Au XIIe siècle l'économie se
développe rapidement et, dans les villes, naît une bourgeoisie marchande.
François d'Assise (1182-1226), fils d'un
marchand et marchand lui-même dans sa jeunesse, crée un ordre religieux dont la
règle primordiale est la pauvreté : les Franciscains ne doivent en aucun cas
toucher à l'argent.
Mais l'ordre a besoin de vivre ! Il se lie
donc à des personnes qui lui sont extérieures et qui, pour son compte, gèrent
les questions économiques et financières dont les religieux ne peuvent pas
s'occuper eux-mêmes.
Comment doivent agir, comment doivent
vivre ces personnes qui sont des marchands, des bourgeois ? Quel rôle assigner à
la richesse, au bien-être, alors que l'on a classé la pauvreté au premier rang
des valeurs ?
Dès lors, de façon paradoxale en
apparence mais très logique d'un point de vue dialectique, les Franciscains
réfléchissent beaucoup au rôle social de la richesse.
* *
Ils disent que l'argent ne doit pas être
thésaurisé, accumulé : il doit circuler. Le marchand remplit une fonction
sociale utile car, étant expert dans l'évaluation des marchandises, il facilite
leur circulation, leur échange, et contribue ainsi au bien-être de la cité qu'il
insère dans un large circuit commercial.
Il est essentiel que le marchand soit crédible : le
coût des transactions sera d'autant plus bas que l'on sait pouvoir lui faire
confiance. Il faut donc qu'il soit honnête lorsqu'il fixe un prix, qu'il ne
trompe jamais le client sur la qualité de la marchandise, qu'il tienne
fidèlement ses engagements.
Sa consommation
doit être sobre mais il doit tenir son rang. Loin de
préconiser une pauvreté ostentatoire qui nuirait à
sa crédibilité, les Franciscains lui recommandent de
faire apparaître un bien-être raisonnable. Il faut aussi qu'il soit un membre
actif de la cité : il doit participer aux offices religieux où tout le monde se
retrouve, s'occuper des affaires politiques, s'intéresser au bien commun.
Celui qui
s'écarte de ces règles - qui trompe un client, qui
ne respecte pas ses engagements, qui ne sait pas
tenir son rang etc. - déchoit de sa fonction et ne
sera plus considéré comme un marchand.
Beaucoup de
prescriptions détaillées concernent le luxe des
vêtements : chacun, chacune doit se vêtir selon son
rang. Il est par exemple normal et même souhaitable
que le seigneur, dont le prestige rejaillit sur la
cité entière, porte des vêtements beaux et coûteux.
Ainsi se développe, sous la plume et dans la
prédication des penseurs franciscains (notamment Pierre de Jean Olivi dont
Todeschini m'a fait découvrir les écrits), une réflexion sur
l'évaluation des marchandises, l'utilité de la consommation, le bien-être et le
bien commun. Cette réflexion, tournant le dos au féodalisme, anticipe et prépare
dans le cadre de la cité (particulièrement en Italie et dans le
Languedoc) l'émergence de l'économie moderne.
* *
Il est nécessaire, aujourd'hui, de revenir
aux sources de la réflexion économique, de relire les textes des fondateurs pour
retrouver leur énergie créatrice : la situation des économies
actuelles nous confronte à un défi qui exige ce retour.
Le livre de Todeschini, nous présentant
une pensée fondatrice et radicale au sens de "racine", remet en mouvement des
raisonnements, des hypothèses que l'enseignement de la théorie économique avait
peut-être figés à l'excès. Ce retour au XIIe siècle invite à une réflexion sur la société et
l'économie ultramodernes, aujourd'hui en gestation, dont il importe de
concevoir les potentialités et les risques.
|