David
Lai, ancien diplomate chinois qui travaille maintenant à l'Institut d'Études
Stratégiques américain, s’appuie sur le jeu de go pour comparer les stratégies
chinoise et américaine. Dans chaque culture, dit-il, existe en effet une
relation profonde entre la façon de définir la stratégie et les jeux favoris.
Or le
jeu de go diffère du jeu d’échec (recherche de la victoire absolue), du poker
(prise de risque et bluff), de la boxe et du football américain (force contre
force) qui reflètent la stratégie occidentale, et plus particulièrement américaine,
d'engagement massif de la force.
Les
joueurs de go doivent contrôler le plus de territoire possible en plaçant des
pierres noires et blanches sur plusieurs fronts. Ils cherchent chacun à
conforter son propre shì
勢
(prononcer che comme dans « cheval »), que l'on peut traduire par
potentiel de la situation ou par propension,
selon les règles énoncées par Sūn Zǐ (孫
子,
prononcer Sun Dze).
Lai décrit le déroulement d’une
partie de go et compare, au passage, la stratégie des joueurs à celle des
Américains envers l’Irak, la Corée du Nord, la Chine et Taiwan. L'article,
construit lui-même comme une partie de go, insinue dans l’esprit du
lecteur la fragilité radicale d’une stratégie impatiente et fondée sur la force
pure.
Les citations de
Sūn Zǐ sont de
transparentes allusion à la guerre en Irak : « ceux qui n’entrevoient pas les
risques que comporte la mise en œuvre de la force armée ne savent pas comment
l’utiliser avantageusement », ou encore : « le premier principe de l’Art de la
Guerre, c’est de préserver les intérêts vitaux du pays sans recourir à la
force ».
De même, il oppose l’attitude
des Coréens du sud à celle des Américains : ceux-ci veulent obtenir de la Corée
du nord une réponse positive et rapide alors que les Coréens du sud misent pour
la faire évoluer sur un effort graduel, et souhaiteraient plus de patience et
d’intelligence chez les
Américains.
Sur la question des
droits de l’homme, comme sur la question de Taiwan, la stratégie américaine est
à courte vue, alors que la Chine conforte méthodiquement sa position en se
créant un shì favorable.
Lai cite un général chinois :
« Selon notre culture militaire, le stratège n’est pas un militariste. Il
cultive la sagesse du philosophe. La ruse permet d’obtenir la victoire sans
utiliser la force ».
Lai invite les Américains à
pratiquer le jeu de go pour comprendre la stratégie chinoise et pour s’inspirer de
son intelligence. On sent, en le lisant, la fierté du Chinois nourri par une
civilisation plus que millénaire. « Vous êtes forts sans doute, dit-il
discrètement aux
Américains, mais vous n’êtes pas malins ». Sera-t-il entendu ?
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