A propos de la "fracture numérique".
4 mars 2001
Cette expression, aussi disgracieuse que "son digital",
désigne la différence sociale qui s'instaurerait entre des privilégiés qui
maîtrisent l'ordinateur et les non privilégiés qui ne le maîtrisent pas et
qui, de ce fait, risqueraient l'exclusion. Il m'a toujours semblé que ceux qui évoquaient ce risque, dont
certains d'ailleurs se flattent de n'avoir
aucune pratique de l'ordinateur, manifestaient de la condescendance
envers les exclus potentiels. Sans doute se considèrent-ils comme des
privilégiés au grand cœur, préoccupés par l'inégalité
entre eux et leurs inférieurs, inégalité qu'ils savourent tout en
la déplorant. Comme
il est voluptueux en effet de pouvoir gagner à la
fois sur le tableau social et le tableau moral ! Cela rappelle les
conseils que la princesse de Parme reçoit de sa mère dans la "Recherche du temps
perdu".
Pourtant personne, que je
sache, n'est embarrassé pour utiliser un distributeur automatique de billets,
outil "high tech" s'il en est. Les assistantes sont plus expertes que leurs
patrons dans l'utilisation de l'ordinateur. Les personnes les plus calées en
informatique, celles qui maîtrisent les langages de programmation et les
architectures (savoir qui exige des années de formation assidue), sont des cadres moyens
à qui cette spécialité procure le champ de responsabilité et de légitimité qui leur est refusé par
ailleurs. Les cadres supérieurs, au contraire, sauf exception individuelle, ne feront pas l'effort de se qualifier tant que leur
légitimité n'est pas écornée par leur incompétence - cette heure-là
n'a pas encore sonné, nous le voyons bien.
La vraie "fracture numérique", c'est celle qui se
trouve entre nos dirigeants et l'ordinateur, non celle que
l'on situe tout près de la frontière de l'exclusion sociale. Évidemment personne ne
peut utiliser un ordinateur sans un minimum d'explication puis un minimum de pratique ;
mais que l'on ne dise pas que certains souffriraient, à cet
égard, d'un handicap social insurmontable. Il est beaucoup plus difficile d'apprendre à
parler en bon français que d'apprendre à
utiliser l'ordinateur.
Voir la réponse de Jérôme
Cabouat
|