L’expert et le politique
23 mars 2007
Éric Besson a quitté l’équipe de Ségolène Royal, puis le PS, parce qu’il ne supportait plus les méthodes de la candidate. Il s’en explique dans Qui connaît Madame Royal ?, Grasset 2007. Certains de ses anciens camarades s’en offusquent et parlent de « trahison » - mais avant de s'offusquer, il seraient bien avisés de le lire et de méditer son propos.
Ayant travaillé comme expert pour des
dirigeants politiques et des stratèges d’entreprise, puis ayant rempli des
fonctions de stratège, je connais bien la relation entre l’expert et le décideur
(voir
L’horizon du décideur doit être large de sorte qu’il puisse faire la synthèse des expertises puis décider après avoir pesé les enjeux. L’horizon de l’expert est par contre focalisé sur une spécialité : il produit des analyses approfondies, mais étroites. La coopération entre le décideur et l’expert ne peut être féconde que si chacun se tient à son rôle : il ne revient pas à l’expert de décider, il convient pas que le décideur prétende à l’expertise. En outre chacun doit savoir écouter et respecter l’autre.
Parmi les décideurs pour qui j’ai travaillé, la plupart ont respecté mon expertise même s’ils n’ont pas toujours suivi mes recommandations : c’est ainsi que j’ai collaboré avec Philippe Herzog, François du Castel, Christian Blanc et Michel Bernard.
Mais d’autres auraient voulu que je fournisse, pour appuyer leurs décisions souvent versatiles, des plaidoyers fallacieux. Un directeur de cabinet à qui je disais ne pas pouvoir étayer une décision que je jugeais erronée, mais que le ministre souhaitait prendre, m’a dit « tu dois d’abord la croire judicieuse, ensuite tu pourras la défendre ». Il existe des experts à qui cela ne poserait aucun problème (voir La grande désillusion).
Certains conçoivent la politique comme un jeu médiatique[1] : ne jamais se faire prendre en défaut, présenter toujours une belle image, retourner prestement sa veste au bon moment. « Lui, c’est un politique ! », me disait-on avec admiration (cela voulait dire « toi, tu n’es pas un politique »). Mais si de tels habiles accaparent le pouvoir, qui prendra soin du pays ?
* *
Que l’expert méprisé par le politique lui rende son mépris, cela choque ceux qui pensent que le politique, sacré par l’élection ou par la nomination, appartient à une espèce supérieure et mérite une obéissance inconditionnelle. Mais comme on ne peut s’appuyer que sur ce qui résiste, la servilité est le plus mauvais service que l’on puisse lui rendre.
Éric Besson, ayant vu les choses de près, estime qu’il serait dangereux que Mme Royal accédât à la fonction présidentielle. Certes il peut se tromper mais si telle est sa conviction son devoir civique était de l’exprimer, car l’enjeu est d’importance. Son opinion est d’ailleurs partagée : un ami énarque m’a écrit « ce que dit Besson correspond exactement au souvenir que j’ai conservé de Ségolène Royal, que j’avais bien connue à l'ENA. Elle n'a pas changé ».
Je conçois que l’on soit fidèle
à la gauche mais il ne convient pas d’être fidèle jusqu’à l’aveuglement. Ceux
qui disent aujourd’hui que Besson « trahit » et « crache dans la soupe »
auraient d’ailleurs bien su, si la catastrophe qu’il annonce se produisait, lui
reprocher après coup de n’avoir prévenu personne
[1] Les slogans de la campagne (« Ensemble TOUT devient possible » de Nicolas Sarkozy, « Il faut changer fort » de Ségolène Royal) sont de la même eau que les anciennes publicités pour la lessive (« CRIO nouvelle formule c’est blanc de blanc… c’est tout doux, et le paquet est im-per- mé-able ! », « CIF récure plus fort, plus vite et partout » etc.) tout en rivalisant de fadeur avec le slogan d’EDF : « Faisons le choix d’une puissance énergétique qui assure le progrès des générations futures ».
Pour lire un peu plus :
-
La grande
désillusion
-
- Articuler
expertise et décision
http://www.volle.com/opinion/besson.htm
© Michel VOLLE, 2007
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