J'ai reçu d'un de mes amis le message suivant, daté du 28 avril :
"De
passage tout à l’heure dans le quartier de la Bourse, j’ai vu qu’il se tenait au
palais Brongniart un colloque financier. Des costume-cravate anglo-saxons
entraient et sortaient, certains allant boire un café ou une bière au
« Vaudeville ».
"Ayant mes entrées au palais
Brongniart je suis allé voir ce qu’il s’y passait. C’était "EuroHedge Summit
2009", congrès des hedge funds européens. A l’intérieur, des stands pour la
banque privée suisse, Jersey, l’île de Man, les fiduciaires luxembourgeoises et
j’en passe... Il est regrettable que les
journalistes n'aient pas été invités ni même autorisés : j'imagine
l'article que l'EuroHedge Summit aurait inspiré à Libération...
"Conclusion :
ce sont les banques qui ont créé les paradis fiscaux et ces paradis fiscaux procurent aux banques des fonds et des commissions, pour une bonne part de
leur résultat. Sur ce point le dernier G20 n’a rien changé : il a au contraire
renforcé le système."
* *
Pendant la crise, la folie continue !
Sarkozy dit que la titrisation a favorisé la croissance économique . Bientôt
donc nous aurons une autre crise, plus profonde encore - à moins que ce ne soit
cette crise-ci qui s'approfondisse.
Car la finance est le commerce des créances
.
Celui qui a besoin d'emprunter est en position de faiblesse : il doit supplier
les prêteurs. Mais dès que le prêt est fait, l'emprunteur se trouve en
position de force.
Observez ce qui se passe si un ami vous demande de lui prêter
de l'argent. Il vous supplie, mais si lui avez prêté vous devrez supplier pour
qu'il vous rembourse et souvent il trouvera expédient de se brouiller avec vous
pour trouver un prétexte et ne pas vous rembourser. Le meilleur moyen pour
perdre son meilleur ami, c'est de lui prêter de l'argent : cette recette bien
connue fonctionne de façon automatique.
Comme toujours en matière de comportement humain cet
automatisme est aléatoire : il se peut que tel de vos amis se fasse un point
d'honneur de rembourser ponctuellement et qu'il vous manifeste de la
reconnaissance. Mais ce comportement-là, tout simplement honnête, est non pas la
règle mais l'exception.
La position du débiteur est d'autant plus forte que le montant
du prêt est plus élevé. Il remboursera sans rechigner un prêt de quelques euros
; mais celui qui a emprunté, disons, un milliard d'euros tient le créancier à sa
merci : celui-ci a inscrit la créance à l'actif de son bilan et devrait
provisionner une perte s'il s'avérait que le débiteur ne remboursera pas. Le
créancier doit user de diplomatie, de précautions, de séduction, pour éviter une
rupture qui lui ferait tout perdre.
* *
Entre débiteur et créancier, c'est à qui fera à l'autre
une clef au bras. Lorsque les banques se sont trouvées en faillite l'État était
en position de force. Il aurait pu leur imposer ce qu'il voulait, faire partir
leurs dirigeants, changer les règles : il ne l'a pas fait. Il leur a fourni de
l'argent et en outre (circonstance aggravante) il leur a accordé sa caution.
Elles sont maintenant en position de force. Leurs bilans ayant
été redressés, pourquoi maltraiteraient-elles leurs actionnaires, leurs cadres,
leurs dirigeants ? Pourquoi n'afficheraient-elles pas de nouveau un profit ? La
vie peut continuer comme avant ! Mieux même qu'avant, car elles sont désormais
en mesure d'obtenir de l'État encore plus d'argent : elles le tiennent par la
barbichette, car si elles font faillite ses créances ne vaudront plus rien.
Quiconque participe à une négociation financière comprend vite
une règle fondamentale : il faut pousser l'avantage au maximum. Emportées par leur logique,
les banques iront donc, si l'État ne sait pas se défendre, jusqu'à vider sa
caisse - mais pas au delà, car sa faillite leur porterait tort.
Certes, cette logique est aléatoire : on ne peut pas exclure a priori que
les banquiers ne se comportent en emprunteurs honnêtes. Mais le plus probable,
c'est que ce mécanisme jouera de façon automatique.
* *
C'est drôle tout de même, quand on y pense : étant soutenus
par l'État, les banquiers sont de facto devenus des fonctionnaires ; mais
de jure ils peuvent se verser encore de bons gros bonus. Que les salaires
des fonctionnaires de jure soient comprimés, que les
retraites soient diminuées, par contre, cela ne les gênera aucunement.
L'aristocratie d'aujourd'hui réside dans le monde des médias
et de la finance. Comme toute aristocratie, elle juge ses privilèges légitimes
et fait tout pour les maintenir. Les maîtres du monde, convaincus de leur bon
droit, ne lâchent pas facilement la rampe.
* *
Sur la couverture de
Prédation et prédateurs
(ci-contre) j'ai mis une image. Mon libraire dit qu'elle fait peur et
éloigne les lecteurs potentiels : faut-il donc que nous ayons peur de regarder
la réalité en face !
Le rapace, ce sont ces gens qui s'entendent à "produire de
l'argent" (comme si l'argent était un "produit" !) et qui s'en attribuent une part
au passage ; le petit
mammifère dont ils arrachent la tête, c'est vous et c'est moi : celui qui
travaille, réfléchit de façon constructive et s'efforce d'élever ses enfants sans
chercher à détruire le monde
pour faire fortune.
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Lors du déjeuner le 15 avril avec
des parlementaires (ce même déjeuner où il a exprimé de façon étrange son
opinion sur Obama et Zapatero), il a "fait l’éloge de la titrisation, pourtant à
l’origine de la crise américaine. «Il y a eu des excès, mais il faut la
faire repartir», lâche Sarkozy. Henri Emmanuelli objecte un «ça se
discute». «Henri, toi qui as été banquier, tu le sais très bien. La
titrisation a permis le développement du monde depuis vingt ans», réplique
le chef de l’Etat." (Matthieu Ecoiffier et François Wenz-Dumas, "Sarkozy
se voit en maître du monde", Libération, 16 avril 2009).
Pierre-Noël Giraud, Le commerce des promesses, Seuil, 2001. |