Le « système éducatif » comprend tout ce
qui contribue à la maturation d’une personne : la famille, l’école, les médias,
la lecture, les relations professionnelles et amicales. Ces diverses influences
forment en effet un système, qu’elles entrent en synergie ou se
contredisent dans la confusion.
Les médias dépendent de la publicité au
point que celle-ci détermine leur programmation :
leur contribution au système éducatif est aujourd’hui réduite, voire négative,
car les fortes audiences vont au divertissement. Les émissions instructives sont
rares et cantonnées dans les heures normalement consacrées au sommeil,
les documentaires sacrifient au goût pour le sensationnel. Les jeunes
adolescents passent beaucoup de temps à regarder des dessins animés et des films
qui proposent une image déformée du monde, souvent violente.
Ils utilisent surtout l’ordinateur pour
participer à des jeux (football etc.) ou à des chats au contenu parfois
douteux. Les livres qu’ils lisent, même ceux qui sont bien construits comme
Harry Potter, les invitent à vivre par l’imagination dans un monde affranchi des
contraintes que l’univers physique impose à l’action.
On peut s’interroger sur le type de maturité
qu’un tel système éducatif prépare.
* *
L’automatisation a transformé le système
productif, l’ordinateur a modifié les conditions de travail. Il arrive
progressivement dans toutes les familles.
Les transformations qu’il provoque ne sont
pas sans précédents. L’espace logique auquel il donne accès s’est bâti
d’abord par la parole voici quelques centaines de milliers d’années ; il s’est
conforté par l’écriture alphabétique voici 3 000 ans, puis par le livre
manuscrit, enfin par l’imprimé.
Cette évolution a rencontré des résistances
à chacune de ses étapes : l’introduction de l’écriture a mis à bas
l’enseignement oral des druides et dévalorisé leur virtuosité dans l’art
de la mémoire. Mais l’écriture, puis le livre, sont entrés dans nos mœurs depuis
des siècles et on ne saurait imaginer un enseignement qui n’en tirerait pas
parti.
Avec l’hypertexte, les moteurs de recherche,
les blogs, l’ordinateur a apporté à l’espace logique une extension jusqu’alors
inconnue. Sa fusion avec le téléphone mobile rend absolue l’ubiquité de l’accès.
L’informatisation du travail bouleverse les organisations et déconcerte les
plans de carrière. Il en sera de même pour le système éducatif (Neville
Holmes, « Digital Technology and the Skills Shortage », Computer,
mars 2007).
Les corporations vont donc se mobiliser pour
ajourner son évolution. On produira des théories pour démontrer le caractère
nocif de l’informatisation, opportunément diabolisée en « numérisation ».
Des pétitions seront signées, des grèves et manifestations organisées en toute
bonne foi. Il est inévitable en effet que la première génération des pédagogues soit,
dans sa masse, réticente : ils connaissent mal l’ordinateur et ils sont moins
habiles pour l’utiliser que ne le sont leurs élèves.
Si pourtant la concurrence entre nations se
réduit, comme certains le prétendent, à une compétition entre systèmes
éducatifs, celles qui sauront les premières tirer intelligemment parti de
l’informatique bénéficieront d’un avantage décisif.
* *
Imaginons donc, en nous affranchissant de
toute contrainte sociologique, ce que pourrait être un enseignement informatisé.
Une telle esquisse doit être modeste car on ne peut pas tout prévoir dans le
détail, mais l’expérience autorise à indiquer quelques pistes.
Des recherches sont en cours : l'université
de Nottingham a expérimenté l'utilisation d'images 3D dans l'enseignement et les résultats sont prometteurs.
Certes l’ordinateur ne pourra pas remplacer le
contact personnel avec le maître, l’attention que celui-ci porte à chaque élève
ni ce qui se communique par la parole, le geste et le regard. Mais il pourra
assister le maître et l’élève dans les démarches répétitives, dans
l’entraînement qui est nécessaire à l’acquisition des compétences comme à la
formation de la mémoire.
