Ma femme et moi nous occupons du rattrapage d'un de
nos petits voisins de 13 ans, élève dans un collège. Il croit que 6*2 = 6 et,
lorsqu'on lui dicte un petit texte, il écrit "jaitai" pour "j'étais". Cela n'a
pas empêché ses maîtres de le faire passer en cinquième.
Je me demande ce que peut comprendre un élève qui
ne possède pas les connaissances de base et pour qui la lecture est fatigante
(on a du mal à lire quand on interprète l'écrit de façon phonétique). Il lui
faudrait un bon instituteur, plus qu'un professeur, et des cours de rattrapage
plutôt que les cours du programme.
Mais il est arrivé à une amie, professeur de
français en lycée, l'aventure suivante. Après avoir fait un cours sur un point
du programme, elle s'est aperçue que les élèves ne l'avaient pas compris. Alors
elle a refait le cours. Les élèves ont compris, mais elle s'est fait
réprimander par l'inspecteur : "Vous devez avancer et couvrir le programme,
a-t-il dit, et non refaire un cours que vous aviez déjà fait". Ainsi le
fonctionnement de la machine compte davantage que la compréhension, dont on ne
se soucie pas.
Il se peut que des garçons comme notre petit
voisin, dressés à ne rien comprendre, passent d'une classe à l'autre jusqu'à la
terminale et qu'ils passent même le bac, l'objectif des 80 % de bacheliers
dans chaque génération étant formulé en termes quantitatifs et non qualitatifs.
Le système scolaire apparaît alors comme une garderie où l'on parque des
adolescents qui attendront que le temps passe.
* *
"Savoir compter" est aussi rare que savoir lire.
Il arrive que dans Le Monde l'unité indiquée au pied d'un tableau soit
fausse (million de dollars au lieu de milliard de dollars, les journalistes ne
sachant pas traduire "billion") ; que l'on mêle stock et flux (lorsque l'on
compare la capitalisation boursière d'IBM (un stock) au PIB de l'Allemagne (un
flux)). Que l'on raisonne sur des taux de croissance selon le vocabulaire qui
convient à des quantités ("le PIB a baissé" pour dire que sa croissance a
ralenti). Que l'on utilise, pour fonder l'analyse conjoncturelle, des
glissements annuels au lieu des niveaux, ce qui entremêle deux conjonctures
situées à un an d'écart.
Lorsqu'on relève ce type d'erreur on passe pour
pointilleux. Il est vrai que si le lecteur se contente des émotions vagues
qu'éveille un texte ambigu, qu'importe l'exactitude ! |