en faire le tri
- et le convaincre de renoncer aux idées les moins judicieuses.
Des ordres, des décisions, partaient dans toutes les directions, jusqu’aux niveaux
les plus menus de l’exécution. Il mit l’industrie britannique au
service de la guerre ; et, comme elle ne suffisait pas pour faire face à
la puissance industrielle allemande, il fallait obtenir l’aide active de
l’Amérique.
Séduire Roosevelt,
l’influencer, l’amener d’abord à livrer des armes en quantité, puis à
participer à la guerre, enfin à soutenir en tout et pour tout l’Angleterre, ce fut
une articulation essentielle de la stratégie de Churchill. Il réussit sur les deux premiers
points mais il fut amèrement déçu sur le troisième. L’influence morale,
intellectuelle que les Anglais ambitionnaient sur les Américains se heurtera à
l’incompréhension, à l’hostilité de ceux-ci lorsqu’il s’agit de
l’Empire.
Pour la guerre, les Américains, et derrière
eux les Anglais, ne voyaient qu'une issue possible : la reddition
sans condition de l'Allemagne. En conséquence ils refusèrent d'aider la
résistance allemande contre Hitler (si les résistants l'avaient emporté,
il aurait fallu négocier avec eux). C'était une faute, voire un crime ; il en est de même du bombardement
systématique des villes allemandes, destruction massive, sacrifice des jeunes
aviateurs et tuerie de civils à l'effet stratégique discutable.
C'est cependant un bombardement
qui a, d'après Kersaudy, sauvé l'Angleterre. Alors que la Luftwaffe était en
train de détruire la Royal Air Force en bombardant les aérodromes et les usines
aéronautiques, un avion allemand lâcha par erreur quelques bombes sur
un faubourg de Londres. Churchill, impulsif à son habitude, fit exécuter un
bombardement de représailles sur Berlin. Hitler, impulsif lui aussi, ordonna
de bombarder en priorité Londres, ce qui procura à la Royal Air Force le délai
dont elle avait un besoin vital et lui permit de se redresser.
Churchill considérait la
France comme le tampon protecteur de l’Angleterre, interposé entre toute menace
venant de l’Est et les îles britanniques. Il soutiendra donc la France contre
les Américains et fera en sorte qu’elle ait sa part à la victoire. Ses
rapports avec de Gaulle seront compliqués, il soutiendra un temps Giraud, mais
finalement il défendra de Gaulle devant Roosevelt. A propos de l’affaire de Mers El-Kébir, de
Gaulle a dit « à sa place, j’en aurais fait autant ».
Churchill sera dupe un temps de
la bonhomie de Staline, comme il avait été un temps la dupe de Mussolini ; mais après la guerre il sera le premier à évoquer
le « rideau de fer » tombé sur l’Europe.
On retrouve chez Tony Blair le désir de
flatter la puissance américaine pour la faire servir à son pays ; mais
Churchill, qui contrairement à Blair était un guerrier, n’aurait jamais déclenché
une guerre : il connaissait trop bien les dégâts que cela peut provoquer
(voir "Perplexités militaires")
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