Il soulagera ainsi le maître d’une corvée
pénible et, en utilisant des techniques inspirées des jeux vidéos, il pourra
rendre l’entraînement attractif pour l’élève (les jeux vidéos sont extrêmement
répétitifs mais on s’amuse à marquer des points). L’enseignement pourra
d’ailleurs mobiliser aussi bien les consoles de jeu et l’iPod (et leurs
successeurs futurs) que l’ordinateur proprement dit.
Pour tenir compte de la diversité des élèves
il faudra segmenter leur population et définir des programmes adaptés à chaque
segment : la synthèse et la reconnaissance de la parole seront par exemple
cruciales pour les jeunes enfants.
Le maître sera responsable du choix des
programmes qu’utilise chaque élève, il donnera à chaque élève les conseils
utiles pour leur bonne utilisation. Il pourra coopérer avec les parents pour les
aider à traiter des problèmes comme l’autisme ou la dyslexie, pour gérer la
complémentarité entre la formation à la maison et la formation à l’école.
Les ordinateurs des élèves, du maître (et
sans doute aussi des parents) fonctionnant en réseau, les données d’autocontrôle
recueillies lors des exercices pourront aider le maître à identifier les difficultés
qu’un élève rencontre.
L’ordinateur pourra aider l’élève à
apprendre les noms et les propriétés des objets dans leur diversité (espèces
animales, végétales ; instruments de musique, machines, etc.) ; à identifier les
relations de causalité et raisonner sur elles ; à améliorer l’acuité du regard,
la sensibilité de l’ouie, la qualité de la prononciation, du dessin et de
l’écriture (un élève peut utiliser un stylet pour dessiner et écrire).
Il l’aidera aussi à produire des rythmes et
des mélodies, à composer des poèmes et des chansons ; il l’entraînera à
comprendre et énoncer des phrases, lire des textes écrits et écrire ses propres
textes. Il facilitera l’apprentissage des langues. Des simulateurs pourront
accompagner les leçons de choses, reproduire des expériences de physique ou de
chimie, illustrer des exercices de mathématiques.
L’ordinateur pourra aider l’élève à acquérir
le vocabulaire psychologique et physiologique qui lui permettra de mieux se
connaître et lui donner des conseils relatifs à son hygiène personnelle. Il peut
aussi l’aider à tenir sa place dans une action collective (chant choral,
théâtre).
* *
Tout comme les chiffres arabes permettent à
des enfants de réaliser des opérations qui jusqu’au XIIIe siècle
ont nécessité l’expérience d’un professionnel, l’ordinateur permettra aux élèves
d’acquérir plus de compétences, et plus vite, que dans les générations
précédentes.
Mais tout comme elle l’a fait dans les
entreprises l’informatisation entraînera une transformation de l’organisation
des écoles et du métier des maîtres. Ceux-ci auront besoin de recevoir une
formation différente, les préparant à de nouvelles responsabilités. La division
du temps d’étude entre la classe et la maison familiale, entre le travail
collectif et le travail personnel, entre l’entraînement et la découverte de
savoirs nouveaux, sera transformée.
Tout cela nécessite des recherches, des
mises au point, et aussi des investissements car il faudra écrire les programmes
informatiques répondant à la diversité des besoins. C’est un continent qui
s’ouvre et on est pris de vertige quand on anticipe l’ampleur des changements
que l’informatique va apporter au système éducatif, ainsi d'ailleurs que les blocages
qu’ils vont rencontrer.
L’expérience des entreprises est ici
précieuse. Votre entreprise utilise sans doute couramment la messagerie et
l’Intranet, mais les anciens se rappelleront peut-être les blocages que ces
innovations, devenues entre temps des produits aussi banals (et aussi
indispensables) que l’air que l’on respire, ont dû surmonter dans les années
1990.
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