Environnement
et croissance
16 février 2002
Jean-Marc
Jancovici (site www.manicore.com ) milite pour une prise en compte sérieuse
des questions relatives à l'environnement ; sérieuse, cela veut dire méthodique,
scientifique, expérimentale, et non pas médiatique, émotive, superficielle.
Une telle prise en compte met les politiques devant leurs responsabilités :
à eux de décider, sur la base d'expertises sérieuses, en considérant les
priorités et les buts du corps social tout entier.
Si
l'on classe les problèmes d'environnement par ordre d'importance, Jean-Marc
Jancovici met en tout premier l'effet de
serre. Les recherches sur l'évolution de la composition de l'atmosphère
montrent que depuis le début de la révolution industrielle au XVIIIème siècle
la proportion du gaz carbonique a crû de façon
exponentielle. Or toute exponentielle reflète un mécanisme explosif : soit il
faut que l'évolution change de nature, soit il y aura explosion. En
l'occurrence, il s'agit de l'effet de serre et des changements climatiques qui
en résulteront.
Jean-Marc
Jancovici part de ce constat pour poser une question simple : quel est le niveau
de consommation que nous pouvons nous permettre si nous voulons faire cesser
cette progression exponentielle ? Il le décrit et fait apparaître la nécessité
d'un changement de mode de vie (cf. "Aspects
économiques de la sobriété".)
Cependant
je ne le suis pas lorsqu'il dit qu'il faut renoncer à la croissance pour la
raison qu'une exponentielle ne saurait croître indéfiniment. Ce serait exact
s'il existait une proportion fixe entre volume de la production et intensité de
la consommation des ressources naturelles. Or ce n'est pas le cas : la mesure du
volume de la production doit tenir compte de la qualité du produit.
Considérons
les circuits intégrés (microprocesseurs et mémoires) : leur production
consomme du silicium et de l'eau propre, matières premières relativement
abondantes, mais leur performance est fonction de la qualité de leur dessin,
non du volume des ressources naturelles consommées. Considérons les logiciels
: leur production consomme uniquement du travail mental ; la seule ressource
naturelle consommée, c'est de la "matière grise" ou plus précisément
le stock de compétences accumulé à l'occasion d'une longue formation.
La
nouvelle économie ("e-conomie")
est fondée sur les circuits intégrés et les logiciels, sur le silicium et la
matière grise. Les progrès dans ces domaines procurent un accroissement des
performances, une simplification des mécanismes (il est plus efficace d'assurer
la transmission d'information par des signaux que par des engrenages), une
diversification des biens et services.
L'automate
programmable doué d'ubiquité (résumé des fonctions de l'ordinateur en réseau)
permet une croissance qualitative fondée sur la meilleure conception
des produits, leur diversification, la baisse de leur coût de production etc.
Si l'on tient compte de l'effet qualité dans la mesure du volume de la
production, c'est-à-dire si l'on utilise des indices de prix hédoniques, il en résulte
que la croissance du PIB peut avoir lieu sans croissance de la
consommation des ressources non renouvelables.
Il
faut donc compléter le raisonnement de Jean-Marc Jancovici de la façon
suivante : certes le respect de l'environnement nécessite une baisse de la
consommation d'énergie fossile et des émissions de gaz carbonique ; cela oblige
à revoir notre façon de consommer et de produire, donc notre mode de vie.
Cependant le type de croissance qu'apportent les nouvelles technologies (que
l'on peut baptiser "croissance intelligente" ou mieux "croissance
en qualité") peut ne pas compromettre l'environnement.
Ainsi
se dessine une conception de la croissance qui a des conséquences en
termes de comportement : ne pourrions-nous pas, au lieu de désirer consommer
davantage en volume, chercher à devenir plus intelligents (c'est une
"croissance" comme une autre), à consommer avec plus de
discernement, à être en un mot plus sobres ? La plupart d'entre nous
descendent d'une longue lignée de pauvres ; nous sommes culturellement de nouveaux riches,
des goinfres dépourvus de discernement. Nos descendants, qui n'auront pas à purger la même
crainte ancestrale de la pénurie, pourront être plus raisonnables que nous.
Nous devons leur préparer la voie.
Le
discours sur l'arrêt de la croissance est non seulement décourageant, il est
faux. Le domaine potentiel de la croissance qualitative n'a pas de limites. Il
ouvre à notre créativité une perspective que le slogan "consommons
moins" semble refermer. Le slogan "soyons intelligents" ouvre au contraire à la croissance une perspective sans
bornes : en effet, qui peut dire "aujourd'hui je m'arrête,
je suis assez intelligent" ? L'énergie
et le temps que l'on consacre à la pensée ne consomment aucune ressource
naturelle.
Il
est vrai que la situation économique et sociale actuelle présente autant de
risques que de possibilités (cf. "Au
carrefour"). C'est pourquoi il convient de
se défier de slogans qui mobilisent peut-être, mais vers une
fausse piste.
Le rapport scientifique
complet du GIEC peut se commander en ligne sur le site http://uk.cambridge.org/
. Il faut mettre le terme
"climate change 2001" dans la boîte de recherche puis dans la
liste qui sort choisir "Climate Change 2001: The Scientific Basis".
On peut payer en ligne par carte bancaire.
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